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Fonds Houtman - ONE : trente années d’inspiration et de collaboration

Facilitateur, incubateur, accélérateur… Le Fonds Houtman est un peu tout cela à la fois. Depuis trente ans, il initie des projets en faveur des enfants en difficulté en Fédération Wallonie-Bruxelles. Parmi ces projets, quelques-uns et non des moindres font aujourd’hui partie intégrante des services offerts par l’Office de la Naissance et de l’Enfance (ONE). Certains sont incarnés par des hommes et des femmes dont la fonction est devenue incontournable, telle celle de conseiller pédagogique. D’autres sont venus en appui d’outils d’analyse désormais indispensables, comme la banque de données médico-sociales, ou en appui de ressources fondamentales, comme le référentiel « Accueillir les tout-petits – Oser la qualité » et le référentiel de soutien à la parentalité. Pour d’autres encore, il s’agit de traduire dans le quotidien des concepts novateurs comme l’inclusion des enfants en situation de handicap ou d’apporter un soutien pointu aux professionnels, notamment en matière de violences sexuelles.

C’est bien une longue et riche histoire de collaboration et d’inspiration que partagent ces deux institutions. Une histoire imprégnée du concept de bienveillance, que commente Benoît Parmentier, l’Administrateur Général de l’ONE.

Qu’est-ce que le Fonds Houtman évoque pour vous ?

Benoît Parmentier : Quand j’ai entendu parler pour la première fois du Fonds Houtman, un fonds destiné à soutenir des recherches sur l’enfance en difficulté, je ne travaillais pas encore pour l’ONE et je me suis demandé ce qu’était cet OVNI dans un paysage institutionnel que je connaissais pourtant bien. Quand je suis devenu Commissaire du Gouvernement à l’ONE et encore plus quand je suis devenu Administrateur Général, j’ai compris son apport essentiel pour l’Office lui-même, mais aussi pour tous les acteurs du secteur de l’enfance. L’ONE ne fonctionne en effet pas seul, mais avec des bénévoles dans les consultations, en partenariat avec des pouvoirs publics, des associations… L’intérêt du Fonds Houtman, c’est de questionner et de s’attaquer à des problématiques qui dépassent la stricte organisation de l’ONE et d’élargir de ce fait le regard porté sur la société et sur des enjeux de société. L’apport du Fonds ne touche pas que l’ONE, mais bien l’ensemble de ses partenaires.

Certaines actions du Fonds Houtman ont été plus déterminantes que d’autres sur les missions et l’organisation de l’ONE…

Benoît Parmentier : Oui et je pense effectivement au soutien que le Fonds a apporté pour la création de la fonction de conseiller pédagogique. Elle est devenue aujourd’hui incontournable au sein de l’ONE. Cet apport s’inscrit dans une société en évolution. Alors même qu’à la création de l’Office, en 1919, les préoccupations premières étaient en lien avec la santé des enfants et des mères (la lutte contre la mortalité infantile et maternelle, l’hygiène, l’alimentation, etc.), alors même que dans les années soixante et septante, la dimension économique prenait le pas, avec notamment l’égalité d’accès au travail entre les femmes et les hommes, c’est à partir des années nonante que la dimension psychopédagogique prend une réelle importance dans le champ de l’éducation de l’enfant et de l’accueil en particulier. C’est à cette époque également que l’on discute et finalise le premier code de qualité de l’accueil par exemple. Ces évolutions de la fin du XXe siècle s’inscrivent dans des choix de société qui trouvent également leur apogée avec l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), dont nous fêtons en 2019 également les trente ans. Comme tout instrument relatif aux droits humains, la CIDE énonce des droits relatifs à la protection des enfants et à l’organisation de services en leur faveur, mais elle innove aussi en mettant en exergue une nouvelle génération de droits que sont les droits émancipateurs : droit à la participation, droit à la prise de parole, droit d’accès à la culture, etc.

Plus récemment encore, et à la suite de la crise du début des années 2000, la dimension sociale de nos activités a été réinvestie, avec une attention particulière à la lutte contre les inégalités sociales et de santé, mais aussi avec le développement d’une réflexion et d’outils pour favoriser le soutien à la parentalité. Un référentiel relatif au soutien à la parentalité, dont le Fonds Houtman est également à l’origine, a été réalisé en collaboration avec l’Aide à la Jeunesse et le Délégué général aux droits de l’enfant, ainsi que dans le cadre de partenariats établis avec l’enseignement, avec l’AViQ en Wallonie (encore AWIPH en ce temps-là[1]), la COCOF[2] et le service Phare[3] à Bruxelles. C’est un référentiel pour tous les acteurs sociaux et il se décline aujourd’hui en différents outils complémentaires. Il a une influence sur les pratiques de l’ensemble des métiers de l’ONE et de tous les acteurs qui peuvent intervenir dans le champ de l’enfance.

Le Fonds Houtman met aussi le doigt sur des problématiques plus spécifiques. Un exemple ?

Benoît Parmentier : Comme je viens de l’évoquer, la Convention internationale des droits de l’enfant est une référence : tout enfant a des droits, quelles que soient ses spécificités. La dimension de l’inclusion d’enfants en situation de handicap participe de ce même mouvement, de cette préoccupation d’universalisme proportionné. Ici aussi, le Fonds Houtman a apporté sa contribution à de nombreuses reprises. Récemment, je pense notamment au travail fourni pour assurer une meilleure accessibilité des enfants en situation de handicap dans les écoles. À nouveau, l’intérêt du Fonds dépasse la nature des missions propres à l’ONE pour questionner d’autres secteurs sur des enjeux sociétaux.

Ce sont des initiatives que l’ONE ne pourrait pas entreprendre seul ?

Benoît Parmentier : En effet, et dans le même temps, il y a une proximité de méthodes. Qualitative ou quantitative, la méthodologie menée dans les recherches-actions est rigoureuse. Avec le Fonds Houtman, on n’est jamais dans de la recherche fondamentale, on n’est jamais dans une pure connaissance théorique, mais dans une forme de recherche appliquée ou en tout cas qui nécessite un lien entre le corps académique (qui compose d’ailleurs le Comité de Gestion du Fonds) et les acteurs de terrain. Le savoir est aussi dans les mains de ces derniers. Qu’ils soient enseignants, éducateurs ou travailleurs médico-sociaux (TMS) à l’ONE, ils sont dépositaires d’une connaissance de la réalité et de pratiques parfois très éloignées de la recherche fondamentale. C’est cette nécessaire liaison qui permet à la fois une prise de hauteur et un ancrage dans des actions très concrètes.

Un autre OVNI soutenu par le Fonds Houtman, c’est la BDMS…

Benoît Parmentier : La banque de données médico-sociales est un outil fondamental qui permet d’orienter les politiques, les actions à déterminer. C’est grâce à un outil comme celui-là que l’on fait émerger des problématiques (comme celle du retard de l’acquisition du langage chez des enfants issus de milieux défavorisés). Cela nous permet ensuite de creuser la question dans le cadre d’une recherche, puis de développer des outils et des interventions adaptés à cette réalité.

Les initiateurs de la BDMS étaient membres d’un collège de médecins de l’ONE. Il y a une grande perméabilité entre le Fonds Houtman et l’ONE ?

Benoît Parmentier : Dans la relation entre l’ONE et le Fonds Houtman, il y a deux dynamiques à prendre en compte. D’une part, le Fonds se saisit d’un enjeu de société et le ramène — après développement d’une recherche action — vers l’institution concernée. À l’ONE par exemple. C’est le Fonds qui est donc à l’impulsion. Inversement, lorsqu’il se trouve face à une problématique, l’ONE peut demander au Fonds de l’aider. Ce fut le cas pour la BDMS il y a des années, ce fut le cas plus récemment pour la création du site internet de référence sur les maltraitances sexuelles infantiles, par exemple[4]. Mais il est clair que le Fonds Houtman n’est pas une succursale de la dimension recherche de l’ONE, il doit garder son autonomie de décision et de gestion des projets qu’il soutient. L’ONE y veille également et n’est d’ailleurs pas le seul bénéficiaire du soutien du Fonds Houtman. On peut par contre dire que ce qui émane des recommandations des diverses recherches-actions menées par le Fonds a une réelle influence sur l’ONE.

Qualité et bientraitance sont des notions qui traversent les travaux du Fonds Houtman. Ce sont aussi des valeurs partagées par l’ONE ?

Benoît Parmentier : En effet, tout comme l’éthique, l’équité et la continuité des services. Le mot « bientraitance » pourrait être considéré comme l’inverse du concept de maltraitance, mais c’est bien plus que cela. Il prend racine dans les mêmes fondements que ceux qui étaient présents à l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant : l’enfant objet d’éducation est reconnu comme sujet de droit. C’est sur cette notion de bientraitance que repose aujourd’hui le développement des modèles éducatifs.

Les projets insufflés par le Fonds Houtman ont toujours cette ampleur sociétale ?

Benoît Parmentier : Pas nécessairement par le nombre d’enfants qu’ils concernent directement, mais certainement par les questions qu’ils soulèvent. J’en veux comme exemple celui du maintien du lien entre les enfants et leur parent en prison, que ce soit dans le cadre des visites ou encore des jeunes enfants en prison avec leur maman. Les projets mis sur pied et soutenus grâce au Fonds concernent un nombre relativement peu élevé de familles, mais ils sont vraiment très importants pour elles. C’est une des qualités du Fonds Houtman de n’oublier personne. On roule certes plus vite sur une autoroute… mais les petits chemins valent souvent le détour.

La bientraitance, un concept transversal

Avant, on aurait parlé de bienfaisance. Maintenant, on parle de bientraitance; c’est un changement majeur de positionnement.

Comment et pourquoi en est-on venu à parler de bientraitance dans les années quatre-vingt ? «C’est un tout autre concept que celui de bienfaisance, explique le Dr Marie-Christine Mauroy, Administratrice Générale du Fonds Houtman. On est passé d’une vision où on faisait la charité à des nécessiteux (qui devaient dire merci) à une vision où il est davantage question de droit, des droits humains et des droits de l’enfant. C’est une attitude plus généraliste en ce qu’elle peut être appliquée à l’ensemble du travail psycho-médico-social. Tout enfant a le droit d’être bien traité, et pas parce qu’il est en difficulté ou parce qu’il vient d’un milieu pauvre. C’est une attitude à avoir vis-à-vis de chaque enfant et de sa famille.»

La première étape, ce fut l’acceptation d’une réalité jusqu’alors cachée ou que l’on refusait de voir : la maltraitance et les abus sexuels d’enfants. On se souvient de l’affaire Dutroux, en 1996, qui a amené des remises en question dans l’ensemble de la population et aussi dans le secteur psycho-médico-social. Cela influait beaucoup la relation entre les intervenants et les familles. C’était difficile d’être empathique et en même temps dans la crainte de passer à côté d’éventuels signes de maltraitance.

Ensuite est apparu le concept de résilience. Des recherches anglo-saxonnes avaient mis en avant l’existence des facteurs qui la favorisaient, parmi lesquels le fait d’avoir un adulte référent avec qui une vraie relation est établie, se voir transmettre des valeurs par sa famille, se sentir aimé et reconnu. Ce n’est pas spécialement la richesse qui procure ce sentiment…

«Le Fonds Houtman s’était très tôt associé aux travaux de la Fondation pour l’enfance (France) sur la manière de développer ce contexte de résilience, mais les participants se sont rapidement mis à parler de bientraitance, peut-être pas à la place, mais en complément de la résilience qui était perçue comme un concept individualiste, qui faisait porter à la victime le fait d’être capable ou pas de “rebondir”, poursuit le Dr Mauroy. Avec le concept de bientraitance, nous voulions éviter la dérive de faire reposer la charge de “s’en sortir” aux familles et aux enfants. Cela en deviendrait presque une injonction alors que, quand on parle de bientraitance — surtout concernant les enfants, on déplace la charge de créer un environnement favorable à leur développement et permettant de surmonter les difficultés de la vie, vers la famille, l’entourage et l’État.»

Une longueur d’avance

Le Fonds Houtman a fait alors ce qu’il continue de faire aujourd’hui : capter l’air du temps, en général avant les autres. Il a soutenu le développement de plusieurs recherches-actions portant sur des questions relatives à l’accompagnement des parents et de leurs enfants dans des conditions de vie difficiles. L’exil, la prématurité, le handicap chez l’enfant, les troubles psychofonctionnels du bébé, de l’enfant placé ou appartenant à un milieu défavorisé ont été abordés et considérés comme sources de vulnérabilité. «L’objectif commun de ces travaux était de mieux comprendre les ressources des familles et de les soutenir dans leurs démarches, raconte le Dr Mauroy. Deux démarches en particulier ont fait trace à l’ONE. L’une, concernant la consultance pédagogique et la création de la fonction de conseiller pédagogique, a débouché sur l’élaboration d’un référentiel commun portant sur les aspects psychopédagogiques d’un accueil de qualité, mieux connu comme le document ressource « Accueillir les tout-petits – Oser la qualité ». La seconde, menée par les équipes médico-sociales  du Hainaut, consistait en une recherche intitulée « Vers la bientraitance de l’enfant et des familles ». Ses résultats ont abouti à la création d’un outil de travail avec les familles qui est également devenu un support de formation. « Il s’agissait d’un arbre de questionnement par rapport à l’alimentation, au sommeil, etc. explique le Dr Mauroy. Prenons l’exemple d’une mère disant au TMS que son enfant ne mange pas. Que faire? Insister? Ne pas insister? À partir de quand considère-t-on que la mère force l’enfant et que c’est une forme de violence ou simplement une préoccupation adaptée? Quelle balise donner à un enfant un peu capricieux, mais qui est aussi à la limite de son poids? Un tel arbre existe toujours, accompagné de grands principes comme celui d’éviter de se positionner en face-à-face, avec le TMS qui sait d’une part et le parent en questionnement de l’autre, mais de privilégier une position de dialogue côte à côte, de partage des difficultés par rapport à un enfant. Bien sûr, le TMS et le médecin fournissent des informations, mais les parents aussi! C’est un échange, pas un affrontement. C’est une façon de bien traiter le parent également. »

Une philosophie

En 1999, des TMS ont élaboré leur propre définition de la bientraitance : « Un processus relationnel, évolutif et dynamique dont l’intention et les actes visent à permettre un développement physique, psychique et social optimal de l’enfant dans son entourage. L’appréciation d’un développement optimal est tributaire des représentations et des normes variant en fonction de l’époque et du contexte culturel et social. » 

Le développement optimal, c’est ce à quoi on peut arriver avec l’enfant et les parents qui sont là. « Pour moi, tous les mots de cette définition ont leur importance et insistent bien sur la prise en compte de la spécificité de chaque enfant et de sa famille. La référence au contexte culturel et social est également fondamentale, commente le Dr Mauroy. Chaque culture, chaque profession, chaque famille, chaque individu a sa propre représentation de ce qu’il faut faire pour» bien ‘traiter’ un enfant. En prendre conscience est le premier pas vers l’ouverture à l’autre et le respect de ses valeurs. Pour autant, bien entendu, que cela reste dans les limites acceptables et les règles de la société dans laquelle on vit. Et quand on prend clairement pour objectif l’intérêt de l’enfant, on trouve rapidement des terrains d’entente avec la grande majorité des parents. »

Marie-Christine Mauroy aime à rappeler les combats passés qui continuent à forger le présent. « La bientraitance s’inscrit dans l’histoire de l’ONE. À la même époque, les consultations des nourrissons étaient sur la sellette. Cela avait un coût et il existait une proposition de limiter l’accès de l’ONE aux populations les plus défavorisées en orientant les autres vers le secteur privé. Mais l’ONE a tenu à maintenir ce pôle d’accompagnement, à rester universaliste, à refuser aussi de n’accueillir que des pauvres dans ses consultations pour éviter la stigmatisation. »

Intégrer les concepts de bientraitance, de résilience, de protection de l’enfant et de soutien à la parentalité dans le travail de terrain a continué de soulever des questions de la part des professionnels. Pour les aider à se positionner dans ce qui est souvent décrit comme un travail d’équilibriste, l’ONE, avec le soutien du Fonds Houtman, a également coconstruit, avec les acteurs de terrain, la direction générale de l’Aide à la Jeunesse et le Délégué général aux droits de l’enfant un référentiel de soutien à la parentalité intitulé « Pour un accompagnement réfléchi des familles ». Sorti en 2012, il propose des balises éthiques et des repères pédagogiques aux professionnels en contact direct ou indirect avec les familles. Oui, la bientraitance fait du bien à tout le monde…

« Accueillir les tout-petits – Oser la qualité »

Près de 170 pages au contenu psychopédagogique dense. La « Bible », selon certains. Pour tous, l’un des fondements de la formation des professionnels de la petite enfance. Et pour l’époque, une révolution!

L’accueil extrafamilial est tout sauf anodin. « Il est aujourd’hui habituel de confier son enfant à un milieu d’accueil : une gardienne, une crèche, une halte-garderie… Souvent, cette expérience de vie est enrichissante pour les parents et stimulante pour les enfants. Jadis considérés comme un mal nécessaire pour un nombre limité de familles — des familles pauvres, isolées, marginales — les lieux d’accueil sont maintenant mieux reconnus dans leur fonction éducative et sociale et s’adressent à toutes les couches de la société. Néanmoins, être confié à quelqu’un d’extérieur, d’étranger à la famille n’est pas un épisode de vie anodin pour un petit enfant; pour les adultes, confier son bébé ou accueillir un bébé qui n’est pas le sien n’est pas non plus une expérience banale. Cette première entrée de très jeunes enfants, de nourrissons, dans la sphère publique constitue une séparation précoce du milieu parental; cette aventure, par la fragilité du tout-petit, n’est pas bénigne. Elle peut devenir une étape constructive pour les enfants et pour chacun des partenaires si elle ne constitue, ni pour les uns ni pour les autres, une source de malaise, d’inquiétude ou d’angoisse. Par ailleurs, il importe de souligner le rôle-clé que jouent les diverses structures d’accueil aux niveaux social, culturel, éducationnel et préventif, quelle que soit l’appartenance sociale des enfants. »

Ces quelques lignes datent de 2002 et elles n’ont pas pris une ride. Elles ouvrent le premier chapitre du référentiel « Accueillir les tout-petits – Oser la qualité » et attirent dans leur suite l’attention sur la nécessité, pour un bon développement de l’enfant, que le milieu d’accueil remplisse adéquatement et sereinement ses divers rôles. De bonnes conditions d’accueil sont requises ; elles relèvent à la fois des pratiques internes au milieu d’accueil et de l’organisation sociale et politique. Le référentiel pointe les exigences de qualité, insuffisamment définies et prises en compte. Il souligne que la relation entre un professionnel et un jeune enfant diffère de la relation entre le parent et son enfant, ce qui oblige à reconsidérer le rôle, la fonction des accueillantes et leur formation. En quelques phrases, l’essentiel est là.

Flash-back

Parmi les thèmes initiaux sélectionnés par le Fonds Houtman à sa création figurait une forme de consultance, de counseling pédagogique. Une première recherche-action d’ordre psychopédagogique menée dans un centre d’accueil de l’ONE a montré qu’il fallait penser la gestion des institutions d’accueil de l’ONE en termes de bien-être et de meilleur développement de l’enfant. Elle montrait aussi que, malgré la compétence et la bonne volonté de chacun, le respect des besoins légitimes des enfants ne coïncidait pas de façon immédiate avec l’intérêt du personnel et des professionnels, sans effort de réflexion et de préparation. Des améliorations ont donc été introduites, de la conception et l’aménagement des lieux à la détermination des moments privilégiés pour l’établissement d’une relation individualisée avec chacun des enfants. Ces premiers résultats ont encouragé le Fonds Houtman à élargir le champ d’investigation et d’action de l’accueil de jour de la petite enfance. La mobilisation de nombreux milieux d’accueil de l’ONE sur ce sujet s’est clôturée en 1995 par un colloque international : « Grandir malgré tout ». Sur ce terreau fertile a notamment germé l’idée de créer une nouvelle fonction pour les milieux d’accueil, celle de conseiller pédagogique. Une recherche a ensuite été menée pour en préciser le profil ainsi que les moyens de son intégration dans les structures opérationnelles de l’ONE, tandis que le Fonds Houtman acquérait la conviction qu’une réflexion plus large s’imposait encore autour de ce qu’il y avait lieu d’entendre par « qualité » des milieux d’accueil et par un accueil de qualité au sein des institutions au service de la petite enfance. Un large groupe de spécialistes et de professionnels de l’enfance s’y est attelé durant deux ans pour aboutir à la conception du référentiel « Accueillir les tout-petits – Oser la qualité ».

L’avènement de la psychologie

Dans les années septante, une préoccupation pour les questions psychologiques des enfants dans les milieux d’accueil, dans les crèches en particulier, se fait jour. « Il faut dire que l’ONE avait un peu laissé de côté ce dossier-là”, se souvient Myriam Sommer. En tant que membre du groupe de travail et de réflexion du référentiel psychopédagogique pour des milieux d’accueil de qualité, elle a contribué à son écriture. À cette époque, le nombre de milieux d’accueil explose, le budget qui leur est alloué aussi. Et à la demande de l’Office d’introduire des psys dans les milieux d’accueil, le gouvernement oppose un non catégorique.»

Le Fonds Houtman s’empare du sujet par un autre bout. «L’idée était de réunir différents chercheurs et gens de terrain pour travailler autour de ce qui apparaissait alors comme des nœuds importants dans les milieux d’accueil : les liens, la socialisation et l’activité. Le Fonds poursuivait par ailleurs la recherche sur le concept de conseiller pédagogique. » Le but étant de faire d’une pierre deux coups : la réalisation d’un document central et la création d’une fonction épousant le plan pour une politique coordonnée de l’enfance de Laurette Onkelinx, alors Ministre de l’Enfance. «Faute de psys en crèche, avoir un conseiller pédagogique par province, c’était un peu le moins que l’on pouvait faire…», ironise Myriam Sommer. En 1999, le dossier est accepté par le bureau de l’ONE.

«Je suis toujours émue quand je repense à ces moments-là, poursuit-elle. Il y avait beaucoup de tensions sur le terrain, des tensions entre ceux qui défendaient les crèches, qui demandaient un personnel plus qualifié et pour qui il était temps d’intégrer la psychologie. Dans l’autre camp, il y avait ceux qui défendaient les gardiennes, opposées à une forme de professionnalisation. Cela ne veut pas dire qu’on ne vivait pas d’évolution, mais l’ONE se situait essentiellement dans le registre sanitaire, sans rien d’autre sur quoi s’appuyer en matière de règlementation. C’était vraiment un grand tournant, un changement de paradigme.»

Un changement qui prend du temps. Enfin, en 2002, l’ONE officialise la mise en place des conseillers pédagogiques. «Ça n’a pas été facile non plus de les recruter, se souvient Myriam Sommer. Avec quel profil? La recherche avait quelque peu balayé le sujet, mais il ne suffisait pas de changer le costume des anciennes fonctions… Dans le cursus de la formation pédagogique, il n’existait pas non plus de spécialisation en milieux d’accueil et les candidats n’avaient forcément aucune expérience.»

Une matrice

Un chapitre du référentiel porte sur les liens. «Parler d’attachement avait une connotation trop clinique», poursuit Myriam Sommer. L’abord de ce problème potentiel de séparation parents/enfant s’est traduit par l’idée d’une indispensable familiarisation avec le milieu d’accueil. «Certes une telle démarche existait déjà dans certaines crèches, mais elle a progressivement fait partie du règlement. Il faut une familiarisation.»

Les activités étaient quant à elles fort orientées sur l’autonomie des enfants, des activités libres, moins axées sur la socialisation. « Que les enfants entre eux puissent faire des choses, ce n’était pas un point central.» Quand à l’accessibilité, aujourd’hui l’un des critères incontournables de qualité d’une structure d’accueil, elle n’était pas encore à la mode. «On se centrait sur la pédagogie. La volonté était forte aussi d’atteindre quelque chose d’universel, or il y avait parfois du folklorique dans l’accessibilité : faire à manger comme dans le pays d’origine de tel ou tel enfant par exemple. L’idée était de considérer chaque enfant comme une personne unique et d’apprendre à le connaître dans ses particularités.»

Ce document est devenu une façon de faireL’ONE organise des formations et le rend accessible aux milieux d’accueil. Chacun y trouve des guidelines, qu’il peut s’approprier. «Ce n’est pas un ouvrage normatif ni de contrôle, mais des repères vers lesquels on peut se tourner quand on a une question, un nœud à dénouer.»

En parallèle, mais non sans osmose, le code de qualité commence à être pensé : «Nul étranger au milieu familial de vie de l’enfant ne peut organiser la garde d’enfants de moins de douze ans sans en faire la déclaration préalable à l’ONE et sans se conformer à un code de qualité de l’accueil arrêté par le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles après avis de l’ONE.» Des projets d’accueil sont mis en œuvre par les milieux d’accueil et sont évalués. Ils ont la possibilité d’adapter leurs pratiques et de formaliser leur projet d’accueil de la manière la plus efficace possible. Le référentiel « Oser la qualité » trouve ici aussi sa place en répondant à un besoin, en contribuant à la réflexion des équipes pour mieux réaliser l’objectif fondamental de la qualité de l’accueil des enfants.

Les conseillers pédagogiques

La fonction de conseiller pédagogique est récente dans l’histoire de cette institution centenaire. Elle s’inscrit dans la convergence de deux documents marquants réfléchis dans les années nonante et dont sont toujours empreintes les pratiques : le «Code de qualité» et le référentiel «Accueillir les tout-petits – Oser la qualité».

Il y a sept conseillers pédagogiques en Fédération Wallonie-Bruxelles, deux à Bruxelles et un par province francophone — les « subrégions ». Luc Bourguignon est l’un d’eux. Il officie à Liège depuis 2005. Un vieux briscard donc, qui retrace ici les principales lignes de force de ce job peu commun.

«C’est un travail d’accompagnement, résume-t-il. Les conseillers pédagogiques amènent aux équipes des démarches ancrées dans des contenus thématiques pour atteindre leurs objectifs. Il y a trente-six manières de le faire : les familles, les lieux, les enjeux et les objectifs eux-mêmes sont différents et ce qui fonctionne très bien dans un contexte peut moins marcher dans un autre. En clair, il n’y a pas de pratiques ou de protocoles d’action à reproduire, mais des lignes d’action qui s’imposent à chacun – sinon tout le monde aurait le même projet d’accueil. Toutefois, les connaissances que l’on a de l’enfant induisent des points d’attention essentiels et des critères à respecter. C’est vers ces repères que les milieux d’accueil doivent tendre. Nous les y aidons.»

Un exemple : les premiers contacts avec une famille. Une familiarisation est indispensable, mais elle ne se passera pas de la même façon d’un contexte à l’autre. Dans cette logique, quelles activités propose-t-on aux enfants ? C’est une certaine façon de voir la socialisation, d’entrer petit à petit en contact avec les autres sachant que le groupe — et en particulier un grand groupe — n’est pas du tout une chose naturelle pour un jeune enfant. D’où l’importance d’établir progressivement un contact avec un adulte puis avec un autre puis avec l’ensemble de l’équipe. Ce travail est initié dans le référentiel « Oser la qualité », qui vise les 0-3 ans. «Des options y sont aussi clairement prises, validées scientifiquement, sur le développement autonome ou sur la liberté de mouvement, poursuit Luc Bourguignon. Comment est-ce que ça se met en place? L’autonomie, ce n’est pas faire seul. La liberté de mouvement, c’est entre autres permettre aux enfants de se développer : on ne les met notamment pas dans une position qu’ils n’ont pas encore acquise.»

Ce sont quelques-uns des éléments mis en exergue dans les brochures. L’idée globale est de créer un contexte de développement optimal, un environnement qui permette à l’enfant d’expérimenter et de découvrir par lui-même. Ce que l’on sait du développement de l’enfant, c’est que si on lui offre un maximum d’expérimentations possibles, il va s’en nourrir. Il ne faut cependant pas perdre de vue qu’on est dans du 0-3 ans et pas dans un contexte d’apprentissage avec des visées et des programmes formalisés. Le premier apprentissage d’un enfant de cet âge, c’est d’apprendre à vivre.» Idem pour les 3-12 ans. «On n’est pas dans une logique scolaire et il ne s’agit pas de remettre un peu d’école après l’école, on est bien dans du temps libre. Si on veut que les lieux d’accueil soient des lieux éducatifs au sens large, il faut respecter ce qu’est un enfant de moins de trois ans ou ce qu’est un temps libre pour un enfant de trois à douze ans.»

En résumé

Les conseillers pédagogiques sont responsables du développement de la dimension psychopédagogique de l’accueil des enfants (0-15 ans) : dans les milieux d’accueil petite enfance (0-3 ans) et dans les structures d’accueil durant le temps libre (3-15 ans). Ils ont pour mission de soutenir les professionnels dans leurs démarches de professionnalisation et de développement de la qualité de l’accueil. Cela se traduit principalement par la mise en œuvre d’une offre de formation continue et de dispositifs d’accompagnement.

La dimension psychopédagogique s’appuie sur des principes éducatifs communs (le Code de qualité) et sur des pratiques concrètes mises en œuvre dans les lieux d’accueil. Cette dimension renvoie aussi à l’analyse des conditions de vie des enfants dans les lieux d’accueil et à l’analyse des effets des différentes pratiques sur (tous) les enfants, sur les familles et sur les professionnels. Elle utilise différentes approches disciplinaires : sociologie, psychologie sociale, sciences de l’éducation, psychologie de l’enfant, approche systémique, etc., notamment sur base des référentiels psychopédagogiques de l’ONE.

«L’intérêt du Code de qualité, ajoute Luc Bourguignon, c’est de promotionner une démarche et des objectifs vers lesquels tendre en prêtant attention aux parents et aux personnes qui prennent soin de l’enfant, qu’il s’agisse d’accueillantes ou de puéricultrices ou de toute autre personne. Cette démarche se traduit par un projet d’accueil qui induit un engagement du milieu d’accueil à avancer dans une démarche de réflexion et d’amélioration.»

En pratique

Les milieux d’accueil 0-12 ans doivent élaborer des projets pédagogiques conformes au Code de qualité de l’accueil. Un outil les y aide, appelé « Repères pour des pratiques d’accueil de qualité (0-3 ans) ». Ceux-ci se déclinent en trois brochures : « À la rencontre des familles », « À la rencontre des enfants » et « Soutien à l’activité des professionnel-le-s ». Elles sont elles-mêmes ventilées en une quinzaine de repères clairs et précis pour la réflexion sur les pratiques et évitent de prescrire des manières d’agir prédéterminées. Ce sont des repères importants à discuter entre professionnels, entre les professionnels et les familles, entre les professionnels et les stagiaires, avec une explicitation du sens des orientations à privilégier.

  • « À la rencontre des familles ». Ce volet incite à préparer le premier accueil, à mettre en place et consolider une relation de confiance avec les parents, à gérer les transitions quotidiennes, à accompagner les vécus de la séparation, à aménager la fin de séjour. Placer en premier le travail avec les familles est un choix : un enfant ne peut être accueilli indépendamment de sa famille.
  • « À la rencontre des enfants ». Ce volet propose un cadre de réflexion pour ajuster l’environnement matériel, l’espace intérieur et extérieur, assurer une continuité dans l’accueil, donner à l’enfant une place active, accompagner les émotions de l’enfant et soutenir sa conscience de lui-même, différencier les pratiques pour individualiser activités et liens, soutenir adéquatement les interactions entre enfants.
  • « Soutien à l’activité des professionnels ». Ce volet pose l’hypothèse qu’un accueil de qualité des enfants et des familles suppose des conditions de travail suffisamment bonnes pour les professionnels. Il invite à aménager des conditions assurant une qualité de vie professionnelle, à développer une dynamique de réflexion professionnelle et à mettre en œuvre le projet éducatif, à soutenir un processus de formation continue et enfin à favoriser les relations avec les associations et collectivités locales.

Les brochures ont été diffusées largement au-delà des milieux d’accueil subventionnés. «Ça a vraiment touché tout le monde. Et à partir de là, nous avons mené des actions collectives d’accompagnement des milieux d’accueil pour leur implémentation, une démarche liée au plan d’amélioration de la qualité que chacun des milieux d’accueil subventionnés a dû remettre. On peut traduire cela par : comment mettre des choses en place qui répondent aux besoins minimaux de l’enfant en fonction de ses capacités du moment», résume le conseiller pédagogique liégeois.

L’un des principaux points d’attention a trait à la continuité de la prise en charge. À combien de personnes différentes un jeune enfant est-il confronté sur une journée dans un milieu d’accueil ? «C’est énorme! constate Luc Bourguignon. La continuité se décline à tout moment, pendant le change, pendant les repas, c’est une continuité de personnes, de lieux et de temps. Je mets personnellement la priorité à la continuité de personnes et de pratiques. Vous savez, un milieu d’accueil est ouvert au minimum dix heures par jour. L’enfant s’endort-il et se réveille-t-il avec des personnes différentes à son chevet? On peut faire en sorte qu’il ait un certain nombre de repères à son réveil, qu’il ait intégré le fait que l’on va s’occuper de lui et d’une manière similaire, sans pour autant créer des clones de puéricultrices, car des choses différentes se jouent aussi dans la relation individuelle. Tout se niche dans les détails : les petits rituels, l’attention que l’on accorde aux signes de satiété en donnant le biberon. Ce sont des questions d’organisation et ça veut donc aussi dire qu’il faut s’en accorder le temps.»

Bien sûr, de nombreux milieux d’accueil n’ont pas attendu le référentiel ou une quelconque législation pour faire de très chouettes choses… «Le référentiel lui-même n’a rien inventé, souligne Luc Bourguignon. Il fait la synthèse de différentes sources scientifiques sur les connaissances de l’enfant, des résultats de recherches-actions, de travaux sur l’attachement de Bowlby par exemple ou de Pikler autour de l’autonomie et de la liberté de mouvement. Ce document donne des orientations.»

Un second référentiel — « Viser la qualité » — concerne quant à lui les 3-12 ans. Il se décline également en une série de brochures (sept dans ce cas) conçues comme autant de pistes de réflexion pour l’accueil des enfants en dehors du temps scolaire. «Sur le plan psychopédagogique, c’est l’autre volet essentiel à l’orientation de notre travail d’accompagnement», ajoute Luc Bourguignon.

Par monts et par vaux

Les journées d’un conseiller pédagogique ne sont jamais les mêmes, mais elles s’articulent autour de trois axes récurrents. Un travail avec les agents ONE tout d’abord, principalement la coordination accueil (chargée du contrôle et de l’accompagnement de première ligne des milieux d’accueil collectifs et des services d’accueillantes conventionnées) et des agents conseil (chargés du contrôle et de l’accompagnement des accueillantes et co-accueillantes autonomes).

Un travail d’accompagnement des lieux d’accueil ensuite, en collaboration avec les agents de première ligne. Ce deuxième axe consiste en propositions concrètes. «Cela peut prendre des formes très diverses : une journée pédagogique parce qu’une question particulière se pose à une équipe, un temps d’observation et de travail avec une autre en collaboration avec les agents de première ligne ONE, etc. Il y a un certain nombre de balises et l’idée est de leur donner du sens. Le travail peut être ciblé sur des milieux d’accueil particuliers quand une difficulté se présente, une plainte, une demande du comité politique de faire un suivi… On a aussi un volet collectif, des propositions faites à plusieurs milieux d’accueil de la subrégion sur un thème déterminé. Avec les agents de première ligne, nous relisons et discutons certains des projets d’accueil qui arrivent à l’ONE. Actuellement nous implémentons les fiches activités pour les accueillantes à caractère familial; notre but est de viser un impact effectif sur le terrain. Aller à une conférence, les travailleurs peuvent le faire tout seuls, le conseiller pédagogique leur propose plutôt une mise en projet, leur amène du contenu et une dimension réflexive, des éléments qui ont un impact concret sur l’organisation et sur la prise en charge des enfants. Très concrètement, la subrégion liégeoise ne compte pas moins de 250 milieux d’accueil collectifs et 800 accueillantes. Vu l’étendue et les dynamiques locales, je travaille beaucoup par secteurs.»

Enfin, le travail a une portée communautaire (par opposition à la portée subrégionale des deux premiers points)Faire partie de plusieurs groupes de travail, être sollicité pour des points de formation continue, pour des appels à projets ou pour des dispositifs plus généraux, participer à des comités de pilotage de recherches, relayer des campagnes de sensibilisation, contribuer à répondre à une question parlementaire… l’agenda des conseillers pédagogiques est particulièrement bien rempli d’autant qu’ils ont aussi pour fonction de créer du réseau.

Bref, plus la fonction s’implante, plus de gens les sollicitent. De l’accueillante autonome qui habite un petit village isolé jusqu’à la direction générale de l’ONE ou aux contacts institutionnels, ils sont pratiquement les seuls à couvrir l’entièreté du spectre de l’accueil des enfants. C’est un métier qui ne s’improvise pas, et il n’y a pas une voie toute tracée ni de formation pour cela… il se construit avec la connaissance et l’ancrage du terrain.

La BDMS : une banque de données unique en son genre

Il s’agit de l’ensemble des données médico-sociales relatives au suivi des femmes enceintes, aux naissances et à l’accompagnement d’enfants de 0 à 30 mois dans les structures de l’ONE. Des données récoltées par les travailleurs médico-sociaux (TMS), les médecins, les sages-femmes, les milieux d’accueil, encodées, anonymisées et analysées, qui permettent à l’ONE d’évaluer son action, d’orienter ses choix d’actions. D’interpeller également les décideurs en ce qui concerne les politiques de l’enfance.

La banque de données médico-sociales, la BDMS, a été lancée en 1983 par deux gynécologues : le Dr Pierre Delvoye, très investi dans les questions de santé publique, et le Dr Pierre Leleux, féru d’informatique. «Ils étaient frappés par le profil des femmes enceintes qui fréquentaient les consultations de l’ONE, un profil qui différait de celui généralement décrit dans la littérature. Ce constat les a poussés à mettre sur pied une collecte systématique de données, car à l’époque il n’y avait pas de recherches intra-ONE», raconte Samuel Ndamè, un des  gestionnaires actuels de la BDMS. C’est le Fonds Houtman qui a financé son engagement dans les années 2000 ainsi que la publication des premiers rapports, donnant de la sorte le coup de pouce indispensable à cette banque de données de référence.

Tout sur les 0-3 ans, ou presque !

L’ONE couvre aujourd’hui 98 % de la population au moment de la naissance. Une quasi-exhaustivité qui fait la richesse de cet outil à visée épidémiologique et statistique, davantage encore étayé par la collecte d’informations auprès d’autres institutions susceptibles de construire l’image globale de la situation en Fédération Wallonie-Bruxelles. «Nos données sont en avance sur celles publiées ailleurs, ajoute Samuel Ndamè. Et aucune autre recherche n’a jamais contredit nos résultats grâce au travail précieux des TMS, en première ligne. Au contraire, nos chiffres sont confortés. Nous devons cependant en permanence rappeler les définitions des indicateurs, former et sensibiliser à la finalité de l’outil.» Quelque 55 000 naissances sont analysées chaque année. En avril-mai, les premiers indicateurs permettent déjà de déceler les variations d’un exercice à l’autre ; une augmentation de la prématurité ou du nombre de bébés présentant un petit poids par exemple. De nombreux points sont monitorés, entre autres l’allaitement maternel, la situation relationnelle de la mère ou encore ses habitudes tabagiques, ce qui permet d’ajuster les programmes de soutien spécifique.

La banque de données a évolué au fil des ans, s’adaptant aux nouveaux enjeux de société. Elle contient aujourd’hui de nombreux items, tous en lien avec les programmes prioritaires de santé de l’enfant définis par l’ONE. Un important travail de fond a été mené, notamment sur les indicateurs socioéconomiques, dont le niveau d’éducation des mères et leur situation d’emploi. «Les catégories de revenus ont été harmonisées et un gradient a été intégré. Nous avons relevé que les personnes les plus précarisées, avec un niveau d’étude bas ou des revenus faibles, présentent plus de risques que les autres. Ça vaut la peine d’être dit et redit, et cela signifie surtout qu’il faut accentuer le soutien que l’on va apporter à ces familles.» L’ensemble des informations nourrissent l’épidémiologie territoriale et permettent rapidement de mettre l’accent à tel ou tel endroit quand un problème apparaît ou quand il est beaucoup plus présent qu’ailleurs, de détecter également les points de vigilance à documenter.

Les informations internes à l’ONE proviennent des consultations médicales et des TMS qui, de plus, se rendent au domicile des familles. «Cette visite à domicile est vraiment une plus-value, car l’ONE est le seul organisme qui a accès avec sérénité aux familles, en leur proposant de l’accompagnement et du soutien, et non du contrôle. Cela demande aussi beaucoup de temps, le temps de tisser cette relation à la famille; mais nous l’avons dégagé, en particulier dans les grandes villes où la population et les cultures sont très diversifiées.» Ce sont des informations importantes aux missions de l’Office dont aucun autre organisme ne dispose. «Concernant le suivi des grossesses ou des enfants qui fréquentent des structures de l’ONE, les analyses montrent que l’on a affaire à une population très spécifique, note S. Ndamè, une population belge ou étrangère qui n’a pas accès à la lecture, qui a du mal avec les démarches administratives, qui n’a pas de couverture santé optimale, etc.».Les consultations se font dans les quartiers, avec des outils traduits parfois ou des interprètes sociaux assermentés qui les rendent très accessibles. Il est bien plus aisé de s’y rendre que dans une structure hospitalière, où une des premières barrières consisterait à présenter des documents d’identité ou de mutuelle. L’ONE en effet n’impose aucun filtre. «Si on le faisait, on exclurait les personnes ayant peu de moyens, celles sans papiers ou en errance, c’est-à-dire celles qui ne sont pas reprises dans les autres bases de données pouvant alimenter le travail d’épidémiologie. Ces personnes sortiraient des radars alors qu’elles sont dans un grand besoin. D’autres passeraient au travers des mailles du filet : des touristes, des femmes qui viennent accoucher en Belgique, des bénéficiaires de l’aide médicale urgente. Nous avons d’ailleurs déjà pu remarquer que certaines personnes se présentaient systématiquement à des consultations différentes, redoutant peut-être le contrôle social. Personnellement, je tiens particulièrement à ce qu’on ne laisse pas de côté une catégorie de la population, quelle qu’elle soit.»

Médical et social

Un large potentiel reste à exploiter. Toute l’information glanée de visu, à domicile, n’est pas encore récoltée de façon systématique. Les outils « Chemin d’enfance » (centré sur les nouveau-nés) et « Chemin de naissance » (pour les femmes enceintes) listent des points d’attention lors de ces visites (par rapport au relais vers le réseau ou vers d’autres collègues par exemple) dont le relevé est en cours de formalisation.

La prise en compte de nouveaux indicateurs est coordonnée à deux endroits : au collège médical des pédiatres et au collège des gynécologues et des sages-femmes. «On documente la thématique, on procède à des testings, on recherche l’incidence, la prévalence, la gravité du problème, où il se pose, s’il s’agit d’un problème de santé publique… Et, surtout, les possibilités d’intervention ou de prévention. Qu’en dit la littérature? Existe-t-il déjà des moyens pour collecter l’information et, si oui, sont-ils adaptés à notre environnement belge francophone? Est-ce que l’information existe ailleurs? On en est encore aux balbutiements du partage de l’information de type médical. La règlementation et la propriété des données sont à définir.» Il y a deux ans, la corpulence de la mère a été intégrée dans la banque de données. Combien de kilos une femme enceinte prend-elle en moyenne durant sa grossesse et quelles sont les différences d’une subrégion à l’autre ? «On voit qu’il y a une corrélation entre leur BMI et le poids de leur enfant à la naissance, dit S. Ndamè. C’est la première fois que nous publions cette information, et elle est très parlante. J’ai proposé une cartographie qui montre où mettre en place des programmes particuliers en matière d’alimentation de la femme enceinte, en termes de besoins nutritionnels ou en matière d’exercice physique.  Il y a un travail à mener par divers acteurs sur ce terrain-là, et notamment un travail portant sur la sédentarité.» La BDMS a aussi commencé à intégrer le (rôle du) père. «Les TMS sont en demande, poursuit-il. Son âge par exemple, mais aussi sa présence et surtout son implication sont des informations capitales. Sa place est importante pendant la grossesse et la préparation de la naissance, mais aussi dans le soutien de l’allaitement : on remarque notamment que les femmes qui ont un compagnon allaitent plus longtemps que celles qui sont seules.»

En santé communautaire, la porte d’entrée est médicale, mais la réalité est sociale. «Nous interrogeons d’autres bases de données dans ce domaine, nous consultons de nombreuses études, dont celles sur le prix des logements. Le revenu d’intégration sociale est un des aspects mis en perspective avec les données de la BDMS au niveau de nos analyses par commune. Nous brossons aussi les données démographiques. La population augmente globalement mais, en Europe, le nombre de naissances diminue, cela questionne la recherche de la couverture optimale de l’ONE en milieux d’accueil. Sans rien faire, un ministre pourrait dire qu’il a amélioré cette couverture alors que le nombre de places est resté le même!» Les données collectées sont aussi qualitatives. «L’isolement de la mère à la naissance de l’enfant est un indicateur très pertinent et la définition admise par la BDMS, qui en décrit un des aspects seulement (vivre seule), est loin d’être globale. C’est donc différent de ce qui est qualifié par ailleurs de monoparentalité. L’isolement est également différent de l’isolement relationnel ou du sentiment de solitude qui peut exister au sein même du couple.»

Des questions éthiques

Quelles informations recueillir et pour quelle finalité ? «Nous avons classé la démarche de la BDMS dans la mission de santé publique de l’ONE, la mission de santé de la collectivité. L’espèce de veille en matière de prévention de la santé que fournit la BDMS nous permet d’ailleurs de détecter la recrudescence de problèmes de santé que l’on croyait disparus, voire de les anticiper, telle que la rougeole dont on observe une baisse continue des taux de vaccination, ou la tuberculose.» Concernant la protection des données personnelles, des dispositions ont été prises depuis très longtemps. La BDMS ne contient aucun élément nominatif, tout est anonyme. Pour suivre l’évolution des enfants au fil des mois, pour voir comment se développe leur corpulence par exemple, un identifiant, un code unique, est créé. L’accès aux données est aussi très restrictif et règlementé, trois personnes seulement travaillent dessus à l’ONE (outre celles qui les encodent de manière brute dans les subrégions). En revanche, les rapports qu’elles rédigent sont publics et diffusés largement : les TMS et les autres travailleurs de terrain les reçoivent bien entendu, mais aussi les échevins, bourgmestres, CPAS, parlementaires, ministres et autres décideurs. Ces infos les concernent au premier chef et, depuis peu, des rapports de la BDMS sont établis pour chaque subrégion, de façon à coller le plus possible à la réalité de terrain.

Un levier politique

Comment passer de la collecte et de l’analyse d’informations à l’action ? La BDMS est précieuse pour interpeller les politiques. Un exemple très ancien : une analyse de la qualité de l’environnement intérieur (de la pollution intérieure) dans les logements bruxellois a mis au jour des cas d’intoxication au plomb dans d’anciens bâtiments. *A noter : le Fonds Houtman a également travaillé sur cette thématique, voir nos Cahiers n°4 (http://fondshoutman.be/cahiers/). Plus récemment : des chiffres alarmistes à propos des retards de langage ont permis de sensibiliser l’autorité de l’ONE et les autorités politiques et de financer une étude universitaire auprès des tout-petits. Cette recherche a pris de l’ampleur, pour aboutir à une sensibilisation des familles et à une formation des professionnels. Autre exemple encore : un rapport sur la prématurité a montré des chiffres en hausse à certains endroits. «Avec Cap48, l’ONE a mis sur pied un projet de suivi longitudinal d’une cohorte d’enfants jusqu’à leur entrée à l’école pour voir comment ces enfants parvenaient à regagner leur retard notamment grâce à l’intégration de la dimension de socialisation et à la psychomotricité.» Ce sont là quelques illustrations du rôle important de la BDMS pour tenter de corriger les inégalités sociales de santé.

À l’inverse, les questions parlementaires sont fréquentes et des projets portés par des politiques se basent sur ces données, comme dans le cas de l’extension des dépistages des maladies chromosomiques. «La BDMS permet également des analyses coût/bénéfice selon la problématique. Le nombre de naissances par exemple est une base utilisée pour les commandes de vaccins, la production de carnets de grossesse et de carnets de l’enfant, ou encore pour déterminer les régions prioritaires d’implantation des programmes de santé.» La BDMS sert encore au niveau opérationnel de l’ONE, pour la répartition des TMS sur le terrain quand des choix sont à opérer au cœur d’une enveloppe budgétaire fixe. «Nos analyses montrent très rapidement où les situations se sont aggravées, où il y a plus de naissances, plus de chômage… Et où accentuer notre présence.»

La problématique des grossesses à l’adolescence est un autre dossier emblématique porté par la BDMS. Elle illustre le travail en réseau tant en aval qu’en amont des chiffres. «Un des rapports de la BDMS comportant un dossier spécial sur cette problématique a ouvert une collaboration avec les mutuelles, les centres de planning familial et les universités, qui a contribué à l’intégration des programmes d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) à l’école.» Des aspects qui dépassent la mission de l’ONE, mais qui fournissent une lecture globale de la société. *A noter : le Fonds a également financé une recherche-action sur cette thématique, informations au 02/543.11.72. La BDMS ne manque pas de perspectives. Le prochain défi est d’étendre une collecte dans la continuité pour les enfants de 3 à 6 ans, une espèce de bilan de santé avant l’entrée à l’école primaire dans l’idée de créer la cohérence entre les données de la BDMS et celles de la Promotion de la Santé à l’école (PSE).

Le soutien à la parentalité, ce qui se cache derrière les mots

Le référentiel de soutien à la parentalité «Pour un accompagnement réfléchi des familles »  vise à poser des balises éthiques et des repères pédagogiques pour promouvoir des pratiques professionnelles respectueuses de l’enfant et de ses parents. Il répond également à la volonté des professionnels de s’accorder sur un langage commun autour du soutien à la parentalité. Il a été réalisé à l’initiative de l’ONE, en partenariat avec la Direction Générale de l’Aide à la Jeunesse et le Délégué général aux droits de l’enfant, avec le soutien du Fonds Houtman.

Geneviève Bazier est responsable de la Direction Recherche et Développement de l’ONE. Avec ses collaboratrices, Aurélie Dupont et Sarah Trillet, elle revient sur les évolutions de la société et des formes familiales qui, ces dernières années, ont amené les acteurs publics à réfléchir à la notion de soutien à la parentalité.

La notion de soutien à la parentalité ne date pas d’hier, mais on peut dire qu’elle a évolué. Pouvez-vous en retracer les principales étapes ?

Geneviève Bazier : Il y a une cinquantaine d’années, le soutien à la parentalité s’apparentait davantage à une forme d’« éducation parentale » et s’inscrivait principalement dans un objectif de prévention des situations de maltraitance infantile. Des événements plus récents[5] ont orienté des politiques à visées « sécuritaires », ciblant plus spécifiquement les parents de jeunes ayant commis des faits qualifiés d’infractions. On parlait notamment à l’époque de « stages parentaux »… Le soutien à la parentalité a ensuite été envisagé dans une visée plus universaliste, s’adressant à tous les parents, quelle que soit leur situation. Il s’est également peu à peu détaché de postures assimilées à du pur contrôle. Les postures professionnelles se sont peu à peu éloignées des interventions exclusivement prescriptives pour évoluer vers des modèles d’interventions plus participatives, en considérant les familles comme des partenaires à part entière. De même, il ne s’agit pas de considérer que les actions de soutien à la parentalité ne s’adressent qu’à certains groupes de familles — en situation de vulnérabilité, par exemple. Elles visent tous les parents. Si des « suivis renforcés » sont mis en œuvre pour certaines familles, c’est toujours dans l’intérêt de l’enfant ; celui-ci reste au cœur des préoccupations. Enfin, une impulsion forte a été donnée par le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a approuvé, le 23 juin 2006, une note reprenant des propositions d’action dans le domaine du soutien à la parentalité. La déclaration de politique communautaire indique clairement sa volonté d’offrir un meilleur soutien aux familles et à la parentalité. L’accompagnement et le soutien aux familles y figurent comme une action prioritaire. Pour toutes ces raisons, il s’est avéré nécessaire de s’arrêter sur la notion de soutien à la parentalité, d’y réfléchir et d’en définir les points de repère principaux et utiles à l’ensemble des professionnels qui accompagnent les familles. C’est de là qu’est venue l’idée d’un référentiel de soutien à la parentalité. Le Fonds Houtman en a soutenu l’élaboration et la mise en œuvre. Il continue à en soutenir le développement.

Comment le référentiel a-t-il été élaboré ?

Geneviève Bazier : Notre démarche était assez participative, et notre objectif était de travailler et deco-construire avec l’ensemble des professionnels en contact direct ou indirect avec les familles. Des focus groups ont été organisés avec des représentants de différents secteurs, au départ de situations qu’ils rencontraient. Nous avons réuni l’ensemble des acteurs : l’Aide à la Jeunesse, l’ensemble des secteurs de l’ONE, la santé mentale, les services du Délégué aux droits de l’enfant, l’Agence pour une Vie de Qualité (AViQ), les acteurs de l’enseignement… Plusieurs journées ont été organisées pour faire émerger leurs représentations, le sens que revêt pour eux le soutien à la parentalité et voir concrètement comment ils prennent ces questions en main au quotidien et comment ils les travaillent ensemble. Une recherche a aussi été menée avec des parents pour connaître leurs besoins, leurs attentes et leurs représentations du soutien à la parentalité. Si des professionnels devaient s’y atteler, qu’en attendraient-ils ? Ces données ont été analysées et nous avons réfléchi aux grandes questions qui en émanaient. Delà, nous avons dégagé des principes et des balises d’actions qui ont été les bases pour l’élaboration du référentiel. Ce processus a pris près de cinq ans.

Qu’est-ce qui a émergé de ces multiples rencontres ?

Geneviève Bazier : Le terme « soutien à la parentalité » et les actions qui en découlent ne font pas écho de la même manière pour tous les professionnels. Le terme « soutien à la parentalité » est polysémique : certains parlent d’éducation parentale, d’autres de coaching parental ou encore de coéducation… sans compter la notion très actuelle de burn-out parental. Les formes familiales ont également évolué dans le temps : monoparentalité, homoparentalité, coparentalité, etc. Ainsi que la place et le rôle des différents acteurs familiaux : la place des pères pour les soins et l’éducation des enfants en est un très bon exemple. Les actions de soutien à la parentalité mises en œuvre par les professionnels sont tout aussi polymorphes, allant de la simple information jusqu’à la suppléance. Il était donc prioritaire d’apporter un éclairage sur cette notion pour arriver à un langage commun et partagé par l’ensemble des acteurs. Cela pose la question de la définition du soutien à la parentalité, mais cela met aussi une série de questions sur la table, notamment la manière de travailler en réseau dans un contexte où chacun entend des choses différentes. Nous avons également réalisé une revue de la littérature, réfléchi aux notions de soutien et d’accompagnement. Des débats ont eu lieu à ce propos et nous avons retenu la définition de Bernard Terrisse qui constitue le meilleur compromis et qui fait sens pour l’ensemble des acteurs. Il définit le soutien à la parentalité comme«l’ensemble des interventions, émanant du réseau social et des organismes à caractère social, communautaire et éducatif, destinées à aider les parents dans la réalisation de leur projet éducatif».

Chaque mot est important…

Geneviève Bazier : Nous avons choisi le terme « soutien » et pas « accompagnement » parce qu’il englobe deux notions. L’une est socio-politico-économique, elle englobe le rôle des politiques qui accompagnent les parents dans l’exercice de leur parentalité, comme le congé parentalou encore l’accessibilité de places d’accueil en crèche. L’autre est pratique : c’est ce que mettent en œuvre les professionnels de première ligne quand ils sont en contact direct avec les parents.

Ce référentiel cible-t-il toujours des parents en proie à des difficultés ?

Geneviève Bazier : Non.Le soutien à la parentalité s’adresse à tous les parents. Les actions de soutien à la parentalité sont diverses et se trouvent sur un continuum. Il peut s’agir à minima d’actions de sensibilisation et d’information, de promotion. Mais ce soutien peut prendre d’autres formes : des actions visant à valoriser, renforcer, restaurer voire, lorsque la situation de la famille implique une mise en danger possible de l’enfant, suppléer les compétences parentales. Toutes ces actions sont à envisager selon une logique cumulative et non forcément exclusive, en fonction des situations. On sait aussi que les situations ne sont jamais figées, tout comme les actions qu’elles impliquent. La situation dans laquelle se trouvent les familles est variable et peut évoluer très rapidement, demandant un ajustement constant des postures de chacun des acteurs.

Comment ce référentiel se traduit-il dans les pratiques ?

Geneviève Bazier : Chaque secteur l’a reçu et l’a diffusé à l’ensemble de ses professionnels. Des journées de présentation ont également eu lieu ainsi que des accompagnements réflexifs avec chaque secteur. Il a également été utilisé dans le cadre de formations rassemblant des acteurs de secteurs différents qui, au départ du référentiel, ont pu réfléchir ensemble aux situations qu’ils rencontraient et aux actions coordonnées qu’ils mettaient en place. Au travers de ces formations, des principes et balises énoncés dans le référentiel, ils ont pu apprendre de la réalité de l’autre et asseoir les bases d’une meilleure collaboration.Le référentiel est ainsi un outil sur lequel s’appuyer, mais aussi un support de rencontres intersectorielles, où il est question de connaissance et de reconnaissance des uns et des autres. Ça, c’est pour le référentiel de base. Mais comme nous sommes confrontés à des situations et à des réalités différentes selon les secteurs, nous avons aussi réalisé des minis référentiels — que nous appelons des satellites —, toujours en co-construction avec le terrain. Un premier satellite concerne les lieux d’accueil et s’adresse à tous les professionnels de tous les types de lieux d’accueil (crèches, accueillantes, écoles de devoirs, centres de vacances…). Il répond aux spécificités de ce contexte professionnel. Le travail des professionnels de l’accueil est différent de celui des TMS et soulève une série de questions relatives à la manière dont on accorde une place aux parents dans le lieu d’accueil par exemple. Le référentiel est ainsi en co-construction continue avec les professionnels de terrain, en fonction des besoins qu’ils expriment et/ou de ceux que nous identifions. Un autre satellite est en cours de réalisation sur la périnatalité. Et un troisième abordera la vulnérabilité psychosociale des familles ; il émane de recherches-actions soutenues par le Fonds Houtman autour de la pauvreté. Nous constatons également que des équipes de professionnels s’inspirent du référentiel pour construire leurs propres outils, ce qui est une autre façon de se l’approprier. C’est ainsi qu’un document a été réalisé à destination des professionnels de l’accompagnement à la parentalité des personnes présentant une déficience intellectuelle au départ d’un travail réflexif autour du référentiel et de ses principes et balises.

4 grands principes, 6 balises

Le référentiel est un outil réflexif pour l’ensemble des professionnels. Son objectif n’est pas d’amener des réponses à des questions ou des bonnes pratiques, mais d’aider les professionnels à réfléchir à leurs pratiques et à adopter des postures professionnelles respectueuses des familles et des enfants. Aurélie Dupont et Sarah Trillet, toutes deux responsables de projet « Soutien à la parentalité », en présentent les principaux points.

Les principes

  1. L’enfant est au cœur du soutien à la parentalité. «Même quand les professionnels voient que les parents ont leurs propres difficultés, le bien-être de l’enfant doit toujours primer», expliquent-elles. Un principe à mettre en balance avec le suivant.
  2. Les parents ont des compétences. Même dans les situations les plus complexes où il est nécessaire d’éloigner les enfants de leur famille pour une période courte ou à plus long terme, il importe toujours d’envisager les compétences parentales et de continuer à les soutenir. «Jusqu’où active-t-on ces compétences pour garantir le bien-être de l’enfant… voilà souvent ce qui est difficile pour certains professionnels dans certaines situations, reconnaissent-elles. Il ne faut pas voir que le côté négatif, mais aussi ce qui est soutenant, stimuler ce qui fonctionne déjà et travailler ce qu’il faut améliorer.» Exemple ? Repartir de leur réalité, du contexte de la famille, et voir à partir de là comment les sensibiliser, comment les informer, et jusqu’où le faire. Pour certaines familles, des brochures d’information suffisent ; pour d’autres, il faudra montrer comment faire.
  3. Le soutien à la parentalité s’adresse à tous les parents. « Toutes les familles sont concernées par la complexification de l’éducation, par le déplacement des frontières entre la sphère publique et la sphère privée. On associe encore trop souvent le soutien à la parentalité à certaines formes familiales (monoparentales, recomposées, homoparentales, défavorisées…) comme si celles-ci étaient intrinsèquement porteuses de dysfonctionnements.»
  4. La prise en compte des contextes de vie est nécessaire. «D’une manière générale, le soutien à la parentalité doit toujours être guidé par un double objectif : celui de respecter les individus et de prendre en compte la diversité des codes culturels, et celui de renforcer leur autonomie. Il s’agira de nous adapter à la diversité des situations et contextes familiaux, sociaux, culturels, historiques, etc. 

Les balises

  1. Prendre le temps de l’analyse. S’assurer de ne pas passer à côté de ce que les parents souhaitent. «Voir aussi si la demande correspond à ma mission et à mon cadre de travail, ajoutent les gestionnaires de projet. Puis-je y répondre ou dois-je relayer vers d’autres secteurs?» Les professionnels de première ligne manquent souvent de temps. Or, l’établissement d’une relation de confiance, saisir les besoins des familles nécessite du temps.  
  2. Adopter une attitude de bientraitance à l’égard des parents. «C’est être à leur côté, mais ne pas faire à leur place, ne pas les court-circuiter. C’est faire avec eux, ne pas juger, avoir de l’humilité professionnelle aussi : si je ne sais pas ou si ce n’est pas dans mes cordes, alors je passe le relais ou je m’informe et je reviens vers eux. C’est aussi avoir une attitude respectueuse et être capable de se décentrer de ses propres représentations. Les familles ne vivent pas les choses avec les mêmes lunettes que moi, dès lors comment faire pour que le système de valeurs de l’un ne prime pas sur celui de l’autre?»
  3. Connaître et reconnaître les autres acteurs. «Le travail en réseau est primordial, insistent-elles. Savoir dans un premier temps qui sont les professionnels et quelles sont les associations vers qui se tourner localement ou à plus large échelle, et ensuite les reconnaître dans leurs missions et leur donner leur place. Avoir un langage commun et éviter les incohérences dans les messages que l’on fait passer aux parents. Établir un planning parce que les parents sont parfois ballotés d’un service à l’autre, ce dont on ne se rend pas toujours compte parce qu’on a notre vision propre des choses. C’est important de se coordonner entre professionnels. Il y a aussi la notion de secret professionnel partagé : ne pas oublier de mettre les parents au cœur de nos interventions et réflexions et de leur permettre d’être acteurs du réseau. Ce sont eux qui décident si une information peut être divulguée ou non et pour quelles raisons. Il importe de s’assurer qu’ils comprennent bien les raisons de décisions, de propositions qui les concernent et qu’ils marquent leur accord. On part du principe qu’ils doivent être acteurs de leur histoire et de ce soutien.»
  4. Favoriser une réflexivité sur son intervention. ««Permettre aux professionnels de disposer de lieux où ils peuvent réfléchir à leur approche et leurs pratiques professionnelles rend possible la prise de recul. Cela permet d’identifier les autres acteurs professionnels, de voir si on répond bien à la demande initiale du parent et de voir si on n’est pas en dehors de nos missions. Cela permet aussi de découvrir d’autres points de vue, à l’occasion de rencontres, de supervisions ou de formations.»
  5. Un outil pour réfléchir à l’accompagnement de la parentalité. La grille d’intelligibilité a été conçue pour aider les professionnels à se situer et à identifier les actions qu’ils proposent aux familles. L’outil permet notamment d’interroger la cohérence des interventions des différents professionnels. «Le soutien a la parentalité peut avoir plusieurs approches : suivi individuel, collectif ou communautaire.»
  6. Reconnaître collectivement les professionnels dans les risques qu’ils doivent prendre. «Ils se retrouvent parfois face à des dilemmes et pensent avoir fait le meilleur choix possible avec les informations dont ils disposaient à ce moment-là. Des choses terribles se passent parfois et il est impossible de tout prévoir. Travailler avec l’humain, ce n’est pas une science exacte. Les professionnels doivent en être conscients et les institutions qui les emploient également.»

Le site www.parentalite.be sera bientôt opérationnel. On y trouvera tous les travaux autour du référentiel. Destiné à tous les professionnels de tous les secteurs, il leur permettra également d’échanger les expériences qu’ils mènent et de débattre sur des forums.

L’accueil de tous

Faire une place à toutes les familles. C’est l’ambitieux travail de la CAIRN ONE, la Cellule Accessibilité, Inclusion, Recherches et Nouveautés. Il y est question d’enfants en situation de handicap, mais pas seulement…

La CAIRN fait partie de la Direction Recherche et Développement (DRD). C’est une cellule transversale à l’ONE, car elle concerne à la fois l’accueil, l’accompagnement, et depuis peu aussi la Promotion de la Santé à l’Ecole (PSE). Une équipe de trois personnes, correspondant à deux temps plein, a été constituée en janvier 2014, une cellule née à partir d’une task force handicap créée en octobre 2010 et regroupant les différentes directions de l’Office. C’est peu pour beaucoup, car leur travail vise autant le secteur de l’accueil des enfants de 0 à 12 ans (et plus), que le secteur de l’accompagnement des familles. La task force avait quant à elle été créée notamment à la suite du soutien par le Fonds Houtman du projet « L’intégration de l’enfant extra-ordinaire en milieu d’accueil tout-venant », mené entre 2006 et 2008 par une équipe Université de Namur & Université de Mons (DVD & manuel d’accompagnement encore disponibles auprès du Fonds).

Les initiatives spécifiques

Avant 2015, une série de projets avaient donc déjà été mis en place. Notamment aussi les projets en initiative spécifique, fruits d’une collaboration entre l’ONE et l’AWIPH (aujourd’hui AViQ). «Il s’agit d’un accord de collaboration pour créer des cellules de soutien pour les milieux qui accueillent ou vont accueillir des enfants en situation de handicap, explique François Maréchal, gestionnaire de projets à la CAIRN. Leur rôle est d’accompagner les équipes qui s’interrogent sur la manière de faciliter l’accueil de ces enfants, de lever les freins qui pourraient exister en matière de représentations, d’aménagements ou autres.

Certaines cellules offrent aussi la possibilité d’un renfort temporaire en mettant une puéricultrice à disposition des milieux d’accueil qui le souhaitent. «Nous ne sommes pas dans une logique de substitution, précise François Maréchal. Et pas question non plus d’y faire appel pour pallier des difficultés structurelles d’encadrement. Sa mission n’est pas de s’occuper de l’enfant en situation de handicap, mais des autres pour que la puéricultrice de référence de l’enfant en situation de handicap puisse bénéficier de moments privilégiés avec lui. Elle ne prend donc pas la place d’une titulaire, mais elle l’aide à renforcer sa compétence. Cette approche est fondamentale pour ne pas déposséder les puéricultrices du milieu d’accueil de leur relation de confiance avec les parents. C’est un service destiné à rassurer les professionnels, en début d’accueil par exemple, pour lui montrer que c’est possible, ou lors de moments de crise.» 

De tels services sont subsidiés par la Région wallonne. Il en existe dans chaque province : Hainaut (3), Liège (2), Luxembourg (1), Brabant wallon (1) et Namur (1). Leur soutien est généralement d’assez courte durée, de quelques jours à trois semaines, rarement au-delà. Dans une logique de réseau, des rencontres entre milieux d’accueil, AViQ, agents ONE, coordinatrices accueil et conseillers pédagogiques, permettent de faire le point sur ces accompagnements spécifiques (une vingtaine par an) et les problèmes éventuellement rencontrés.

Accessibilité ?

L’accessibilité universelle est un paramètre de la qualité. En facilitant l’accès de toutes les familles, quelles que soient leurs particularités, les professionnels ont l’occasion d’être confrontés à une diversité de situations qui impliquent une réflexion sur leurs pratiques, des ajustements et des innovations pour répondre aux nouvelles demandes, qui seront utiles pour les autres situations rencontrées au quotidien. Généralement, la diversité ne pose pas problème, c’est plutôt le rapport à la différence qui peut être difficile. Elle peut être une source de malentendus, mais aussi une occasion de rencontre. Comment faire pour que toutes les occasions données soient des ressources pour chacun et non des contraintes ?

Inclusion ?

Selon l’UNESCO, l’inclusion «est considérée comme un processus visant à tenir compte de la diversité des besoins de tous et à y répondre par une participation croissante à l’apprentissage, aux cultures et aux collectivités et à réduire l’exclusion qui se manifeste dans l’éducation.» Du côté de l’ONE, même si le terme « inclusion » est utilisé, la préférence va à cette définition : «des lieux inclusifs accessibles à tous les enfants et leurs parents, quelles que soient leurs particularités». Cette vision se construit sur la prise en compte des compétences des personnes et non sur la focalisation « de ce qu’ils n’ont pas ».

Les premières années de la vie façonnent les sphères de la santé, des apprentissages, du développement du potentiel et du bien-être de tous les enfants. D’où l’importance de soutenir les compétences de chacun d’eux, quelles que soient ses caractéristiques et dans tous les lieux de vie qu’il fréquente. Le droit à l’éducation dans un lieu éducatif complémentaire à celui de la famille pour tous les enfants est l’un des fondements d’une politique d’inclusion qui fait place aux familles monoparentales, homoparentales, en situation de handicap, de précarité, de pauvreté, d’immigration… actuellement peu présentes dans les lieux d’accueil.

Un lieu inclusif ?

Pour l’ONE, c’est «un lieu qui prend en considération les différences (richesses, besoins spécifiques…) dont chacun est porteur, qui considère chacun comme le bienvenu, quelles que soient ses caractéristiques. C’est un lieu où chacun est reconnu dans les différentes composantes de son identité, où il peut apprendre de l’autre et s’enrichir de ce que chacun apporte au groupe, où il peut participer activement et prendre la parole (sans être discriminé ou jugé comme non apte). C’est un lieu soutenu par le réseau local dans lequel il s’inscrit.»

« Article 96 »

La CAIRN gère par ailleurs les subsides qui correspondaient anciennement au Fonds européen, appelés « Article 96 », selon l’article du contrat de gestion de l’époque. Quatre projets restent aujourd’hui concernés : Bébés Rencontres à Vielsalm, Les Lucioles à Lasne, L’Arbre à Cabanes à Gosselies et Caravelles en Brabant wallon.

Ces fonds étaient octroyés pour faciliter ou améliorer l’accueil d’enfants en situation de handicap et pour le faire-savoir. À Bébés Rencontres, l’accent est porté sur la transition de la crèche à l’école. Le projet a donné lieu à une publication (disponible auprès de l’ONE) documentant le processus mis en place et les outils. Les réalisations peuvent aussi être matérielles (à L’Arbre à Cabanes, le hall d’entrée a été réaménagé pour le rendre plus accessible) ou virtuelles (Caravelles a développé un site internet pour faire connaître ses services). «La CAIRN s’assure que ces projets sont réalisés, pérennisés, et qu’ils débouchent sur une forme de documentation pour en inspirer d’autres et qu’ils aient un effet multiplicateur. C’est une condition sine qua non, ajoute François Maréchal. Nous ne finançons pas de projets one shot.»

L’extrascolaire

Une enquête menée en 2015 a mis en lumière les besoins et les difficultés des parents. Deux grands points ont émergé :

  • Certains parents ont des réticences à ce que leur enfant soit accueilli, ils craignent que les professionnels ne soient pas compétents.
  • Certains parents inscrivent leur enfant sans prévenir le milieu d’accueil de sa situation de handicap. Soit parce qu’ils ont déjà essuyé des refus, soit parce qu’ils ne sont pas encore en mesure d’accepter le handicap de leur enfant. Le milieu d’accueil le découvre en cours de route, ce qui a des conséquences sur les normes d’encadrement et sur les procédures inhérentes à l’accueil d’enfants en situation de handicap. Il faut en effet un avis préalable du conseiller pédiatre de l’ONE, indiquant que cet accueil est possible, compte tenu des ressources médicales présentes et de la pathologie de l’enfant.

Il faut que les parents soient informés pour inscrire leur enfant dans une structure extrascolaire, mais il faut aussi que l’offre corresponde à leurs besoins et à leurs demandes. «Nous nous sommes donc aussi penchés sur les besoins des professionnels, sur les difficultés qu’ils rencontraient et sur ce qu’ils mettaient en place pour les lever.» Cette enquête de terrain a débouché sur un dossier pédagogique intitulé « Ensemble, visons des lieux d’accueil plus inclusifs pour tous les enfants ». Il est centré sur l’accueil extrascolaire, les centres de vacances et les écoles de devoirs. Il présente, entre autres, huit caractéristiques d’un milieu d’accueil inclusif pour tous les enfants :

  • Élaborer et/ou ajuster son projet d’accueil en équipe.
  • Donner de la visibilité et de la lisibilité au projet d’accueil.
  • Travailler ses représentations et ses ressentis.
  • Renforcer les compétences de base des professionnels.
  • Veiller à soigner l’accueil des familles dès les premiers contacts et tout au long de l’accueil.
  • Sensibiliser les enfants à l’accueil de tous et au respect de la diversité.
  • Travailler avec les partenaires, développer un réseau local.
  • Évaluer les conditions d’accueil.

«La création de la relation de confiance est à la base de tout, souligne François Maréchal. Souvent, la famille doit d’abord se rendre compte que les professionnels sont compétents avant de se sentir à l’aise pour recevoir une série d’informations.»

Une seconde réalisation vient soutenir ce document pédagogique. «Au fil de nos accompagnements, nous nous sommes aperçus que le dossier seul ne suffisait pas, mais qu’il fallait aussi voir comment mieux accrocher les professionnels, et différemment? Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait en éducation à la santé et nous avons créé des malles remplies d’objets pour animer directement des activités inclusives avec les enfants. Nous partons du concret pour ensuite construire le sens avec les professionnels. C’était aussi très important qu’ils participent à la conception de ces malles, pour qu’elles ne soient pas déconnectées de la réalité du terrain.»

Deux types de malles sont proposés, l’un sur le sensorimoteur et l’autre sur les émotions. Il y en a seize en circulation. Impossible, pour des raisons logistiques de transport et de stockage, d’en fabriquer pour les milliers de milieux d’accueil potentiellement intéressés. Inconcevable également que tous ne puissent pas en profiter… Inimaginable encore de les livrer aux milieux d’accueil sans explication ni formation. «Nous assurons nous-mêmes un accompagnement direct des équipes et nous avons formé en parallèle d’autres accompagnateurs à la vision inclusive : les coordinatrices accueil en charge essentiellement des centres de vacances, les coordinations ATL (accueil temps libre) des communes, la coordination des écoles de devoirs. On leur a fait découvrir le dossier pédagogique et utiliser les malles de telle manière que, dans une logique de cascade, ces relais puissent accompagner sur leur terrain les opérateurs et réagir rapidement à une demande.»

Et pour aller un cran plus loin, un groupe de travail Do-it-yourself a été récemment constitué pour créer des fiches, des tutoriels permettant de fabriquer soi-même le contenu des malles. Ces fiches sont en ligne sur le site de l’ONE : https://www.one.be/professionnel/accessibilite-inclusion/demarches-et-outils/dispositif-3-12-ans/.

Une approche évolutive

Auparavant focalisée sur l’enfant en situation de handicap, l’inclusion est aujourd’hui considérée pour toutes les familles. «Comme nous sommes un service universel, nous ne souhaitions pas tenir un discours qui ne concerne qu’un seul type de public. Nous nous sommes aussi rendu compte que la plupart des activités mises en place par les professionnels étaient porteuses pour l’ensemble des familles et pas uniquement pour celles qui avaient un enfant en situation de handicap.»

Le but est aujourd’hui d’accroître la diversité au sein d’un milieu d’accueil. «Nous ne privilégions pas les milieux qui n’accueillent que des enfants en situation de handicap, à moins évidemment que ceux-ci ne nécessitent un matériel médical ou des soins spécifiques et continus.» L’inclusion concerne tout le monde et il ne faut pas oublier qu’il existe d’autres formes d’exclusion que le handicap. «En extrascolaire, je pense à un enfant tenu à l’écart du groupe, à un enfant moqué, harcelé… Ce sont des cas typiques et c’est du ressort des professionnels d’y répondre et d’accompagner les enfants pour ne pas laisser ces choses en l’état. Mais ce sont souvent des situations qu’on ne voit pas ou qu’on n’a pas envie de voir parce qu’on ne sait pas comment intervenir. Ça sort un peu du champ d’action habituel et on laisse faire… Notre accompagnement peut aboutir à cette prise de conscience.» La devise de la CAIRN, c’est que l’accueil de tous les enfants est possible. «Il s’inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant, c’est une obligation morale, mais aussi une obligation juridique d’y répondre», conclut François Maréchal.

Maltraitance sexuelle infantile : (in)former les professionnels

Comment les enfants victimes d’abus sexuels sont-ils pris en charge à leur arrivée aux urgences de l’hôpital, dans un service SOS Enfants ou lors de consultations médicales? Deux recherches-actions ont permis d’établir un protocole pour une intervention globale et coordonnée.

 Entre 2008 et 2010, le Fonds Houtman a initié une première recherche-action pour dresser un état des lieux dans les hôpitaux, les cabinets médicaux privés et auprès des équipes SOS Enfants. Constats majeurs : la disparité des procédures est très grande et il n’y a pas assez de coordination entre les différents services.

Cette cartographie a permis de baliser une deuxième phase de travail, menée en 2014-2015, et dont l’objectif était d’harmoniser la prise en charge des enfants, en présentant une série de recommandations. Aurore Dachy, criminologue et sociologue, a été engagée par le Fonds Houtman pour en assurer la coordination. «Je ne dépendais alors d’aucune institution, dit-elle. Ça mérite d’être souligné, car si j’avais porté la casquette d’un service en particulier, je n’aurais pas eu cette liberté d’action et d’analyse.»

Son travail a favorisé plusieurs types de recommandations, dont l’écriture de protocoles de prise en charge de l’abus aux urgences pédiatriques, et l’élaboration de conventions entre les hôpitaux et les équipes SOS Enfants. Il était aussi question de créer des centres d’expertise.

Un comité d’accompagnement « élargi » de ce travail a été constitué. Ses membres — cinq équipes SOS Enfants et autant de structures hospitalières — ont été présents tout au long de la recherche. «Ça aussi, c’est très intéressant, ajoute Aurore Dachy. La recherche n’a pas été menée dans un coin. D’ailleurs, ce comité est toujours actif aujourd’hui.» Ces professionnels ont nourri les débats de leur expérience (l’isolement des médecins face à ces problématiques d’abus), rappelé de n’oublier personne (les hôpitaux les plus éloignés) … C’est au cœur du comité aussi qu’a germé l’idée de créer un site internet pour transmettre des guidelines à un maximum d’intervenants susceptibles d’être confrontés à de la maltraitance sexuelle infantile. «Certes, nuance Aurore Dachy, un site internet ne remplacera jamais une formation, mais il permet de disposer en temps réel de l’information nécessaire.»

Un protocole commun

L’idée d’établir un protocole commun de prise en charge de l’abus sexuel n’a pas été simple à concrétiser. «Il y avait vraiment de grosses disparités locales, qui s’expliquaient cependant : elles étaient parfois le fruit de choix institutionnels, mais aussi d’une réalité de terrain qui imposait de fonctionner d’une certaine manière. Quand il n’y a pas de services d’urgences pédiatriques dans une province, par exemple, il faut forcément s’organiser autrement. Et quand il n’y a pas de services de santé mentale, les équipes SOS Enfant font davantage d’interventions de type thérapeutique.»

Des lignes de conduite ont été élaborées, les plus larges possible afin de convenir à tous les intervenants. «Certaines, très pratiques, peuvent sembler un peu répétitives pour les services vraiment spécialisés. Mais elles agissent aussi sur eux comme une piqûre de rappel. J’en ai rencontré qui ne connaissaient pas encore certains traitements administrés, en matière de maladies sexuellement transmissibles notamment.»

Aurore Dachy continue de présenter les résultats de la recherche à différents organes, comme elle l’a fait notamment dans plusieurs commissions maltraitance, commissions qui réunissent tous les acteurs compétents en matière de prise en charge de la maltraitance infantile, par arrondissement judiciaire. Sa participation à un prochain congrès international francophone sur l’agression sexuelle contribuera à faire connaître ce travail internationalement.

Sur le terrain, l’implémentation des recommandations de la recherche se poursuit, avec de belles réussites, comme à Charleroi. «Là, un protocole permet aux trois structures hospitalières principales et au parquet de s’accorder quand il y a un enfant victime d’abus sexuels en urgence.» Pour améliorer le travail en réseau et améliorer la collaboration, la recherche encourage aussi l’établissement de conventions entre les équipes SOS Enfants et les services hospitaliers.

Des centres d’expertise ?

La création de centres d’expertise est un sujet sensible. «La crainte la plus objective étant qu’en sur-spécialisant un ou plusieurs centres, on allait isoler davantage certains hôpitaux qui l’étaient déjà concernant ce type de prise en charge. Si on crée un centre d’expertise, il faut aussi penser à ce que les autres restent outillés; qu’ils puissent se référer à ce centre, mais en même temps être opérationnels pour des abus en aigu, car dans ces situations le temps compte, il faut réagir, poser certains actes très vite.»

Leur création n’a donc pas eu lieu, d’autant que se sont ouverts entretemps trois centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles (CPVS), destinés aux adultes. «C’est une initiative de la Secrétaire d’État à l’Egalité des chances. Il s’agit du CHU Saint-Pierre de Bruxelles, de l’hôpital universitaire de Gand et du CHU de Liège (Bruyères). L’ONE reste très attentif à ce que la prise en charge de l’enfant n’y soit pas assimilée à celle d’un adulte et à ce qu’on lui accorde une attention particulière.»

Le site internet

C’est la partie émergée de ce vaste travail. Le site www.maltraitancesexuelleinfantile.be présente la marche à suivre dans de telles situations. Quels sont les signes d’alerte ? Qui solliciter ? Dans quels délais ? Il présente les protocoles de différents hôpitaux et de différents services (SOS Enfants, Aide à la Jeunesse…) auxquels se référer. Quant aux procédures recommandées, elles sont précisées selon que l’intervenant concerné est un médecin intra- ou extrahospitalier.

Le Fonds Houtman n’a pas pour mission de porter indéfiniment les projets qu’il soutient. Deux ans après son lancement, ce site regagnera la coupole ONE, à l’instar d’Aurore Dachy qui est aujourd’hui gestionnaire de projets au service SOS Enfants. La continuité : un principe cher à ces deux partenaires institutionnels.