Pour aller plus loin ...

1. « Dessine-moi des espaces de récré-action… pour mieux vivre ensemble notre école » par le Service des Sciences de la Famille de l’Université de Mons

2. « Création d’une formation en « Gestion des espaces de récréation » reposant sur une méthodologie universitaire de prévention des violences – Expérimentation-évaluation-intégration » par la Ville de Liège et son ASBL Autour de l’Ecole

3. « Les ateliers du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège »

4. « Be cool @ school » par l’AMO Le Cercle

5. « Récré’action – Récré’motion » par l’école Saint-Walfroy (Pin-Chiny)

6. « Cultivons la non-violence à l’école » par l’AMO Le Déclic et le Planning Familial La Passerelle

7. « Aménageons et structurons notre cour de Récré-Action pour mieux vivre ensemble ! » par l’Institut médico-pédagogique René Thône

8. « Pas juste des récréations mais des récré-actions ! Pour une cour de récré rêvée pour tous et pour chacun ! » par l’école communale bilingue de Bois-de-Lessines

9. « Place aux mots » par l’ASBL Latitude Jeunes du Centre, Charleroi et Soignies

1. « Dessine-moi des espaces de récré-action… pour mieux vivre ensemble notre école » par le Service des Sciences de la Famille de l’Université de Mons

Après un premier ouvrage sur le sujet, Bruno Humbeeck et l’équipe montoise déploient cette fois plus spécifiquement à l’enseignement spécialisé de types 1, 3 et 8 les principes de régulation, de stimulation et de pacification des espaces de récréation afin de mettre en place des espaces de citoyenneté. Dix-huit écoles ont participé à la recherche-action soutenue par le Fonds. Chacune s’est approprié le projet à des niveaux divers et les résultats montrent une évolution positive de la manière d’envisager les espaces récréatifs. L’expérience UMons, combinée aux autres soutenues, a fait l’objet d’un livre : Aménager la cour de récréation en un espace où il fait bon vivre[1].

1.          Rappel des principes

La cour de récréation est un espace impensé de l’école et sur lequel on a très peu agi. «On en a fait un espace de vacances en laissant les enfants se débrouiller tout seuls. Or les enfants ne vont pas naturellement s’autodiscipliner, être altruistes… Si vous dressez des murs autour d’un espace, cela devient un territoire. Et si vous mettez des enfants ou des adolescents sur un territoire, vous allez inévitablement générer de l’agressivité qu’il va falloir gérer», résume Bruno Humbeeck.

Le psychopédagogue rappelle les fondements du projet. «Il fait partie d’un dispositif complet dont le principe est la prévention du harcèlement. C’est un projet qui permet aux enseignants et aux écoles de contrôler des territoires sur lesquels ils ont à travailler. La cour de récréation en fait partie et c’est un territoire important. Pour contrôler un territoire, les flux sur un territoire ou les regroupements, vous devez pouvoir mettre en place des règles précises pour tout le monde. C’est aussi ce qui va permettre de stimuler des cours de récréation, car si vous ne les stimulez pas, vous ajoutez du désordre à du chaos. Évidemment, il s’agira aussi de les pacifier. Le dispositif devient alors complet et génère du vivre-ensemble.» Cependant, tout cela ne se construit pas spontanément…

2.       Plusieurs outils

Des outils permettent de multiplier les modalités de gestion des difficultés vécues à la récréation en s’appuyant soit sur les ressources individuelles de l’élève, soit sur celles du groupe… et le plus souvent sur la combinaison des unes et des autres.

«Il y a une nuance entre les techniques et les méthodes, explique Bruno Humbeeck. Une méthode dit comment faire, et pas autrement. Les gens peuvent en revanche s’accommoder d’un ensemble de techniques en fonction de l’orientation qu’ils veulent donner : c’est modulable. Il y a une énorme créativité autour de ce projet. Du moment que les enseignants me disent qu’ils s’y retrouvent, c’est que c’est bon. Mais s’ils me disent qu’ils ont encore des soucis, c’est qu’ils ont tendance à jouer avec les règles… Or la règle doit être la même partout. C’est ça, les techniques : des principes les valident, mais il existe une variété de mises en application. Et surtout elles sont compatibles avec toutes les pédagogies, institutionnelles, actives ou traditionnelles.»

Les espaces de parole régulés

Les espaces de parole régulés sont réservés à l’expression d’affects suscités par des situations relationnelles difficiles. C’est un outil particulièrement utile pour rééquilibrer les rapports de pouvoir au sein de la classe ou dans la cour de récréation et gérer les relations de domination qui produisent de la souffrance.

L’adulte intervient pour favoriser et protéger la parole de chacun au sein du groupe. C’est à lui qu’il appartient de protéger les contenus émotionnels (« une émotion se dit, ne se contredit pas ») en empêchant toute tentative ébauchée par un membre du groupe pour en freiner l’expression en la nuançant, en la discutant dans ses fondements ou en la déniant. L’adulte favorise l’expression complète de l’affect en empêchant d’interrompre celui à qui il a confié le bâton de parole. Il empêche aussi le groupe d’expression de se transformer en lieu d’accusation. Enfin, il favorise la stimulation des ressources du groupe en se retenant de proposer lui-même la moindre ébauche de solution.

Les espaces de parole régulés sont organisés régulièrement.

Les bancs de réflexion : empêcher le conflit plutôt que chercher à le gérer

Le premier réflexe de l’adulte confronté à un différend est souvent de tenter de le gérer en déterminant les torts des uns et des autres. Ici, à chaque conflit, ébauche de conflit voire simulacre de conflit, les enfants concernés sont invités à prendre place sur des bancs de réflexion. Ils ne sont ni punis ni sanctionnés, mais priés de quitter la zone conflictuelle et séparés pour prendre le temps de réfléchir aux manières plus productives qui s’offrent à eux pour dépasser ce conflit. Cela leur donne surtout l’opportunité de comprendre que les conflits ne sont pas tolérés dans la cour de récré et cela concrétise le tout dans la réalité.

Si le conflit a un retentissement émotionnel, l’enfant sera invité à l’évoquer dans le prochain espace de parole et, s’il a enfreint une loi (en frappant ou en tenant des propos racistes ou discriminatoires), il pourra choisir parmi les adultes un porte-voix qui donnera son explication lors du conseil d’éducation disciplinaire au cours duquel l’écart comportemental sera évoqué. Les bancs de réflexion s’assimilent à des outils didactiques qui prennent leur signification en regard du dispositif de prise en charge plus complet mis en place au sein de l’école pour prévenir les comportements et les conduites violents entre élèves.

D’un point de vue pratique, ces bancs doivent être suffisamment éloignés l’un de l’autre pour que les protagonistes du conflit ne soient plus en mesure de prolonger le contact et de maintenir la communication agressive. Ils gagnent à être situés en bordure de la cour de façon à transmettre le message que les conflits et les disputes sont « hors-jeu » de l’espace récréatif. Les bancs de réflexion constituent une composante essentielle des cours régulées.

Les bancs d’amitié

Le principe est simple : lorsqu’un enfant se sent seul ou lorsqu’il se perçoit comme isolé et en souffre, il s’installe sur le banc et attend que d’autres viennent le chercher.

Les conseils de citoyenneté

Ils sont organisés lorsqu’un aménagement doit être proposé pour faciliter la vie en groupe : affectation ou élargissement d’une zone, accord groupal sur les règles d’un jeu, décision qui concerne la vie de toute une classe… Dans ce cadre, l’adulte intervient juste pour garantir le respect des règles démocratiques et entériner les prises de décision. Il pose également les règles qui permettent de déposer les amendements et garantit également le droit d’expression aux minorités. Les conseils de citoyenneté sont généralement programmés une fois par mois.

Le baromètre du climat de classe

En se basant exclusivement sur ses observations ou sur son ressenti, un enseignant risque de ne percevoir la dégradation que tardivement, lorsqu’elle aura déjà passablement gangréné la vie collective du groupe et produit une souffrance excessive chez certains de ses membres. Le baromètre du climat de classe prend la forme de trois ustensiles transparents susceptibles d’être remplis par de petites boules vertes, jaunes ou rouges selon la qualité de la récréation que l’enfant vient de vivre. Le baromètre permet à l’adulte de prendre des initiatives en fonction de ce qu’il révèle, par exemple renvoyer aux espaces de parole les problèmes soulevés.

3.       Un contexte idéal

«Il faut trois ans pour installer un projet complet», évalue Bruno Humbeeck. Si sa continuité est liée au matériel utilisé, elle dépend intimement de trois grandes composantes : une cohérence pédagogique, une cohésion de l’équipe et une adhésion de la direction au projet. «Si l’une de ces composantes change, la direction par exemple, le projet va continuer avec les deux autres points d’appui du triptyque. Maintenant, si vous n’avez pas de cohérence pédagogique et pas de cohésion de l’équipe au moment où le directeur s’en va, ça va être compliqué…».

4.       Résultats de la recherche-action

Les écoles d’enseignement spécialisé participant au projet-pilote se sont investies à des degrés variés. Dans quatre d’entre elles, les changements ont semblé superficiels. Les infrastructures n’ayant pas été modifiées, rien ne laisse présager leur maintien dans la durée au-delà de la phase expérimentale. Cinq écoles ont montré des indices tangibles de changement (cour régulée avec marquage et équipement sommaire des zones), mais ils restent limités à la modification de la configuration de la cour. Six écoles ont montré ces mêmes indices de manière plus probante (le territoire récréatif est régulé avec des matériaux durables et l’équipement de la cour apparaît à la fois plus consistant et mieux réfléchi en fonction du projet pédagogique). Elles ont étendu la mise en œuvre du projet en l’associant à la mise en place d’espaces de parole régulés et/ou de conseils d’éducation disciplinaire qui se constituent comme de véritables espaces de citoyenneté et d’apprentissage des principes de la démocratie. Ces six écoles ont incontestablement inscrit le projet d’aménagement de la cour dans une logique de développement éducatif durable.

Enfin, cinq écoles (Mont-sur-Marchienne, Erquelinnes, Leuze, Chimay, Verviers) ont mis en place le projet d’aménagement de manière lisible et accessible en l’intégrant aux structures institutionnelles de l’école. «Elles entendent également le rendre reproductible et proposent de servir de modèles ou d’illustrations aux autres institutions scolaires du même type tentées de se lancer dans l’expérience. Elles sont en outre en mesure de devenir des tuteurs pour la mise en place du projet dans les écoles similaires», ajoute Bruno Humbeeck.

5.       Des formations pour diffuser

La diversification des supports offre une meilleure diffusion du projet et assure son inscription dans une logique de développement éducatif durable. «C’est pour cette raison que nous avons mis en place un cycle de conférences et formalisé une formation spécifique, explique le psychopédagogue. Il s’agit de trois séances d’une demi-journée destinées à la direction, au personnel éducatif et enseignant de l’institution scolaire spécialisée et à l’ensemble des professionnels partenaires de l’école ou concernés par la mise en œuvre de son projet pédagogique.» Cette formation favorise l’implémentation du projet, son appropriation par l’ensemble des membres de l’équipe scolaire et parascolaire et son inscription dans les structures institutionnelles de l’établissement (ROI, projet d’établissement, etc.).

Séance 1 : Méthodologie de la régulation d’un territoire

Qu’est-ce qu’un territoire récréatif? Pourquoi cet espace scolaire génère-t-il de l’agressivité? En quoi cette agressivité est-elle naturelle? Quelles sont les caractéristiques spécifiques d’un territoire récréatif dans l’enseignement spécialisé? Comment mettre en place des règles qui permettent de contrôler efficacement ce territoire? Qu’est-ce qu’une règle? Comment fait-on la distinction entre la notion de règle, de norme ou de loi? Comment rendre les règles visibles, lisibles et applicables dans une cour de récréation? Comment faire du zonage une étape de la régulation? Comment faire en sorte que la régulation soit intelligible, compréhensible et non discriminatoire pour les enfants «différents»? Qu’est-ce qu’une cour de récré inclusive? En articulant la définition précise des concepts et leur opérationnalisation sur le terrain des cours de récréation en enseignement spécialisé, cette séance doit permettre aux participants de connaître, analyser et comprendre les enjeux de la régulation du territoire récréatif scolaire et les techniques qui permettent de la réaliser, de synthétiser les procédures méthodologiques qui en facilitent l’application didactique et de produire les innovations qui permettent l’appropriation du projet par les acteurs de l’école et son inscription dans le projet d’établissement.

Séance 2 : Le « vivre-ensemble » dans les espaces récréatifs

Comment gérer les conflits dans une cour de récréation? Quel est le rôle attendu de l’adulte dans la résolution des tensions qui se produisent entre les élèves pendant le temps de récréation? À quoi servent les bancs de réflexion et les bancs d’amitié? Comment les utiliser dans l’enseignement spécialisé? Comment tenir compte des émotions de l’élève et en favoriser l’expression socialisée dans des espaces adaptés? Qu’est-ce qu’un baromètre de classe? Qu’est-ce qu’un tableau à Post-it émotionnels? Comment en faire des instruments didactiques adaptés aux caractéristiques des enfants? Comment mettre en place des espaces de parole régulés en tenant compte des spécificités de l’enseignement spécialisé? Comment tenir des conseils d’éducation qui rappellent aux élèves les «lois» qui ont cours au sein de l’école et notamment dans les espaces récréatifs qu’elle se doit de contrôler? Comment gérer les rapports de domination qui se manifestent pendant la période récréative? Cette séance favorisera le sentiment de maîtriser ce qui se produit au sein des groupes-classes dans et autour des cours de récréation, dans le contexte spécifique de l’enseignement spécialisé. Les participants connaîtront, analyseront et comprendront mieux les enjeux de la gestion du climat scolaire et les techniques qui permettent de la réaliser de manière efficace en favorisant la mise en place de cours pacifiées et en s’appuyant sur l’intelligence émotionnelle et collective du groupe, de synthétiser les procédures méthodologiques qui en facilitent l’application didactique. Tout cela permettra de produire les innovations à travers lesquelles il apparaît plus efficace d’apaiser les conflits sur la cour de récréation, de générer du vivre-ensemble auprès de ceux qui la fréquentent et de mettre en place les conditions de « convivance » au sein des groupes qui l’occupent pendant les temps récréatifs.

Séance 3 : La cour de récréation comme un jeu d’enfants

Qu’est-ce qu’un jeu d’enfants? Comment le distinguer d’un jeu pour enfants? Comment stimuler une cour de récréation en tenant compte de ce qu’elle a de spécifique dans l’enseignement spécialisé? Comment proposer des stimulations adaptées? Comment faire en sorte que la stimulation ne donne pas le sentiment d’ajouter du désordre au chaos? Comment les activités ludiques et sportives permettent-elles de canaliser ou de sublimer l’agressivité? Comment distinguer un jeu compétitif, collectif, coopératif ou «de société»? Quel est le rôle de l’adulte dans un jeu d’enfants? Comment mettre en place des supports ludiques adaptés aux élèves fréquentant l’enseignement spécialisé? Comment intégrer la réflexion pédagogique relative à la stimulation des cours de récréation à celle qui définit le projet d’établissement de l’école? En décrivant les supports ludiques et sportifs efficaces pour stimuler une cour de récréation, en tenant compte des caractéristiques des élèves qui la fréquentent et du projet pédagogique dans lequel l’école inscrit sa réflexion, cette séance permettra aux adultes de concevoir le rôle et la fonction qu’ils peuvent être amenés à jouer lorsqu’il est question de stimuler, d’organiser ou de surveiller des enfants mis en situation de jeu. Elle permettra aux participants de connaître, d’analyser et de comprendre les enjeux de la stimulation ludique d’une cour et les techniques qui permettent de la réaliser de manière efficace. Il sera notamment question de permettre, dans des conditions de sécurité et de confort, la diffusion d’une pédagogie implicite différente, mais complémentaire de celle qui se réalise en classe, de synthétiser les conditions matérielles et didactiques qui doivent être rencontrées pour en concrétiser la réalisation et de produire les innovations qui permettent de stimuler une cour de récréation au bénéfice de l’ensemble des élèves et en facilitant le rôle des adultes qui ont pour fonction de contrôler ce qui s’y produit et d’anticiper ce qui peut y arriver.

6.       Des films pour montrer

Deux films ont été réalisés dans le cadre de l’émission « Une éducation presque parfaite »[2] pour montrer concrètement comment il est possible de mettre en place des cours de récréation régulées dans les écoles d’enseignement spécialisé. Un troisième film suit plus particulièrement quatre élèves et montre comment les enfants « différents » utilisent l’espace récréatif lorsqu’il est régulé et stimulé dans le contexte d’une école inclusive pour améliorer leur socialisation, en s’appuyant sur un sentiment de sécurité mieux assurée et faire preuve d’une assertivité mieux contrôlée. Un quatrième film illustre de manière didactique ce que sont des cours de récréation stimulées. Un cinquième compile des images tournées dans plusieurs écoles, et un dernier devrait faire la démonstration de ce à quoi ressemble une cour pacifiée en montrant notamment le fonctionnement des bancs de réflexion et des bancs d’amitié.

7.       Des livres pour expliquer

Le livre Aménager la cour de récréation en un espace où il fait bon vivre (Editions De Boeck-VAN IN, 2019) est une sorte de guide méthodologique permettant de faciliter la régulation, la pacification et la stimulation des espaces récréatifs au sein de l’école. Un second ouvrage est consacré plus spécifiquement aux cours de récréation en enseignement spécialisé ou dans les écoles inclusives. Provisoirement intitulé Des cours de récréation différentes pour des enfants extraordinaires, il vise à rendre compte de la méthodologie spécifique mise en place pour mettre l’institution scolaire non seulement à la disposition de tous, mais aussi à hauteur de chacun.

8.       Quelques innovations pédagogiques

Il s’agit parfois d’un simple réajustement. Exemples : tenir compte de la mobilité réduite des enfants dans les couloirs ou dans l’espace récréatif, recourir à un équipement spécifique pour ouvrir les espaces d’expression émotionnelle à des enfants limités dans leur potentiel expressif par des symptômes autistiques. «Dans le premier cas, la pose de lignes blanches au centre des couloirs et l’injonction à “tenir sa droite ont permis de gérer les flux avec davantage de sécurité et de fluidité. Dans le second cas, des émoticônes facilement accessibles permettent d’étayer la prise de parole d’un adulte “porte-voix : celui-ci se charge d’expliquer verbalement le contenu émotionnel de l’enfant qui, de son côté, l’encourage à poursuivre en exerçant une pression sur sa main chaque fois que ce qui est dit correspond à ce qu’il souhaite exprimer et partager avec le groupe, illustre Bruno Humbeeck. Ces adaptations démontrent la vitalité qui caractérise généralement l’enseignement spécialisé et son aptitude à produire de véritables innovations pédagogiques.»

Les bulles proxémiques

Tout le monde peut éprouver le besoin de disposer d’un espace où il ne risque pas d’être envahi par les autres.

Dans l’espace où il n’est permis ni de courir ni de jouer au ballon, les bulles proxémiques prennent la forme de cercles jaunes d’un mètre trente à deux mètres de diamètre dans lesquels l’enfant qui veut « avoir la paix » est libre de prendre place. Aucun autre enfant n’est autorisé à pénétrer la bulle proxémique lorsque celle-ci est occupée.

«Ces bulles montrent une véritable utilité dans les écoles inclusives, dans lesquelles les “enfants différents éprouvent souvent le besoin de se soustraire aux stimulations et à l’envahissement que leur imposent les autres, souvent avec beaucoup, peut-être trop, de bienveillance, note-t-il. La bulle proxémique est une manière commode de s’isoler en restant parmi les autres. »

Les Post-it émotionnels

Postposer le règlement d’une situation à un moment et dans un lieu mieux adapté à sa prise en charge ; résister à l’idée d’une urgence de donner une réponse immédiate, mais insuffisante, à une difficulté, reporter à un moment où on sera disponible pour se centrer véritablement sur le problème… Les espaces de parole ne doivent pas nécessairement se tenir immédiatement, donnant le sentiment d’une crise que l’on cherche à tout prix à éviter, mais plutôt s’organiser régulièrement en suivant un rythme suffisamment identifiable par les élèves. «Une telle attitude n’est pas toujours compatible avec les enfants plus petits ou avec ceux qui manifestent des formes d’intolérance à la frustration rendant les passages à l’acte fréquents et difficiles à contenir, précise le psychopédagogue. Ces enfants supportent difficilement de ne pas être pris en considération tout de suite.»

Les tableaux de Post-it permettent à l’élève qui vient de subir une épreuve qu’il juge pénible de poser une vignette décrivant ce qu’il vient de vivre, de transmettre une émoticône décrivant l’état dans lequel l’a mis l’évènement. Le Post-it sera enlevé dès que le problème aura trouvé une voie de résolution. Si le Post-it est maintenu jusqu’à la mise en place de l’espace de parole, celui-ci commencera par l’évoquer.

Le « crioir »

Les cours de récréation produisent naturellement des cris et des hurlements. «Inutile de chercher à les éviter, prévient Bruno Humbeeck. Mais il est possible de canaliser les hurlements en invitant paradoxalement l’enfant à… crier le plus fort possible, à un endroit spécifique.» C’est le rôle d’un crioir posé dans un coin de la cour. Cette façon d’autoriser les cris et les hurlements en les prescrivant évite qu’ils se produisent partout, et notamment dans les espaces plus calmes que propose une cour régulée.

Les rangs identitaires

Ils favorisent le processus par lequel l’enfant se centre sur le statut d’élève qui redevient le sien une fois que la sonnerie retentit. Il identifie aussi ce même changement de statut chez son enseignant, qui reprend sa fonction de maître de classe.

Il suffit de tracer à l’endroit choisi des ronds jaunes correspondant au nombre d’élèves de chaque classe et un rond orange sur lequel l’enseignant responsable du groupe viendra se ranger. Une première sonnerie signale à chacun qu’il doit se diriger vers son rang et se positionner. Une seconde sonnerie quelques minutes plus tard donne le signal pour avancer. «Dans l’enseignement spécialisé, dit Bruno Humbeeck, il est fréquent d’associer à ces rangs identitaires un moment de respiration de plusieurs minutes. Cela donne à l’enfant le temps de se recentrer sur son identité scolaire d’élève. On constate que l’élève améliore son aptitude à se concentrer sur ses apprentissages dès son retour en classe. Cet outil contribue à diminuer significativement l’impact de la période de flottement qui se manifeste entre la récréation et la reprise des cours.»

9.       Difficultés

La recherche-action s’est heurtée à trois difficultés majeures plus spécifiques à l’enseignement spécialisé : une hypoparentalité, des bâtiments scolaires parfois détériorés et des institutions d’enseignement secondaire peu intéressées par le travail dans la cour de récréation.

Faible implication parentale

La dynamique des parents est très différente dans l’enseignement spécialisé, ils sont moins impliqués. Fatigués, ils utilisent l’école comme une soupape, ils sont moins invasifs avec tout ce que cela comporte : ils investissent peu les réunions initiées pour expliquer le projet et leur participation à l’aménagement des cours de récréation est très difficile à stimuler.

Moins grande mobilisation de l’enseignement secondaire

Le personnel enseignant investit davantage les couloirs que les cours de récréation. Les écoles secondaires impliquées dans le projet ont pris davantage d’initiatives de régulation dans les lieux de passage et ont préféré concentrer leur attention sur la gestion des flux que sur celle des regroupements. L’attention a aussi été beaucoup plus portée sur les espaces de parole et les conseils de discipline que sur la régulation et la stimulation des espaces extérieurs à la classe.

Mauvais état du bâti scolaire

Pour un certain nombre d’écoles, le travail réalisé dans les cours de récréation semble peiner à mobiliser l’attention aussi longtemps que la remise en état du bâtiment et de la cour n’a pas été prise en considération. «Parce que le bâti est plus ancien et dégradé, la cour de récréation est apparue comme quelque chose de secondaire, explique Bruno Humbeeck. Les enseignants sont devant une forme d’urgence pédagogique : comment faire société avec des enfants qui spontanément ne sont pas outillés pour vivre ensemble? La cour de récréation a servi de biais pour parler de problèmes plus urgents auxquels ils sont confrontés. C’est un focus très opératoire qui nous permet d’agir aussi sur d’autres aspects.»

10.     Se regrouper et fédérer les expériences

La « tutorisation » par les écoles qui devaient servir de vitrines aux autres institutions fournit des résultats très contrastés. Seule l’école inclusive reçoit de réelles demandes d’accompagnement dans le développement de projets d’établissements du même type. Pour les autres, il s’agit de demandes de renseignements allant rarement jusqu’à la visite des lieux.

La difficulté des écoles d’enseignement spécialisé de « sortir de leurs murs », l’impression d’être confrontées à des problèmes spécifiques et la difficulté qui en résulte de se fédérer constituent des freins à la mise en place de cette stratégie pédagogique d’écoles-témoins. Elles sont renvoyées à la spécificité de l’accompagnement scolaire qu’elles proposent et aux caractéristiques de leurs élèves. «Pour inscrire un projet de réaménagement des cours de récréation dans une perspective de développement éducatif durable dans l’enseignement spécialisé, il faut sans doute privilégier une approche lente, en accompagnant les institutions les unes après les autres dans leur singularité, plutôt que d’espérer une métamorphose rapide induite par un modèle qui n’aura pas pris le temps de s’enraciner dans leurs pratiques didactiques et les routines pédagogiques propres.»

11.     Conclusion

«Toutes les innovations pédagogiques ont été produites en maternelle ou dans l’enseignement spécialisé. Si ça marche avec des tout-petits ou avec des enfants à qui vous n’êtes pas en mesure d’enseigner des choses de manière formelle, ça passera ailleurs aussi. On a vu des équipes se mobiliser complètement, et celles qui étaient découragées retrouver des moyens de se remobiliser», dit Bruno Humbeeck. C’est un projet qui booste parce qu’il est visible et parce qu’il respecte aussi l’identité des enseignants. «Il ne doit pas leur faire perdre de temps, au contraire, il est soucieux de leur efficacité. Que souhaitent-ils? Comment voient-ils les choses? Les enseignants sont les vrais acteurs du projet. On voit ensemble comment assurer leur confort en répondant à leurs vrais problèmes et pas en apportant des réponses simplifiées qui n’en sont pas. On respectait leurs attentes : moins de violence dans l’école, entre eux, entre enfants, de la part des enfants vis-à-vis d’eux», ajoute-t-il.

12.     Contact

UMons, Service des Sciences de la Famille : Place du Parc 18 à 7000 Mons ; tél. : 065 37 31 58 ; courriel : willy.lahaye@umons.ac.be (Chef de service) ; ou tél. : 065 37 31 14 ; courriel : bruno.humbeeck@umons.ac.be (Chargé de recherche).

2. « Création d’une formation en « Gestion des espaces de récréation » reposant sur une méthodologie universitaire de prévention des violences – Expérimentation-évaluation-intégration » par la Ville de Liège et son ASBL Autour de l’Ecole

La Ville de Liège, en collaboration avec son ASBL Autour de l’école, a également choisi d’utiliser la méthodologie élaborée par l’UMons pour aborder son action dans les cours de récréation. «Nous avons proposé à neuf écoles d’expérimenter ces quatre grands piliers : la structuration spatiale, le travail sur les règles et les sanctions, l’introduction d’espaces de parole régulés et les conseils de discipline, explique Gwenaëlle Laureys, responsable du pôle enfance et coordinatrice ATL de la Ville de Liège, tout en renommant les deux derniers items pour mieux refléter ce que nous avons tenté de faire : libérer la parole en travaillant sur l’intelligence collective et gérer les comportements inadéquats et les conflits.» À la différence d’expériences menées dans d’autres écoles, l’accent a été mis sur le travail avec et pour les accueillants extrascolaires. «On les oublie trop souvent alors qu’ils sont une cheville importante de l’éducation de nos enfants. Ce sont eux qui passent le plus de temps dans les espaces de récréation», poursuit Gwenaëlle Laureys. C’est aussi un personnel fragilisé : salaire peu attractif, horaire partiel ou coupé, travail dans le froid et dans le bruit, contrats à durée déterminée… «Les rares personnes qualifiées ne restent que le temps de trouver un emploi plus stable et mieux rémunéré.»

En parallèle, les familles changent. Les femmes travaillent et le divorce multiplie le nombre de familles monoparentales pour qui l’accueil extrascolaire est primordial. « La demande augmente, mais la qualification du personnel encadrant a diminué depuis que les budgets alloués ont été revus à la baisse et que, par conséquent, les enseignants ne remplissent plus cette mission. Du coup, souvent, la qualité s’en ressent», résume la coordinatrice ATL.

Dans le milieu urbain et multiculturel liégeois, les accueillants extrascolaires sont presque exclusivement des femmes, souvent d’origine étrangère ou d’un milieu socioéconomique et culturel plutôt défavorisé. Souvent de très bonne volonté, elles se sentent rarement compétentes. Elles sont également très isolées au sein de l’école. Elles travaillent lorsque les enseignants sont absents et inversement. Leurs horaires ne prévoient aucune concertation ni préparation. «Nous nous sommes donc attachés à recréer du lien au sein des écoles, faisant l’hypothèse que la gestion des espaces de récréation s’améliorerait si les accueillants extrascolaires étaient mieux outillés, intégrés et soutenus par l’équipe pédagogique, mais aussi revalorisés dans l’école», précise-t-elle.

Un accompagnateur pédagogique a été engagé pour soutenir ces accueillants. «Mon rôle est de créer du lien entre les différents protagonistes des écoles, la direction, les enseignants, les accueillants, les enfants et les parents, explique Eric Chavanne, de l’ASBL Autour de l’école. Et de poser un regard neutre et empathique sur tout ce petit monde.»

1.  La cible : le temps de midi

Toute première étape de la recherche-action : rencontrer les enseignants et les accueillants pour leur expliquer le projet. «Nous avons constaté de grands écarts d’information et de motivation. La majorité des accueillants extrascolaires n’avait pas été mise au courant de l’appel à projets. Ils découvraient avec notre venue ce que cela impliquerait pour eux», déplore Gwenaëlle Laureys.

Il était partout prévu d’accompagner les accueillants extrascolaires durant les « après quatre heures » et le mercredi après-midi, mais, dans tous les établissements, on a demandé aux promoteurs d’intervenir durant le temps de midi. Le nombre d’enfants y est plus élevé qu’à aucun autre moment. Les repas chauds étant servis à tous en même temps, il n’est pas possible de différer les récréations. En ce temps limité, il y a beaucoup à faire et les accueillants extrascolaires trouvent compliqué de proposer des activités. Le projet initial a été donc revu pour cibler ces moments. «Nous avons convenu avec les écoles que je me rendrais systématiquement dans les cours de récréation deux fois par mois au minimum pour assurer un suivi et que différentes réunions de travail seraient organisées avec les équipes éducatives et la direction», précise l’animateur pédagogique.

Les neuf écoles ont été choisies pour leur profil varié : une relève de l’enseignement spécialisé et les huit autres de l’enseignement ordinaire, dont deux en immersion, deux en pédagogie Freinet et une qui accueille un centre de jeu durant les vacances scolaires. Pour des raisons distinctes (manque d’implication, autonomie pédagogique), deux écoles ont quitté le projet en cours de route.

2.  Premiers constats

Les écoles vivent des réalités très différentes, mais la plupart partagent les mêmes situations.
Selon les directions, la grande majorité du personnel souhaite bien faire. Mais il manque de formation, d’outils, d’employés (particulièrement durant le temps de midi), d’investissement de certaines équipes ou membres de l’équipe, de repères pour les enfants et les parents quand les encadrants sont peu dans l’établissement. Il manque aussi de variété dans les activités proposées. La communication entre les auxiliaires et les enseignants n’est pas aisée, car ils travaillent en alternance. Il n’y a pas de règles ni de sanctions clairement écrites avec pour résultat un manque de cohérence dans le rappel des règles et dans les sanctions prises. Les directions pointent aussi le manque de temps qu’elles peuvent elles-mêmes consacrer aux accueillants extrascolaires.

Les accueillants signalent leur statut précaire et leur manque de reconnaissance. Ils sont mal outillés pédagogiquement et parfois matériellement, manquent de considération (des enfants, des parents et des enseignants), de communication avec les enseignants et les enfants. Ils disposent de trop peu de temps et de moyens pour résoudre les conflits dans la cour de récréation. Ils n’ont pas de temps rémunéré pour se former, se concerter ou même préparer une activité. Pour ceux qui travaillent dans plusieurs écoles, il est difficile de réellement s’investir localement.

Les enseignants disent qu’ils ont besoin de souffler et que les récréations sont aussi leurs pauses. Ils n’ont pas le même rapport aux enfants que les accueillants vu qu’ils passent plus de temps ensemble. Ils se sentent moins démunis pédagogiquement, gèrent les conflits et les comportements inadéquats en prenant du temps après les moments de récréation s’il le faut, mais ils manquent de temps à consacrer aux difficultés rencontrées dans les cours de récréation. En primaire, presque tous commencent l’année en abordant la charte de vie en classe, certains évoquent les règles dans les couloirs et la cour, mais ils ne les retranscrivent pas dans un document.

Côté institutionnel, le pouvoir organisateur (PO) de la Ville de Liège souhaite maintenir la gratuité de l’accueil extrascolaire afin de permettre à toutes les familles d’y accéder. Il engage près de 650 accueillants extrascolaires et consacre près de 8 millions d’euros par an pour ce service. Les accueillants extrascolaires sont engagés pour dix mois, certains peuvent travailler dans les plaines de vacances pour compléter leur année. Le PO a des difficultés à recruter. Les nouvelles règlementations en Fédération Wallonie-Bruxelles ont eu pour conséquence de faire perdre le complément de chômage aux personnes qui travaillent même une seule heure par jour. Conséquence : seules les personnes sans revenus ou émargeant au CPAS acceptent de travailler dans les garderies scolaires. Une dizaine d’implantations scolaires de la Ville de Liège sont reconnues comme opérateurs d’accueil dans le cadre du programme de coordination locale pour l’enfance ; cela permet de percevoir une petite subvention, mais pas d’améliorer les conditions d’engagement du personnel.

Pour l’équipe qui a mené la recherche-action, donner une place aux accueillants extrascolaires dans les écoles semble nécessaire. Leur travail n’est pas le même que celui d’un instituteur, ce n’est pas un sous-métier, mais une profession différente. Les accueillants travaillent dans des conditions compliquées et sont rarement soutenus par les autres membres de l’établissement. Sans communication avec les enseignants, il n’y a pas de transmission de l’autorité, ce qui pose des difficultés aux accueillants. Certains enseignants ne se sentent pas concernés par les difficultés des accueillants extrascolaires ni par ce qui se passe dans la cour de récréation.

3.  Observation des cours et analyse de l’espace

Il a été proposé à tous les enseignants de débattre en classe de la structuration de l’espace. En parallèle, l’accompagnateur pédagogique s’est rendu dans les cours de récréation pour observer la manière dont les enfants les utilisaient et il a discuté avec les accueillants extrascolaires pour identifier leurs besoins et leurs difficultés. «L’objectif visait à structurer l’espace en changeant le moins possible les habitudes des enfants. Les plans des cours de récréation ont donc été réfléchis dans ce sens», dit-il.

Après ces phases de réflexion et de test, un plan de la cour a été soumis à tous les intervenants puis validé. «De nombreuses équipes semblaient penser qu’une fois le plan réalisé, le travail serait terminé. Ce n’est pas le cas. Les individus changent, leurs besoins aussi, le matériel s’use et les jeux lassent… Si c’était à refaire, reconnaît Gwenaëlle Laureys, nous commencerions plutôt par un exercice de réflexion avec les enfants sur ce qui leur plaît ou non dans la cour de récré pour repenser avec eux la nécessité de définir des espaces et coconstruire les règles et sanctions à établir pour mieux vivre ensemble.» Autrement dit : inviter les enfants à inventer collectivement leur espace de vie et leur cadre de vie pour que chacun puisse s’y épanouir. «Y associer les accueillants extrascolaires pour qu’ils puissent eux aussi exprimer leurs besoins leur donnerait une place dans la vie de l’établissement et dans le développement des enfants.»

4.      La gestion des espaces

La zone verte – courir avec ballon. Cette zone semble la plus difficile à gérer. Dans les écoles qui disposent d’une seule cour, celle-ci est plus souvent investie par les grands garçons de cinquième et de sixième primaire, plus costauds, plus rapides. Leur excitation dégénère parfois en disputes. Les encadrants rencontrés souhaitaient « contenir » cet espace. «Certaines écoles ont supprimé le football des cours de récré en raison du manque d’espace, du nombre de conflits importants, d’une recherche de diversité d’activités ou du souhait d’inclure d’autres enfants. Mais, sans proposition concrète et suivie d’autres jeux, cette option s’est soldée par un échec. Par provocation ou par ennui, les grands se sont chamaillés ou ont commencé à embêter les autres enfants», raconte Gwenaëlle LaureysSi le football est supprimé, il faut absolument proposer d’autres activités qui permettent à ces préadolescents de dépenser leur énergie de manière constructive. Des alternatives ont été proposées avec plus de succès : instaurer une tournante pour disposer du terrain, organiser des tournois, introduire un arbitre pour réguler l’enthousiasme des joueurs, déterminer des jours ou des récréations sans football… Deux écoles ont fait l’essai d’aller jouer au ballon dans des espaces publics adaptés, laissant la cour aux plus jeunes.

La zone rouge – passage ou danger. Toutes les écoles ont identifié des zones plus dangereuses, soit parce qu’elles ne sont pas suffisamment sécurisées (escaliers de secours en métal), soit parce que leur surveillance est délicate (toilettes, coin aveugle), soit parce que ce sont des lieux de passage (entrée et sortie des bâtiments).

La zone blanche – courir sans ballon. C’est une zone complexe à définir. En effet, elle ne l’est pas par une activité spécifique. Le simple fait de délimiter l’espace est trop abstrait. «J’ai donc peint des jeux par terre – des couloirs de courses, des marelles… – pour faire comprendre ce qui y est autorisé», dit Eric Chavanne. Des écoles ont travaillé avec les enfants pour définir les activités qu’ils pouvaient y faire afin qu’ils s’approprient plus aisément cet espace.

La zone bleue – jeux calmes. Un grand nombre d’enfants aiment se poser et discuter durant les récréations. La zone calme a été aménagée avec des bancs et des tables achetés par la Ville de Liège. «Il a malheureusement fallu rappeler dans l’une ou l’autre école que ce matériel était réservé aux enfants et pas aux encadrants, souligne l’animateur pédagogique. Il y a aussi souvent une confusion entre la zone blanche et la zone bleue. Pour l’éviter, trois éléments doivent coïncider : l’espace doit être isolé ou de préférence dans un coin de la cour, il doit être pourvu de mobilier ou de jeux symboliques et les encadrants doivent rappeler les règles systématiquement. »

Les ateliers ou les animations sont toujours bien accueillis par les enfants, qui en redemandent. Une école propose de la zumba, de l’informatique, de la lecture, du dessin… rendant le climat durant le temps de midi plus serein. Cependant, cette formule n’est possible que si tous les encadrants jouent le jeu et que leur nombre est suffisant.

L’état des espaces de récréation est également un enjeu pour le bien-être des enfants. Un lieu propre et accueillant le reste plus longtemps si les enfants sont impliqués dans son entretien. Trois écoles ont la chance d’avoir de grands arbres dans leur cour, ce qui pose cependant des problèmes en automne, car les feuilles rendent le sol glissant. «La solution des encadrants nous a immédiatement paru absurde, raconte Eric Chavanne. Ils empêchaient les enfants de courir! Nous avons donc acheté des petites brouettes, des brosses et des pinces. Quand nous avons proposé aux enfants de nettoyer la cour, tous ont voulu participer et en quelques minutes elle était propre; ils s’étaient sentis utiles et fiers de ce qu’ils avaient réalisé ensemble. Nous avons laissé le matériel dans les écoles en demandant qu’un responsable organise les tournantes, mais l’une d’elles attendait ma présence pour le faire… Quand les adultes proposent, les enfants suivent, mais s’ils ne donnent pas un cadre dans lequel les enfants peuvent agir, rien ne se produit.»

5.  Le travail sur les règles et les sanctions

Les promoteurs du projet ont proposé une réflexion sur les règles et les sanctions à définir dans les espaces de récréation. Tous les enseignants rencontrés commencent leur année par un travail sur la charte de vie en classe. Mais rares sont ceux qui étendent la réflexion aux couloirs, aux réfectoires et aux cours de récréation. Aucun établissement n’avait adopté de règles communes et écrites. «Nous avons proposé de travailler sur un règlement commun à toute l’école en invitant les enfants à participer à son élaboration. Leur implication nous semblait essentielle : lorsqu’on interroge les enfants sur les difficultés qu’ils rencontrent dans les espaces de récréation, ils finissent toujours par demander d’éclaircir les règles. Fixer des limites à chacun pour que l’ensemble du groupe vive mieux, c’est établir un cadre acceptable pour mieux vivre ensemble, explique Gwenaëlle Laureys. Après avoir réalisé et affiché ces règles et sanctions, nous avons tenté de sensibiliser les équipes sur la nécessité de les réinterroger, de les adapter aux besoins, mais la plupart des enseignants estimaient ne pas avoir le temps nécessaire pour mener à bien ce processus.» Beaucoup d’enseignants ne voyaient pas bien non plus quelle sanction proposer. «Pourtant, sans conséquence à leur non-respect, les règles ne sont souvent pas appliquées.»

L’affichage des règles et des sanctions devait aussi permettre aux encadrants de s’y référer. «Mais force est de constater que la majorité d’entre eux ne les utilise pas vraiment. Ils estiment en effet que les règles sont suffisamment logiques pour être correctement intégrées par les enfants et qu’il est donc inutile de s’y référer régulièrement. L’utilisation du règlement dépend donc beaucoup de l’encadrant.»

6.  La gestion des comportements inadéquats et la gestion des conflits

Toutes les écoles étaient en demande d’outils de gestion des comportements inadéquats et des conflits. Toutes ont adopté les propositions de fiches de réflexion et de contrats de comportement amenées par les promoteurs du projet. Certaines ont adapté les fiches de réflexion à différentes thématiques comme le vol, la violence verbale et la violence physique. «Ces outils de réflexion peuvent aussi être adaptés à l’âge de l’enfant en proposant de dessiner ou d’écrire», ajoute l’animateur pédagogique.

Aucune école n’a formellement mis en place de conseil de discipline tel que la méthodologie de l’UMons le prévoit. C’est le plus souvent la direction (et éventuellement la personne qui était présente lors de l’incident) qui reçoit l’enfant. Certaines écoles confrontées à des cas extrêmes ont fait appel au PMS.

7.  Libérer la parole et faire émerger de l’intelligence collective

Le travail dans une cour de récréation peut être de deux types : la recherche de la paix sociale (qui relève plus de la démarche sur les règles et les sanctions) ou la recherche de l’épanouissement de chacun dans l’écoute et le respect de tous les intervenants. La paix sociale lisse les comportements excessifs tels que cris, pleurs ou violences pour que le climat soit plus serein. La recherche d’épanouissement est une fin en soi. Elle doit être questionnée en permanence. C’est un travail récurrent qui interroge tous les acteurs du processus et amène chacun à se repositionner régulièrement. «La méthodologie proposée par l’UMons visait cet objectif principalement et presque exclusivement pour les enfants. Pour nous, ce travail devait aussi être mené avec les encadrants. S’ils sont épanouis, les enfants le seront plus aisément et inversement», rappelle Gwenaëlle Laureys.

Les enseignants ont accueilli plutôt froidement l’idée des espaces de parole régulés. «Toujours par manque de temps ou de formation pour mettre un tel processus en place, poursuit-elle. Dans quelques rares écoles, les enseignants ne se sentent pas concernés : ils règlent les conflits uniquement lorsqu’ils ont un impact sur le climat de la classe.» Ailleurs, certains instituteurs avaient déjà installé des dispositifs pour permettre aux enfants de s’exprimer librement : un dictaphone qui permet d’adresser un message à un professeur ou au conseil de classe, un cahier qui récolte toutes les idées qui sont ensuite débattues durant le conseil de classe, une figurine personnalisable qui permet d’exprimer ses émotions avant de commencer une activité…

Il est très vite apparu que lorsque les enfants manquaient d’espaces de parole et de réflexion collective, les accueillants extrascolaires en manquaient aussi. «Durant ces deux années, nous avons tenté de faire prendre conscience aux différents niveaux de pouvoir leur besoin d’être pris en compte et entendus.» Finalement, les promoteurs ont proposé aux écoles un dispositif relativement simple. «Une fois par mois, durant le temps de midi, un conseil de citoyenneté est organisé dans l’école. Je remplace un accueillant, si possible différent à chaque fois, pour lui permettre d’y assister, développe l’accompagnateur pédagogique. Enseignants, direction, enfants et accueillants abordent les points mis à l’ordre du jour par les conseils de classe et trouvent ensemble des solutions pour le bien-être de tous. Ce processus démocratique encourage le dialogue, développe la confiance en soi des enfants, mais aussi des accueillants qui, pour une fois, ont le droit de s’exprimer et de réagir avant que des décisions soient prises. Après le temps de midi, une concertation est organisée avec l’ensemble des accueillants, la direction et moi. Elle comprend deux moments : un débriefing de ce qui s’est passé au conseil de citoyenneté par l’accueillant qui y a assisté et un échange sur ce que j’ai observé et les éventuelles difficultés qu’a rencontrées le personnel les jours ou les semaines précédentes.» Les participants sont invités à réfléchir ensemble aux bonnes pratiques et aux solutions envisageables. L’expérience fonctionne très bien. Les accueillants retrouvent une véritable place au sein de l’école, ils peuvent parler de leurs difficultés et être entendus par les enseignants et par les enfants ; ils perçoivent mieux la dynamique pédagogique de l’école et comme ils sont plus impliqués, ils sont aussi plus motivés. L’accompagnateur pédagogique amène un regard extérieur, neutre et bienveillant, qui facilite l’échange.

8.  L’implication des professeurs de philosophie et citoyenneté

Avec l’inspection pédagogique, l’équipe de la recherche-action a proposé aux professeurs de philosophie et citoyenneté de prendre part au projet. «Les espaces de récréation étant ceux de l’expérimentation concrète de valeurs de respect, de différence, de vivre ensemble et d’empathie, il nous semblait logique de leur proposer d’y participer», dit Gwenaëlle Laureys. Plusieurs pistes de travail leur ont été suggérées : les besoins de règles de vie dans les cours de récréation et le questionnement de leur bien-fondé, les émotions et leur l’expression surtout chez les plus petits, l’intelligence collective lorsqu’une difficulté apparaît, la création d’outils pédagogiques à mettre à disposition dans la cour de récréation pour autonomiser les enfants et outiller les accueillants extrascolaires. Ces professeurs ont aussi fait des propositions.

9.  Bientôt une formation en gestion des espaces de récréation

«Cette recherche-action confirme notre hypothèse de départ : les accueillants extrascolaires ont besoin d’outils pédagogiques et de formations, ils ont besoin de soutien au sein de l’école et que les pouvoirs publics se préoccupent de leur statut», dit Gwenaëlle Laureys. Un projet de formation sur la gestion des espaces de récréation a été rédigé avec l’aide de l’inspection pédagogique et de la directrice de l’école de promotion sociale d’Angleur. «Il a été pensé en fonction des réalités que nous avons rencontrées. Vu que les accueillants extrascolaires ne sont actuellement pas rémunérés durant les formations auxquelles ils participent et vu qu’ils sont peu diplômés, nous avons proposé un module court de 40 périodes du niveau secondaire inférieur», précise-t-elle. Le contenu est essentiellement orienté vers leur pratique, visant les savoir-faire et savoir-être plutôt que des connaissances théoriques. Un groupe de travail est occupé à réaliser le dossier pédagogique qui pourra être utilisé sur simple demande par toutes les écoles de promotion sociale dépendante du CPEONS, le Conseil des pouvoirs organisateurs de l’enseignement officiel neutre subventionné.

«Nous élaborons également une brochure reprenant l’ensemble des bonnes pratiques relevées ou implémentées dans les écoles. Selon la fonction que l’on occupe dans l’établissement, différentes fiches pratiques seront proposées pour améliorer la gestion des espaces de récréation. Cette publication devrait permettre aux écoles volontaires de s’approprier notre démarche», ajoute la coordinatrice ATL.

10.  Contact

Ville de Liège, Service Jeunesse, Pôle Enfance et Accueil extrascolaire : Quai de la Batte 10 à 4000 Liège ; tél. : 04 221 89 65 ; courriel : gwenaelle.laureys@liege.be (Coordinatrice ATL)

ASBL Autour de l’Ecole : Quai de la Batte 10 à 4000 Liège ; tél. : 04 221 89 65 ; courriel : echavanne@ecl.be (Accompagnateur pédagogique)

3. « Les ateliers du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège »

Le projet a démarré à l’initiative de l’école communale Morchamps, à Seraing. L’école avait posé il y a quelques années les premiers jalons d’une amélioration de la gestion des moments et des lieux de récréation en procédant à différents aménagements tels que l’achat de matériel et un marquage au sol pour délimiter des espaces. «Mais, de l’avis de l’école, ça ne fonctionnait pas très bien, souligne Renaud Erpicum, coordinateur des ateliers du CAL. Un tel projet doit certes concerner les enfants, mais aussi l’ensemble des utilisateurs, tant pour la phase d’émergence que pour celle de construction des solutions et de leur mise en œuvre.»

Le CAL a accompagné l’école dans sa démarche en développant avec les différents acteurs une approche à la fois concrète et réflexive sur l’organisation d’espaces de citoyenneté, d’épanouissement et d’empathie au sein de la cour de récréation et rayonné sur les diverses strates qui constituent l’école. En agissant sur la dynamique de la cour, il a fait émerger la notion de bien commun afin de favoriser l’adhésion des enfants à un projet collectif, en leur donnant la possibilité d’expérimenter des nouveautés (des jeux coopératifs, alternatifs) et en soutenant en parallèle les encadrants adultes (médiation, animation, information) afin qu’ils puissent soutenir à leur tour et favoriser une dynamique de gestion collective. Il a ensuite favorisé la mise en place par les enseignants des éléments indispensables à l’instauration d’un processus de gestion des conflits, d’autorégulation, d’instauration d’une dynamique positive entre enfants, qui prendrait en compte la diversité en impulsant une dynamique coopérative.

1.      Pas de stimulation ni de pacification sans régulation

Adoptant la métaphore du code de la route, Renaud Erpicum préconise un code de la cour de récréation, un écrit qui fait suite à une réflexion collective et qui dit les règles. «Peu importe la forme, cela doit rester quelque chose de très simple et de facile à communiquer, dit-il. On peut imaginer des pictogrammes ou de grands panneaux accrochés aux murs. Les enfants peuvent les fabriquer, les dessiner, trouver eux-mêmes des phrases d’accroche.»

Ce « code » concerne aussi les adultes : ne pas jeter sa cigarette par terre, garer sa voiture sur le parking… Deux éléments sont en effet nécessaires pour que cela fonctionne : tout le monde et tous les lieux de l’école sont concernés. «Dans le milieu enseignant, on a trop souvent tendance à considérer que ce sont les enfants qui doivent changer, dit-il. C’est faux. Il s’agit de pointer tous les usagers de l’école. Donc aussi les enseignants, la direction, le concierge s’il y en a un, le personnel communal qui entre dans l’école, les parents, les intervenants extérieurs, les animateurs… Il suffit d’un adulte ou d’une catégorie d’adultes qui ne respecte pas le règlement et qu’est-ce cela envoie comme message? Des passe-droits, de l’arbitraire. À l’école Morchamps, les élèves l’ont exprimé de manière extrêmement forte.»

Second point d’attention : la cour de récréation est une sous-entité de l’école. Ce n’est pas un espace plus pertinent à pointer qu’un autre. Ce qui se passe là se passe ailleurs aussi, dans les couloirs et aux toilettes, dans le réfectoire et dans les classes, dans le bureau de la direction. «C’est une systémique. Comme dans une ville, si on établit des règles, elles doivent s’appliquer partout. C’est pour cela que nous avons travaillé avec des panneaux, au départ de la cour de récréation, qui ont ensuite été synthétisés en petits formats et placés dans chaque salle de classe.» Chaque endroit de l’école est un rappel permanent des règles concernant l’ensemble. «Les enfants s’y perdent si on leur demande d’appliquer à la cour de récréation un règlement qui n’est pas le même qu’avec Mme Unetelle ou s’il n’y a pas de règlement ailleurs.»

Aussi, l’adulte ne cesse d’envoyer des messages aux enfants. «Impossible de faire autrement : les enfants nous regardent, nous écoutent et, on le sait depuis longtemps, apprennent entre autres par imitation, rappelle Renaud Erpicum. Les adultes doivent prendre conscience de cet impact, qui peut être positif et faire cohérence ou être négatif. La plupart des problèmes observés dans les écoles où on a travaillé viennent d’une incohérence entre le message envoyé et le discours.»

2.      Une continuité

Cette initiative s’inscrit dans la continuité de la recherche-action « De la discrimination à l’inclusion en milieu scolaire » menée par le CAL en 2012-2014 (+ de la campagne également soutenue par le Fonds, qui s’est clôturée par un colloque en 2016 : voir Cahiers 18 et 20 sur http://www.fondshoutman.be/cahiers). On trouvera plus de détails à ce sujet aussi sur www.calliege.be, mais, pour rappel, les « Ateliers de soutien à la réussite » constituent un projet pilote de renforcement du dispositif d’enseignement. Il a notamment pour ambition d’expérimenter et de partager des outils relatifs à la prise en charge des populations marginalisées (précarisées et/ou primo arrivantes et/ou allophones). Il est composé d’un volet extrascolaire et d’un volet de soutien global et spécifique dans et en dehors de la classe. Des ateliers le mercredi dégagent des balises théoriques et pratiques afin de nourrir la réflexion sur le vivre-ensemble et les ateliers avec les parents visent à donner une place à ces indispensables acteurs des apprentissages, à mettre en valeur la diversité des richesses culturelles et à vivre des moments collectifs et familiaux positifs au travers d’activités culturelles, ludiques, sportives, didactiques, etc. Pour un public souvent peu mobile, ces activités constituent autant d’occasions de rompre avec une dynamique de ghetto et de proposer une ouverture vers de nouveaux horizons. L’ensemble forme le projet pilote global du CAL pour une approche intégrée de l’enseignement et de l’éducation.

3.      Des constats partagés

Enfants comme adultes ont identifié les mêmes problèmes. Lors d’une consultation en vue du réaménagement de l’espace de récréation, ils ont montré la nécessité de lutter contre les nombreux conflits qui cristallisent les problèmes liés à la grande diversité des élèves, au sentiment d’insécurité, à la difficulté pour les enseignants d’y faire face en plus de la gestion de la dynamique au sein de leur classe. Parmi les propositions figurait le besoin d’outils de médiation.

De son côté, le CAL a accueilli un stagiaire en communication qui a proposé de réaliser une charte graphique et un logo pour l’école. Il a mené une enquête participative auprès de tous les enfants afin de recueillir leur perception. «Le résultat était difficile à exploiter d’un point de vue communicationnel, reconnaît l’animateur du CAL, mais il était impressionnant : le logo affichait quatre enfants dans une belle diversité interculturelle, le dernier envoyant une taloche à son voisin sous l’ombre d’un nuage noir… Exactement ce que les enfants avaient rapporté : une diversité formidable, mais qui crée des problèmes relationnels par absence de gestion des adultes.» Le CAL a proposé à l’école d’intervenir. Tous les groupes d’usagers ont été recontactés indépendamment pour réagir au logo. «Ils étaient tous dans la même dynamique : c’était toujours la faute des autres, un vrai ping-pong de responsabilités. Nous leur avons ensuite demandé quelles pistes d’actions concrètes, positives et constructives ils étaient prêts à mettre en œuvre eux-mêmes pour un vivre-ensemble harmonieux. Comme par hasard, tous pensaient la même chose, souvent des évidences, mais il était essentiel de passer par ce processus pour que les gens s’approprient la dynamique de réflexion.»

Ces pistes ont été synthétisées en vingt propositions.

  1. Je communique et dialogue davantage/Je parle de mes problèmes.
  2. Je m’investis dans la vie de l’école.
  3. Je n’utilise pas la violence.
  4. Je respecte le matériel, mon environnement et le travail des autres
  5. Je soutiens ceux qui en ont besoin.
  6. Je trouve des solutions et non des problèmes.
  7. Je respecte le règlement d’ordre intérieur.
  8. Je vais à la rencontre des autres.
  9. Je condamne le racisme.
  10. J’encourage la mixité.
  11. Je respecte le choix des autres.
  12. Je m’excuse quand je suis en tort.
  13. Je partage la cour/le matériel.
  14. Je ne dis pas du mal/me moque des autres.
  15. Je fais preuve de patience.
  16. Je m’assure que l’on m’a bien compris.
  17. Je suis à l’écoute des autres.
  18. Je suis un exemple.
  19. Je me mobilise et mobilise les autres pour faire changer les choses.
  20. Je prends le temps.

Sur cette base, des panneaux ont été conçus et affichés pour s’en souvenir en permanence, pour que les enseignants puissent faire relais.

Des activités échos étaient prévues un an plus tard. «On savait très bien que sans prise de conscience durable, au-delà d’un certain moment, le projet ne marcherait plus. C’est en effet ce qui s’est passé… Les enfants pointaient des difficultés toujours non résolues et toujours par manque de gestion des adultes.» Comment dépasser cela ?

4.      Montrer et démontrer

Le CAL avait mobilisé beaucoup d’énergie à démontrer que ça pouvait fonctionner. «La preuve en est : chaque fois qu’on va dans l’école, ça marche du tonnerre. Et dès qu’on en sort, les gens disent que ça ne va pas parce qu’on n’est pas là», déplore l’animateurBruno Humbeeck, de l’UMons, travaille avec des vidéos montrant comme cela fonctionne ailleurs, donnant l’envie de faire pareil. «Nous avons alors lancé un programme de formation sur “la gestion des cours de récréation comme espace d’épanouissement d’empathie et de citoyenneté”, en partenariat avec le Conseil de l’enseignement des communes et des provinces. On fait réfléchir les participants, on stimule leur esprit critique autour des éléments propres à la gestion des cours de récré pour arriver à l’idée que cela concerne tous les usagers et qu’il faut réguler. Comment? Comme ils le souhaitent! Qu’ils tracent des lignes au sol compte finalement peu. Ce qui importe, c’est qu’ils se saisissent du processus.» Moyennant quelques repères cependant.

5.      Des règles et des outils

Les règles s’élaborent avec les élèves (qui ne peuvent pas dire ensuite qu’ils ne les connaissent pas !), puis elles sont rendues accessibles. «Une phrase compréhensible c’est moins de onze mots affichés à hauteur d’enfant et pas à deux mètres du sol », conseille Renaud Erpicum. Moins de texte, des mots en grand, en couleurs, ou des photos qui parlent aussi à ceux qui ne connaissent pas bien le français. «Il ne faut pas non plus que le règlement prenne la poussière et qu’on l’oublie. Il est donc revisité à chaque rentrée scolaire. À nouveau, c’est comme le code de la route : il est le même partout pour tout le monde tout le temps. Ce qui n’empêche pas de l’amender ponctuellement.»

Deuxième chose très importante : se doter d’outils. La mission principale de l’enseignant reste encore de socialiser les enfants en maternelle, de leur apprendre à lire et à compter en primaire. Quel temps leur reste-t-il pour gérer la multitude des microconflits d’enfants ? «  Monsieur, il m’a regardé de travers ! », « Il a traité ma mère ! », « Elle m’a volé mon chewing-gum ! ». «Des bêtises qui ne méritent pas l’attention des enseignants et j’irai même plus loin : en leur accordant de l’attention, ils risquent de faire une montagne d’un problème dérisoire. Mais, en revanche, en ne faisant rien, ces broutilles risquent de se transformer en problèmes profonds et durables pouvant envenimer toute une classe. Il faut donc mettre en place des outils qui gèreront ces conflits à la place des adultes, leur laissant de ce fait du temps et de l’énergie pour d’autres tâches.»

Tout bon outil a son emploi, et une notice qui l’accompagne. Le CAL en propose plusieurs : le tabouret de la réflexion, les chaises de la paix, la chaise de la solitude et les « méribôls ». Ils sont accompagnés d’une petite fiche technique, d’une microformation et d’une information sur le matériel adapté.

Le tabouret de la réflexion

C’est un outil de gestion de dynamique individuelle de conflit qui permet à l’enfant de faire preuve de libre examen pour être lui-même acteur de la compréhension d’un problème et de la conception de sa solution. «C’est une démarche pédagogique. On a bricolé des tabourets avec un sablier au milieu. J’insiste sur l’aspect ludique de l’objet, coloré, qui donne envie de s’en servir. Ce n’est pas une simple chaise avec une minuterie accrochée. Il faut que cela attire et que ce soit respectable, comme un bâtiment institutionnel.»

Quand l’adulte responsable repère un enfant qui pour une raison ou une autre gagnerait à réfléchir à ce qu’il a fait (bousculer un autre et le blesser, volontairement ou non), il lui dit d’aller s’asseoir sur le tabouret de la réflexion. «Gros avantage : l’adulte peut s’occuper des autres enfants pendant ce temps-là. Tandis que, sur le tabouret, l’enfant n’a rien d’autre à faire qu’à se demander pourquoi il est là. Au bout de cinq minutes, l’adulte vient lui demander s’il sait pourquoi il est assis. S’il ne le sait pas, il a au moins l’occasion de le dire et on retourne le sablier. Cinq minutes plus tard, a-t-il trouvé ce qu’il pourrait faire pour réparer sa bêtise? Oui, alors c’est formidable. Non? Alors on va l’y aider et mettre en œuvre la solution. À chaque étape, il a eu l’occasion d’être producteur de sens.»

Les chaises de la paix

Deux enfants qui viennent de se disputer sont assis sur deux chaises en angle, trois quarts de face, le genou gauche de l’un touche le genou droit de l’autre. «Quand il y a un contact physique, c’est très compliqué d’ignorer l’autre.»

La règle numéro un dit que tout enfant en conflit avec un autre doit s’asseoir sur la chaise de la paix. «Soit ils sont deux à venir trouver l’adulte, soit il n’y en a qu’un seul et c’est le reste du groupe qui va chercher l’autre protagoniste.» À eux ensuite de régler leur différend pour pouvoir retourner jouer. L’un peut être tenté de conclure par un non-lieu : «On fait comme si de rien n’était.» Sauf que la règle dit aussi que tant qu’un enfant n’est pas satisfait du compromis il retournera s’asseoir… et l’autre le rejoindra sur la pression du groupe. «Par la pratique, ils sont amenés à prendre conscience qu’ils doivent trouver une solution, n’importe laquelle, les adultes n’ont même pas à le savoir.» Et si un enfant se défausse, il est envoyé sur le tabouret de réflexion.

Les adultes ont trop tendance à s’imaginer que les enfants fonctionnent différemment d’eux. Ai-je besoin de me faire taper sur les doigts par un policier pour savoir que ce n’est pas bien de voler ? Mais si demain ce dispositif de rappel à l’ordre n’est plus là, qu’est-ce qui m’empêchera de voler ? À l’usage, les enfants ont de moins en moins recours aux chaises de la paix, mais le dispositif fonctionne parce qu’il existe. «L’élément régulateur est là même si on ne s’en sert plus. Et il ne faut surtout pas l’enlever», insiste Renaud Erpicum.

L’ensemble de ce dispositif n’exclut pas les sanctions, mais il fonctionne comme un filtre. Avant d’être puni, dans la mesure où ce qu’il a fait n’est pas trop grave, un enfant a la possibilité de réparer ses bêtises. Et s’il ne le comprend pas, cela donnera d’autant plus de sens à la punition.

Les chaises de la solitude

On fait attention à ceux qui crient, à ceux qui se battent. Rarement à ceux qui sont en train de vivre un moment difficile. Ces chaises rendent visibles les enfants isolés. La règle : tout enfant qui ne sent pas bien peut aller s’y asseoir. Suite de la règle : tout enfant qui voit un enfant sur la chaise de la solitude a le devoir de s’enquérir de ce qui se passe, de ne pas le laisser seul. «C’est un petit coup de pouce à la solidarité et à l’empathie. Ça marche parce que cela reste un apprentissage. C’est cela la force du dispositif : ça reste un jeu.»

Les « méribôls »

C’est la contraction de mérite et de symbole. «Le mérite, c’est faire mieux individuellement que ce que l’on a fait hier.» Le méribôl est un outil qui aide à dépasser les mots, à faire comprendre lorsque l’on est satisfait (ou pas) d’un comportement. Il offre un langage commun à tous les intervenants adultes autour de l’enfant, enseignants et auxiliaires d’éducation par exemple. En début d’année, chaque enfant reçoit une « méribox » avec dix méribôls, un capital qui indique qu’il est aussi méritant que les autres. À chaque action qu’il va poser par rapport à lui et à un savoir-être (et non par rapport à un socle de connaissances qu’il faudrait maîtriser, comme les points le font), il en gagnera d’autres ou en perdra. «Il n’est mesuré que par rapport à lui-même. Un enfant absolument irréprochable et qui ne fait rien n’en perdra pas, mais il n’en gagnera pas non plus. En revanche, un gamin, une vraie terreur, qui arrive un matin en disant bonjour sera valorisé : il n’a jamais fait ça de sa vie!» Les animateurs donnent et reprennent les méribôls au vu et au su de tout le monde. Ce contrôle social est important, mais chacun fait ce qu’il veut de sa boîte par ailleurs, la montrer aux autres ou non. En fin d’année, à l’occasion d’une petite cérémonie – et ce cérémonial est aussi important – tous les enfants sont appelés à vider leur méribox et on mesure la contribution collective de la classe. «Ils ne se mesurent pas individuellement, mais bien aux années précédentes tout en y contribuant personnellement.»

6.      Des formations

Le CAL propose une autre formation intitulée « La rencontre de l’enfant “difficile” ». Elle est adressée aux enseignants et aux auxiliaires d’éducation, selon deux formats spécifiques. «Ce que l’on cherche à mettre en avant est très simple : il n’y a pas à trancher entre un enfant difficile ou en difficulté. Tout enfant difficile est un enfant en difficulté; d’une manière ou d’une autre un de ses besoins fondamentaux n’est pas rempli et c’est ce qui génère son comportement difficile. On insiste aussi sur le fait que tous les enfants en difficulté ne sont pas nécessairement des enfants difficiles.» La formation est centrée sur le développement des compétences professionnelles des adultes. Qu’observent-ils et comment interprètent-ils leurs observations ? «Nous leur donnons ensuite des outils pratiques pour modeler leurs interventions en matière d’actions, de communication et de savoir-être. En fin de compte, on retrouve l’adulte-exemple, on retrouve des règles, on retrouve la question de la révolution institutionnelle, et on retrouve tous les outils. On stimule leur réflexion, mais ils ont aussi besoin de solutions durables à leurs problèmes.» Et il faut aussi les soutenir dans le changement.

7.      Contact

Centre d’Action Laïque de la Province de Liège : Boulevard de la Sauvenière 33-35 à 4000 Liège ; tél. : 04 338 52 82 ; courriel : renauderpicum@calliege.be (Coordinateur).

 École Morchamps : Rue Morchamps 52 à 4100 Seraing.

4. « Be cool @ school » par l’AMO Le Cercle

Avec l’Athénée Royal du Condroz Jules Delot, l’Institut St-Joseph, l’Institut de la Providence et l’école Les Forges.

Le projet est issu de rencontres avec du personnel, des enseignants et des directions d’établissements scolaires où se posait la question du harcèlement. «Les écoles étaient mal à l’aise avec les sanctions à apporter et qui peuvent parfois renforcer ce phénomène. L’AMO s’est tournée vers l’Université de Paix qui propose la méthode No Blame, et nous avons ensuite proposé une formation de quatre jours aux écoles secondaires de Ciney. Quatre sur les cinq ont dit oui», explique Laurens Barkhuysen, assistant social à l’AMO Le Cercle.

La méthode No Blame ne fait pas l’impasse sur le travail de fond nécessaire en matière de prévention et de politique générale des écoles face aux situations de harcèlement. Il s’agit plutôt d’un outil permettant aux écoles d’identifier le harcèlement et donc de pouvoir réagir. «On préfère d’ailleurs l’appeler “méthode du groupe d’entraide” plutôt que “No Blame”, qui sous-entend qu’il n’y a pas de sanction alors que ce n’est pas le cas, précise l’assistant social. Le principe est toujours d’être en lien avec le règlement d’ordre intérieur de l’école et donc de punir la violence lorsqu’il y en a. La méthode propose de travailler plus précisément sur la dynamique du harcèlement et d’amener les classes et les groupes d’élèves à changer de regard et à changer leur rapport au jeune qui est harcelé. C’est une méthode qui permet aux enseignants et aux éducateurs d’initier ensuite à leur tour les élèves en cas de crise.»

1.      Prévention et intervention

Le projet combine ces deux approches complémentaires. Une politique de prévention favorise un climat d’école et de classe bienveillant et accueillant en mettant en place des règles concrètes et connues assorties de sanctions éducatives et de normes sociales valorisées et discutées, en proposant des lieux de parole, en informant et sensibilisant les élèves au phénomène du harcèlement et en impliquant les parents, notamment via la tenue d’une conférence. «Cet aspect, qui s’inscrit dans la durée, est développé par l’AMO à travers des animations de différentes formes en fonction des besoins : des jeux coopératifs, des échanges autour d’un photolangage, des animations autour de l’utilisation des réseaux sociaux, des journées thématiques dans l’école et des actions en dehors autour du sport d’aventure», ajoute Laurens Barkhuysen. Cela implique tous les acteurs du milieu scolaire et nécessite une politique globale au sein de l’établissement. La méthode No Blame relève quant à elle d’une politique d’intervention. Elle vise à mettre en place un dispositif impliquant des élèves du groupe classe afin de faire cesser le harcèlement.

2.      Objectifs

Ils sont multiples :

  • Mettre en place un bon climat scolaire.
  • Établir des règles claires et concrètes au sein des écoles.
  • Informer et sensibiliser les élèves au phénomène du harcèlement.
  • Installer des lieux de parole pour échanger dans les écoles.
  • Autonomiser les écoles face à la problématique du harcèlement scolaire. Leur donner la possibilité d’apporter une réponse adaptée à des situations souvent délicates. Acquérir des outils pour prévenir le phénomène et le désamorcer.
  • Faire connaître l’AMO comme un soutien à la prévention, aux situations de harcèlement, mais aussi comme partenaire privilégié lorsque celles-ci se présentent en agissant au niveau individuel et au niveau collectif.

3.      Des animations et des activités

De ces quatre jours de formation sont sorties différentes choses, et les écoles s’en sont emparées de différentes façons.

Dans l’une, l’AMO a abordé en classe et de manière ludique la thématique du harcèlement et du cyberharcèlement, de l’effet témoin et de la rumeur. Dans une autre, elle a travaillé sur la solidarité et le bien-être, le vivre-ensemble, le développement de l’empathie, la compréhension des mécaniques d’étiquetage et la responsabilisation individuelle. Ailleurs, l’AMO a animé un atelier cuisine qui a permis de renforcer les liens au travers d’une activité sortant de l’ordinaire. Et ailleurs encore, les animateurs se sont rendus dans les classes pour tenter de décanter les conflits et renforcer la coopération.

De cellules ont été créées dans deux écoles. «Elles sont constituées d’enseignants et d’éducateurs référents en cas de difficulté, lorsqu’un jeune est victime de harcèlement ou pense l’être. Ils interviennent pour mettre en place la méthode No Blame »explique Laurens Barkhuysen.

À l’athénée royal Jules Delot, par exemple, les enseignants ont créé la cellule « Delot’Xygène » : cinq enseignants « spécialisés » identifient et gèrent les situations de harcèlement et les conflits au sein de l’école. Entre autres actions, un document de signalisation des conflits a été créé pour les élèves et les professeurs ainsi qu’une boîte aux lettres et une adresse mail où les élèves peuvent déposer leurs inquiétudes pour eux-mêmes et à l’égard d’un autre élève. L’institut La Providence a mis en place une médiation harcèlement : « M’harcèl ». L’AMO a accompagné ces cellules dans leur processus de création et a assuré une formation accélérée aux enseignants ou éducateurs qui souhaitaient être au courant de l’outil et de la méthode et y participer.

4.      Quelques outils

L’AMO dispose de nombreux outils autour du bien-être en classe, de la cohésion du groupe via des animations en classe ou à l’extérieur avec les élèves, de l’empathie ou de la connaissance des émotions, du dépassement de soi et du soutien. Ces outils sont proposés en début d’année pour empêcher les dynamiques de harcèlement qui sont souvent en lien avec la méconnaissance de l’autre.

Journées coopératives

L’AMO propose aux élèves de faire connaissance et de créer du lien lors d’une journée à Land’venture (Mozet). Au programme : défis coopératifs, parcours accrobranche et repas convivial au cœur des bois. «Ces journées constituent des activités phares dans le processus de renforcement de l’esprit coopératif. Elles ont un impact majeur sur l’ambiance en classe et plus largement dans l’école », commente Laurens Barkhuysen.

« Faites le mur »

Cette animation imaginée par l’AMO TCC Accueil aborde l’usage des réseaux sociaux avec les élèves de la fin de l’enseignement primaire et du début du secondaire. Ils se mettent dans la peau d’élèves d’une école fictive où il est permis d’écrire sur le mur et sont confrontés à diverses situations et problématiques. Tout au long du jeu, ils sont amenés à prendre des décisions collectives dont les effets seront visibles sur ce mur. «Ce jeu fait prendre connaissance des règles de vie commune et de bonne conduite sur un réseau social et permet de faire le lien avec celles de la vie quotidienne en démontrant qu’elles sont sensiblement pareilles, explique-t-il. Il vise aussi à conscientiser les jeunes sur l’utilité de telles règles et au fait que l’adulte peut être une ressource sur laquelle s’appuyer. »

Les couleurs des émotions

Les élèves sont amenés à exprimer avec des blocs de construction ce qu’ils ressentent à l’instant présent, en dosant les couleurs. Cet outil est aussi utilisé pour évaluer une animation.

La ligne

Les élèves de la classe se placent en ligne et une quinzaine d’affirmations sont énoncées. Chacun se déplace quand il se sent concerné. Les premières phrases sont assez simples : «Avance si tu as un surnom», «Avance si tu as gagné un concours », «Avance si tu as déjà secouru une personne en difficulté »… Elles vont devenir progressivement et émotionnellement plus impliquantes : «Avance si on t’a rejeté(e) ou dénigré(e) parce que tu étais nouveau ou nouvelle », «Avance si on t’a rejeté(e) ou dénigré(e) à cause de ta taille, de ton poids, de ton apparence physique», «Avance si on t’a rejeté(e) ou dénigré(e) à cause de tes goûts, de tes loisirs, de la musique que tu écoutes ou de ton style vestimentaire»…

Une réflexion est ensuite menée sur le ressenti des élèves et le parallèle qui peut être fait avec les réalités de la classe. «C’est une animation pour se connaître, prendre conscience des points communs et des différences au sein du groupe, mais également expérimenter le phénomène d’exclusion et élaborer des pistes d’action pour promouvoir la tolérance », explique Laurens Barkhuysen.

5.      Évaluation et perspectives

Au début du projet, les difficultés institutionnelles et pédagogiques résultant du harcèlement n’étaient avouées qu’à demi-mot. Aujourd’hui, les écoles cinaciennes interpellent l’AMO beaucoup plus facilement. «Celles qui ont participé à notre démarche comprennent l’enjeu que représente la prévention par l’instauration d’un climat serein et de confiance au sein des classes, constate Laurens Barkhuysen. Néanmoins, si les changements sont notables, la perception de la prévention du harcèlement comme étant une politique globale de l’école prend du temps et est toujours confrontée aux freins propres au milieu scolaire. » Essayer de changer les dynamiques du groupe et ne pas se contenter de simplement punir… Les écoles sont prêtes au changement parce qu’elles sont confrontées à une nécessité, mais en pratique ce n’est pas si simple. «Il y a du travail institutionnel à faire, constate l’assistant social. Même si dans ce cas-ci on est plutôt content, je pense que le système scolaire en général est encore un peu “vieille école”. C’est un frein, certes, mais sur lequel on a su travailler et c’était très intéressant.»

L’intervention de l’AMO dans ces établissements n’est aujourd’hui plus aussi massive, mais ce projet a fait des petits. «On est en train mettre au point une nouvelle formation sur la question du décrochage scolaire et on reste présent pour des animations ponctuelles. Les écoles ont toujours besoin d’une piqure de rappel sur le fonctionnement des AMO, sur les possibilités de travailler autour du bien-être ou des difficultés rencontrées en classe.»

6.      Contact

AMO Le Cercle : Rue du Midi 12A à 5590 Ciney ; tél. : 083 21 57 29 ; courriel : amolecercle@gmail.com (Laurens Barkhuysen, Assistant social).

5. « Récré’action – Récré’motion » par l’école Saint-Walfroy (Pin-Chiny)

Les cours de récréation de l’école rurale Saint-Walfroy à Pin-Chiny, dans le sud Luxembourg, ne convenaient plus aux attentes de la nonantaine d’enfants qui la fréquentent. En 2017, des aménagements ont été faits pour optimiser ces petits espaces et, depuis, bien des choses ont changé… Les cours sont aujourd’hui divisées en différentes parties. «C’est devenu un bel espace de jeux, d’action, de recherche, de créativité, de communication et aussi de repos, tel que nous le projetions, dit Marie-Hélène Albert, directrice de l’école. Les structures et matériaux utilisés sont riches en potentialités.»

Ces aménagements visaient une baisse de la violence, une mixité des échanges, une communication optimisée, un épanouissement personnel et collectif et des prises de responsabilités. La direction et les enseignants étaient solidaires, et ils ont reçu le soutien des parents, des enfants et de l’école professionnelle Pierrard (Virton) pour la fabrication des structures en bois.

1.       Des espaces distincts

Différents espaces ont été répartis dans les deux cours dont dispose l’école. L’un où on peut se défouler et l’autre où les jeux calmes sont de mise. Des panneaux avec les règles définies avec les enfants ont été installés.

La petite cour – la cour calme – je marche

  • Je dessine, je jardine.
  • Je joue aux jeux de société.
  • Je me déguise.
  • Je joue avec les jeux à disposition dans les bacs.
  • Je joue au bac à sable, à eau.
  • Je réfléchis sur le banc rouge.
  • Je discute ou me réconcilie sur le banc gris.
  • Je joue aux véhicules, balances, échasses en plastique, toboggan.
  • Je m’occupe des petits.
  • Je joue à la marelle.
  • Il est interdit : de courir, de crier.
  • Après la récréation, je range mes jeux à leur place.

La grande cour – le défouloir – Je marche, je cours, je danse

  • Je joue au ballon en mousse.
  • Je saute avec les ballons sauteurs, les échasses en bois.
  • Je saute à la corde, à l’élastique, au diabolo.
  • Je joue à des jeux d’équipe.
  • Je vais à vélo jaune.
  • Il est interdit de jouer avec des ballons durs.
  • Après la récréation, je range mes jeux à leur place.

2.      Autres réalisations

Des jeux muraux en bois, des tables de jeu, de la peinture au sol, des goals de foot… Les cours se sont étoffées et des nouveautés sont apparues.

  • Des fresques été peintes par les enfants lors d’ateliers artistiques sur le thème de la nature. Elles se trouvent dans la cour verte, la cour calme. C’est un endroit de repos, d’échanges et de ressourcement. Deux bancs ont été installés face aux fresques. « Le banc où je réfléchis », rouge, là où l’enfant est amené lors de conflits, de bêtises réalisées ou de violence constatée par les enseignants. L’autre, gris, est « le banc où je discute, me réconcilie ».
  • Un carport permet aux enfants de s’abriter du soleil ou de la pluie dans la cour « défouloir ». Il abrite trois ensembles de pique-nique qui servent aux jeux de société et comme tables de discussions.
  • Des coffres pour le rangement des jeux.
  • L’hôtel à insectes est un projet de classe maternelle. La conception et la mise en place ont été réalisées par une stagiaire et les enfants de deuxième et de troisième année.
  • Deux jardinets ont été créés. «Cet espace de jardinage nous a semblé primordial dans la cour calme où les enfants sont amenés à des démarches citoyennes de culture et de connaissance de la terre. Ils sèment et récoltent leurs légumes», dit la directrice.
  • La cabane de l’amitié et la cabane des « intouchables ». Dans la cour « bleue », la plus tonique, ces deux cabanes ont été aménagées en espaces de jeux où les enfants peuvent discuter, jouer, se réfugier lors de jeux d’équipe.
  • Peinture des murs. «Ils étaient en piteux état, reconnaît la directrice. Si nous voulions que nos cours aient fière allure, il fallait les rafraîchir. Des parents et des anciens sont passés à l’action.»

3.      Conclusion

«Nous avons mis un point d’honneur à travailler en équipe, tant au point de vue des idées, de la conception, que de la réalisation, souligne Marie-Hélène Albert. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec les parents, les élèves et d’anciens élèves, les enseignantes et autres bénévoles. L’engouement de chacun a même permis de réduire considérablement les frais de main-d’œuvre.»

L’élaboration des différents espaces et règles a été entièrement réalisée par les élèves. «Cela nous semblait la meilleure voie pour un respect futur de ces structures», ajoute la directrice.

4.      Contact

École libre Saint-Walfroy : Rue de l’Auwy 24 à 6810 Pin-Chiny ; tél. : 061 31 35 68 ; courriel : ec002720@adm.cfwb.be (Marie-Hélène Albert, directrice).

6. « Cultivons la non-violence à l’école » par l’AMO Le Déclic et le Planning Familial La Passerelle

Depuis plus de dix ans, l’AMO Le Déclic – en collaboration avec le centre de planning familial La Passerelle – anime des séances sur la communication non violente dans les écoles primaires de la région de Mouscron-Estaimpuis. Toutes les classes, de la première à la sixième, sont initiées à ce concept : tenter de résoudre les disputes, apprendre à discuter sans conflit. Les séances aident les enfants à apprendre à se connaître, à connaître les autres, à être à l’écoute et à s’ouvrir, à apprendre à reconnaître leurs émotions et à les exprimer, à apprendre à distinguer leurs besoins et ceux des autres.

«L’appel à projets du Fonds Houtman nous a permis d’aller plus loin dans notre démarche, dit François Canon, assistant social à l’AMO Le Déclic. De sortir de la salle de classe et d’intervenir concrètement dans l’espace de jeu et de vie des enfants à l’école, à un endroit où “tout se joue” : la cour de récréation.» L’objectif commun était de mieux comprendre ces espaces comme lieux de vie où se jouent aussi des formes de violence et d’exclusion et à les transformer en lieux de citoyenneté, d’épanouissement, de partage et d’empathie.

Le projet s’est déroulé deux établissements scolaires : l’école communale de Luingne en 2016-2017 et l’école libre du Tuquet en 2017-2018, soit quatre cours de récréation. La démarche est la même, mais le résultat est sensiblement différent, car il est adapté à la demande de chaque école.

1.      L’école communale de Luingne

«Dès le début de notre intervention, nous avons demandé l’implication de tous pour le projet d’aménagement de la cour de récréation», explique François Canon. Le projet a été présenté à la direction et aux enseignants, qui y ont été sensibilisés au cours d’une journée pédagogique en début d’année scolaire. Quelques thèmes se sont déjà dégagés : la notion de non-jugement, d’écoute, de respect.

L’équipe a recueilli les idées des élèves. «Nous leur avons demandé de nous dessiner la cour de récréation de leurs rêves, sous-entendu une cour où il y aurait moins, voire plus du tout de conflit, une cour où il fait bon vivre, poursuit l’assistant social. On a eu de tout : une grande roue, une piste de ski! Heureusement, nous les avions prévenus : tout ne serait pas possible à réaliser!» Les dessins ont été exposés lors de la réunion des parents en décembre.

Les professeurs et la direction sont les partenaires privilégiés de cette démarche, ce sont eux qui vont assurer la continuité du projet. Le Déclic les a rencontrés à plusieurs reprises pour entendre leurs attentes, leurs idées et leur expérience. L’AMO et le centre de planning familial ont aussi a tenu un stand lors de la réunion de parents afin de les inclure dans la démarche. «Les conflits dans la cour de récréation étaient une grande source d’inquiétude pour eux et pour leurs enfants», constate François Canon.

Réalisations

Plusieurs choses ont été faites, acquises, construites ou aménagées :

  • Peintures sur le sol pour délimiter les zones « ballons », « sans ballon », « calme » ; traçage de marelles, d’un échiquier, du terrain de foot, des points de rangement.
  • Construction de goals en bois, de tables de pique-nique pour le coin calme, de bancs, des coins « j’ai besoin de souffler » et « résolution de conflits », des boîtes à cris.
  • Achat de malles à jeux, création d’un mur d’expression.
  • Pose d’une clôture autour de la cour pour éviter que les ballons sortent.

Enfants, parents et équipe éducative ont pu découvrir cette « nouvelle cour de rêve » à la rentrée suivante. La première semaine, La Passerelle et Le Déclic ont assisté à toutes les récréations (matin, midi et soir) pour y recueillir en direct les impressions, les réactions et les remarques des élèves et des surveillants.

Evaluation

Les enfants se sont précipités sur la malle, sorti les cerceaux, les cordes, les élastiques. Ils ont découvert le terrain tracé et de nouveaux buts, se sont posés sur les bancs pour discuter et rigoler… Bref, tous les espaces et jeux ont été investis.

La plupart des enseignants sont ravis de ce nouvel aménagement. Certains avaient des appréhensions à propos de la surveillance : comment cela allait-il se passer ? Les disputes ont (presque toutes) disparu. Ils se sont rendu compte qu’avant l’aménagement ils passaient leur temps à séparer des enfants, les écouter se plaindre, calmer l’un ou l’autre. Ils abordent la surveillance de manière plus détendue.

Certains freins cependant. Des enseignants avaient un peu de difficulté avec l’usage de la malle. Voir utiliser son contenu à d’autres fins que sa destination initiale les contrariait. «Nous on trouve ça génial que les enfants se les approprient et transforment le parachute en dragon, mais ça les déstabilisait.» Après discussion sur les bienfaits de laisser les enfants développer leur imagination, le débat s’est recentré sur le respect du matériel. «Quant aux parents, ils sont venus vérifier notre promesse», ajoute François Canon.

Le règlement de la cour a été rédigé par les élèves et les enseignants. Les panneaux pictogrammes pour les différentes zones ont été réalisés par les élèves de sixième et leur institutrice. Une autre règle a été mise en place dans la cour à l’initiative de La Passerelle, du Déclic et des institutrices : le mercredi sans ballon. L’idée est d’inviter les enfants à changer leurs habitudes, à initier et découvrir d’autres formes de jeux que le foot, qui occupe pas mal de place dans la cour. «Cela fonctionne assez bien, constate-t-il. Une autre dynamique apparaît avec tout autant de plaisir partagé.»

Le bilan est positif : plus aucun nom dans le cahier de discipline depuis la rentrée ! Les enfants s’occupent, jouent ensemble. «Ils ne s’ennuient plus, et donc n’ennuient plus les autres.» Le projet est maintenant entièrement entre les mains de l’équipe éducative «Tous savent néanmoins que nous restons à leur disposition pour la moindre question. Nous ne perdons d’ailleurs pas le contact puisque La Passerelle et Le Déclic continuent leurs animations en communication non violente au sein de l’établissement.»

2.      L’école libre du Tuquet

L’expérience a été réitérée l’année suivante dans une autre école primaire, selon le même schéma d’intervention. Le recueil des idées des élèves a emmené quelques variantes, comme l’idée de zones délimitées « ballon » et « sans ballon », la création d’un « coin danse », une envie d’aventures (château fort et mur d’escalade). Les parents penchaient pour la création d’une marelle et d’une zone « calme ». Les membres de l’équipe éducative ont quant à eux expliqué ce qui posait problème de manière récurrente. Le foot, par exemple : les enfants courent partout, sans terrain délimité, bousculant ceux qui jouent plus tranquillement.

De la réflexion à la concrétisation

Parmi les dessins des enfants, les idées des parents et les propositions de professeurs, c’est le nombre de demandes qui a guidé le premier choix. Il s’agissait ensuite d’opérer un tri et de proposer un aménagement des cours où chacun s’y retrouverait.

La plus grande crainte du corps enseignant était l’éventuelle surcharge de travail : allait-il falloir doubler les effectifs pour surveiller la cour ? Sans compter la perte de temps pour ranger le matériel, les possibles accidents…

Voici ce qui a été retenu :

  • Un coin danse avec radio.
  • Une zone calme avec des tables de pique-nique, une zone ballon et une sans ballon.
  • Une zone d’expression avec un tableau noir pour dessiner.
  • Des parcours avec un pont suspendu et des barres fixes.
  • Des jeux au sol, des cabanes en bois, des malles à jeux.

3.      Evaluation

Ici aussi les animateurs ont assisté à toutes les récréations durant la première semaine de septembre pour recueillir les commentaires. «Des enfants sont venus nous remercier et leur imaginaire s’est tout de suite emparé de ce nouvel espace. Twister est devenu une piste de danse, la cible est devenue un “touche-touche”. Les cabanes devenaient tour à tour des prisons ou des châteaux», raconte François Canon. Les parents ont aussi remercié l’équipe éducative pour le nouvel aménagement de la cour. Les enseignants ont constaté qu’il y avait moins de disputes, chaque enfant étant occupé à jouer avec ce qui lui plaisait, et moins de ballons volaient n’importe où. Une enseignante s’est étonnée de voir des enfants tranquillement assis sur le banc de pique-nique à discuter ou dessiner. «La croyance qu’un enfant a besoin absolument de courir et de crier pour se décharger en récréation est encore bien présente chez certains adultes», remarque l’assistant social.

4.      Une nouvelle demande a émergé

Deux cours de l’école de la Marlière ont été aménagées, mais il y en a une troisième qui accueille les tout-petits de première et de deuxième maternelle. Les institutrices de ces quelques classes se sentaient un peu abandonnées, mais… comme il restait de la peinture… «Nous avons mis notre groupe d’ados sur le coup, dit François Canon. L’AMO travaille avec des jeunes qui sont souvent en grande difficulté, qui n’ont pas beaucoup d’estime d’eux et le fait de contribuer au réaménagement de cette cour leur en a apporté. La direction de l’école les a invités à assister à la toute première récréation de rentrée. Ils ont vu ces petits loulous découvrir les jeux qu’ils avaient peints et venir leur dire merci. C’était très gratifiant!»

5.      Conclusion

Aujourd’hui, le centre de planning familial La Passerelle continue d’aller régulièrement dans les écoles et bénéficie d’un retour sur ce qui s’y passe. «On ne perd donc pas le projet de vue, dit François Canon. Des choses marchent toujours très bien, comme le coin danse que l’on a décoré en mode discothèque avec de fausses boules à facettes et de faux spots. D’autres fonctionnent moins bien, comme les malles. Les profs, ça les énerve toujours un peu qu’elles ne soient pas rangées, alors ils préfèrent ne pas les sortir. C’est sans doute plus facile pour eux, mais c’est dommage.» Il pointe un atout essentiel au projet : avoir en face de soi des directions motivées. «Aussi, ajoute-t-il, le projet n’est pas imposé, il est réfléchi avec le corps enseignant et avec les enfants. C’est tout naturel vu que ce sont les principaux utilisateurs.» Pour preuve toutes les cours sont différentes.

6.      Contact

 AMO Le Déclic : Rue de la Station 131 à 7700 Mouscron ; tél. : 056 84 04 64 – courriel : amo.ledeclic@skynet.be (François Canon, Assistant social).

Centre de planning familial La Passerelle : Rue de la Station 129 à 7700 Mouscron – tél. : 056 34 60 83 – courriel : lapasserellemouscron@gmail.com (Maud Varrasse, Assistante sociale).

7. « Aménageons et structurons notre cour de Récré-Action pour mieux vivre ensemble ! » par l’Institut médico-pédagogique René Thône

L’IMP René Thône est une école secondaire de l’enseignement spécialisé formes 1 et 2. Il accueille quelque 170 adolescents présentant un handicap mental modéré à sévère.

Les deux petites cours de récréation – une pour chaque forme de handicap – étaient plutôt banales, ce qui engendrait de l’ennui et parfois de l’agressivité. «Nos élèves ont besoin de se défouler mais les moments de récré étaient chargés de violence. On assistait à de nombreuses disputes, à des bousculades», explique Frédéric Hostaux, professeur de pratique professionnelle en ferronnerie et soudure. L’idée était de créer des zones pour réguler les comportements et l’agressivité. Des aménagements en ce sens, l’équipe en avait déjà visité dans d’autres écoles inspirées des travaux de l’UMons. Pourquoi pas dans la leur ?

Les enseignants ont imaginé des zones convenant aux désirs et aux besoins de chacun. Et, en classe, les élèves ont exprimé leurs souhaits. «Les élèves ont été impliqués dès le début. Leurs professeurs ont discuté avec eux pour voir de quoi ils avaient envie, comment ils voyaient leur cour de récré, ils ont recueilli des dessins, poursuit Frédéric Hostaux. Nous visons le maximum pour nos élèves. Évidemment, tout n’est pas possible, mais on est derrière eux et comme nous travaillons par projets, ces aménagements entraient parfaitement dans ce cadre. Ils ont monté les bancs, ils ont peint une partie de la cour… Ça ne nous intéresse pas de leur proposer un projet tout fait, celui-ci était participatif.»

Les mots-clés de ce chantier : épanouissement et respect. On y ajoutera le bien-être et la citoyenneté, chacun occupant l’espace comme bon lui semble, mais avec un respect des règles, des autres et du matériel.

1.     La cour des élèves de forme 1

La cour est divisée en plusieurs zones dédiées à des activités spécifiques ou à des rythmes différents.

–        Zone balle : « Ici, je joue à la balle en mousse ». Seul ce type de balle est utilisé pour les jeux de ballon. La zone est réservée aux joueurs.

–        Zone d’expression : « Ici, je dessine ou je m’exprime ». Les élèves peuvent laisser libre cours à leur imagination et à leurs émotions. Ils disposent d’un tableau fixé à un endroit choisi ensemble, de craies blanches et de couleurs ainsi que d’un chiffon humide.

–        Zone ludique 1 : « Ici, je joue sans ballon ». L’espace est réservé aux jeux créés et dessinés au sol avec les élèves, la marelle par exemple.

–        Zone ludique 2 : « Ici, je joue à la pétanque » et « Ici, je grimpe ». Avec l’aide de professeurs, les élèves ont aménagé un terrain de 10 mètres sur 3 : décaissement du terrain, bâchage, couverture en dolomie… ils ont donné un coup de main à chaque étape. A proximité, un portique en bois leur permet de se dégourdir, de s’étirer, de ramper… Dans ce coin, la psychomotricité est de mise.

–        Zone de repos : « Ici, je me pose ». Beaucoup d’élèves profitent de leur temps de récréation pour échanger avec leurs copains et « se poser ». A leur demande, ils disposent de tables de pique-nique et de bancs en bois. Ce sont eux qui les ont assemblés avec l’aide de leurs professeurs d’atelier.

–        Zone de réflexion : « Ici, je réfléchis ». C’est un endroit où on peut s’isoler et aussi inviter les élèves qui perturbent les zones à s’installer pour réfléchir à leur comportement. Cet espace comporte un banc. Seul face à un mur décoré de points d’interrogation de couleur, l’élève peut se recentrer sur lui-même et tenter de comprendre pourquoi il est isolé des autres.

2.     La cour des élèves de forme 2

Des zones choisies par les élèves portent les mêmes noms que dans la cour de la forme 1 mais leur affectation est légèrement différente. Cette cour est aussi plus « physique ».

–        Zone de sports de ballon : « Ici, je joue au ballon ». Football, basket… l’usage du ballon se fait uniquement dans cette zone et seuls les élèves qui désirent y jouer peuvent accéder au terrain.

–        Zone ludique : « Ici, je joue sans ballon ». Les élèves épaulés de leurs professeurs choisissent de participer à la construction des jeux (formes, couleurs…) : marelle à trois branches, serpent des chiffres, imite-moi et twister.

–        Zone de course : « Ici, je peux courir ». Les élèves envahissent cette zone uniquement s’ils veulent courir en suivant les empreintes de pas de diverses couleurs.

–        Zone fitness : « Ici, je garde la forme ». Des engins de musculation ont été choisis par les élèves. Des exercices en face à face ou côte à côte permettent en même temps de discuter et d’échanger.

–        Zone calme : « Ici, je reste zen ». Chacun peut s’y tenir un peu à l’écart des autres et des zones de mouvement.

–        Zone de reposzone de réflexionzone d’expression. Ces espaces sont comparables à ceux de l’autre cour.

Pour égayer davantage la cour des élèves de forme 2 et pour séparer la zone fitness de la zone ludique, de petits ilots de verdure ont été réalisés à l’atelier bois par les élèves et leur enseignant.

3.     Le suivi

Une nouvelle structuration de l’espace, de la couleur, de beaux matériaux… Les cours sont devenues d’agréables lieux de vie où chacun trouve plus facilement sa place. Élèves et enseignants savent qu’ils ont contribué à ces changements.

Les zones sont identifiées par des panneaux et des pictogrammes par lesquels les élèves les décrivent. Ils ont aussi élaboré les règles des jeux au sol et les règles de mieux-vivre dans ce nouvel environnement. Pour maintenir un climat serein et convivial, les équipes de surveillants (éducateurs et enseignants) s’organisent pour qu’un adulte soit présent et encadre chaque zone. Un groupe s’est constitué autour de ce projet pour le maintenir et faire respecter le règlement de la cour. «Celui-ci est présenté en début d’année et on le rappelle constamment aux élèves, dit Valérie Splingard, professeur de cours généraux. Il faut rappeler que nos élèves ont beaucoup de difficultés. La répétition est constante, mais on voit que certains d’entre eux coachent à leur tour leurs comparses, une dynamique se met en place.»

Les réunions de délégués de classe permettent de faire le point sur les moments de vie de recréation et de voir si ces aménagements correspondent toujours bien aux besoins. Les travaux sont certes terminés, mais dans la tête de ces enseignements, le projet n’est pas définitivement clôturé. «On pourra le faire évoluer en fonction des élèves qui rejoignent l’école», envisagent-ils. En attendant, ils ont déjà observé une réduction des tensions pendant la récré et le climat général de l’établissement s’est apaisé.

4.      Contact

 IMP René Thône : Rue du Débarcadère 100 à 6001 Marcinelle ; tél. : 071 44 64 64 ; courriel : viviane.losada@hainaut.be (Marie-Viviane Losada Espinedo, directrice ; Frédéric Hostaux et Valérie Splingard, professeurs).

8. « Pas juste des récréations mais des récré-actions ! Pour une cour de récré rêvée pour tous et pour chacun ! » par l’école communale bilingue de Bois-de-Lessines

L’école communale bilingue de Bois-de-Lessines a mis en place des « bulles d’oxygène » diversifiées et cosmopolites durant les moments de récréation de manière à favoriser le respect de soi et de l’autre, la coopération et l’empathie. Ces bulles permettent à chacun d’y trouver son compte et correspondent à des propositions faites par les enfants, l’équipe éducative et l’association de parents. Certaines bulles sont présentes et ouvertes en permanence, d’autres de manière ponctuelle en fonction des besoins et des choix des enfants et de l’équipe éducative.

«Nous quittions une période difficile de travaux de rénovation et de construction d’un nouveau bâtiment», raconte Caroline Chaisinstitutrice maternelle. C’est elle qui a géré ce projet dans l’école. «On envisageait aussi une refonte de nos espaces de récréation. On rêvait d’une cour qu’on n’avait pas… on allait donc la créer!»

Ici, pas de tensions majeures à réguler ; l’idée est davantage de travailler sur la stimulation. «Nous souhaitions donner un maximum de possibilités aux enfants. C’est ainsi que nous avons modelé l’espace autour des intelligences multiples.» Autre atout : c’est un univers très accessible et rempli de couleurs.

1.      La mise en œuvre

Caroline Chais a récolté un maximum d’idées dans chaque classe. «J’ai demandé aux enfants ce qu’ils voulaient, j’ai ajouté tout ce qui moi aussi me faisait rêver en tant qu’enseignante, mes collègues ont ajouté leur liste et les parents aussi. Puis on a fait un tri!» Plans, devis, fiches techniques, négociations avec les firmes et les sponsors pour dépenser au mieux l’argent économisé depuis de nombreuses années par l’école, appel aux parents pour des dons et pour équiper certains espaces… «Nous avons bricolé, peint, plastifié… et c’est loin d’être fini, reconnaît l’institutrice. Nous avons créé une boîte à outils avec des ouvrages de référence à disposition de toute l’équipe. Nous avons aussi organisé une conférence avec Françoise Roemers-Poumay la créatrice de la pédagogie des Octofuns sur laquelle se fondent nos aménagements.»

2.      La pédagogie Octofun

Très différents et complémentaires, les Octofun sont des boules d’énergie inspirées de la théorie d’Howard Gardner, selon qui chaque individu possède à la naissance un bouquet d’intelligences qu’il développera plus ou moins au cours de sa vie en fonction de caractères biologiques, familiaux et sociaux. Il en a identifié huit :

  • Bodyfun (intelligence kinesthésique, rouge) : capacité à utiliser son corps de façon précise et élaborée
  • Mélofun (intelligence musicale, orange) : capacité à être sensible aux sons, aux structures rythmiques et musicales.
  • Funégo (intelligence intrapersonnelle, jaune) : capacité à avoir une bonne connaissance de soi.
  • Multifun (intelligence interpersonnelle, vert) : capacité à agir avec les autres de façon adaptée.
  • Alphafun (intelligence verbolinguistique, bleu clair) : capacité à être sensible aux mots et au langage.
  • 3Dfun (intelligence visuospatiale, bleu foncé) : capacité à créer des images mentales précises du monde.
  • Mathifun (intelligence logico-mathématique, mauve) : capacité à tenir un raisonnement logique, à calculer.
  • Vitafun (intelligence naturaliste, multicolore ou fuchsia) : capacité d’être sensible à la nature et à tout ce qui est vivant.

Les ingrédients principaux de la pédagogie des Octofun :

  • Les intelligences multiples pour ouvrir huit directions stimulant le potentiel de chacun.
  • La gestion mentale pour prendre conscience des gestes mentaux nécessaires aux apprentissages et adopter d’emblée la bonne démarche.
  • La psychologie positive pour identifier ce qui fonctionne bien et viser le bien-être au service du savoir et du savoir-faire. C’est le cercle vertueux du plus qui entraîne le plus.

(Source : https://octofun.org)

3.      Huit bulles

L’inventaire qui suit frise l’utopie. «C’est ce que l’on m’a dit un jour, raconte Caroline Chais. Mais l’utopie doit exister pour que le monde avance. Oui bien sûr, le projet dans son ensemble est impossible, mais le but n’est pas de tout mettre en route en même temps. Ces bulles vont s’ouvrir les unes après les autres, pendant un temps ou durablement, certaines se fermeront selon leur usage. Cet inventaire, c’est tout ce qui peut être mis en place. Chacun vient piocher dans la liste ce qui l’inspire.»

Dans la réalité, certaines bulles se sont facilement mises en place et d’autres moins. Certaines n’ont pas tenu longtemps, d’autres encore dépendent la sensibilité ce chacun. Des idées n’ont pu se réaliser que grâce au budget du Fonds Houtman, comme le banc mille-pattes. «On a investi dans du matériel écoresponsable et durable, chose que nous n’aurions pas pu nous permettre autrement. Ce banc est d’ailleurs devenu un incontournable : chaque jour, quoi qu’il se passe, une récré, animation avec les grands ou les petits, il y a toujours quelqu’un dessus.» À côté de cela, plein de bulles ne demandent pas un sou et marchent aussi très bien.

Bulles linguistiques (mots et langage)

  • Bulle des citations et bulle jeux de mots au tableau : pour jouer avec le langage écrit en français et en néerlandais.
  • Bulle boîte à livres : des boîtes à livres sont installées à l’intérieur et à l’extérieur de l’école.
  • Bulle « Raconte-moi une histoire… » : les non-lecteurs se font lire un album choisi dans la boîte à livres par un enfant plus grand ou un intervenant disponible pour se transformer en conteur.

Bulles logico-mathématiques (logique et nombres)

  • Bulle table de Pythagore : 100 cases de 30 x 30 cm sont dessinées dans la cour. Elles sont utilisées comme damier, comme échiquier géant…
  • Bulle jeux de marelle, des opérations… : un marquage au sol combine le plaisir de sauter et de compter en coopérant par groupe.

Bulles musicales (son et rythme)

  • Bulle boîte à bruits et découverte d’instruments : produire des sons, sortir les instruments de leurs étuis…
  • Bulle sur la scène avec du matériel audio extérieur : chanter, jouer et écouter de la musique, se retrouver sur un mini podium, partager ses goûts… Des anciens élèves et des parents musiciens montent aussi sur scène.

Bulles spatiales (formes complexes et espace)

  • Bulle dessin libre : sur les tableaux à la craie, sur de grandes feuilles ou sur le sol les enfants dessinent librement.
  • Bulle tissu magique : des morceaux de tissu de toutes tailles, formes et textures sont à disposition pour créer.
  • Bulles construction avec… : des chutes de bois, des lamelles de parquet, des rouleaux en carton pour inventer des constructions en trois dimensions.

Bulles kinesthésiques (agilité et contrôle)

  • Bulle sports à l’extérieur : foot et tennis sur la place du village.
  • Bulle boîtes à bouger : parachutes, engins roulants, élastiques, moonhopper, cerceaux, foulards, balles diverses et ballons, anneaux, chisteras, frisbees, cônes et piquets… le tout accompagné de fiches que les instituteurs et les professeurs de gymnastique ont présentées aux enfants
  • Bulle vélos coopératifs et jeux à roulettes : le terrain est en pente, ce qui implique de s’aider, se pousser, mais aussi de se laisser conduire à grande vitesse… en veillant à ses passagers.
  • Bulle jeux à l’aide de marquage au sol : l’école a investi dans de nombreux marquages très colorés.
  • Bulle espace ballons doux : chacun finit par trouver sa place…
  • Bulle espace ludique et moteur et jeux d’équilibre : jeux à ressorts, toboggan, train, bancs, maisonnette, pistes d’équilibre et jeux à grimper, balancelles crocodiles…
  • Bulle courir et me dépenser : pelouses, zones « de grande motricité » et pistes avec chronomètre, sifflet poire et de relais.

Bulles naturalistes (nature et découverte)

  • Bulle nature, mini verger : des hôtels à insectes et des nichoirs ont été construits ; des arbres fruitiers, des haies vives, des arbustes à baies comestibles, des fraisiers et des herbes aromatiques ont été plantés dans un espace clôturé. Les classes participent aux aménagements et à la gestion.
  • Bulle compost : les enfants sont sensibilisés au tri des déchets.
  • Bulle jauge d’échange de végétaux : l’idée est de partager. Les enfants rédigent des petites annonces pour le journal pour chacun sache ce qui est à donner ou recherché.
  • Bulle mare : elle abrite des grenouilles.
  • Bulle propreté et tri des déchets : mise en place le tri systématique dans école.
  • Bulle rien n’est perdu : dans l’atrium, les enfants rangent dans des bacs leurs sacs de gym et de piscine. En classe, un autre rassemble toutes les boîtes à tartines.

Bulles interpersonnelles (empathie et charisme)

  • Bulle de l’amitié : un enfant se sent seul, se retrouve isolé des autres… C’est l’endroit pour me poser un moment ou le temps qu’on vienne lui proposer une activité.
  • Bulle zone de médiation et de jeux collectifs : rondes, parachute ; les enfants se servent de « cartes de médiation » ou de jeux pour gérer une difficulté relationnelle ou un conflit. La priorité est de favoriser la communication.
  • Bulle jeu de société divers.
  • Bulle marelle de réconciliation médiation : inspirée des cartes de médiation peintes au sol sous forme d’une marelle.
  • Bulle le mille-pattes : banc collectif pour s’asseoir et papoter, jouer à le chevaucher et à se balancer tous au même rythme.
  • Bulle nos routes et les fils de nos idées : un marquage au sol montre de manière symbolique et pragmatique que même si chacun suit sa route et garde le fil de ses idées, on peut se rencontrer et échanger, inviter l’autre à nous suivre, le suivre à notre tour ou juste nous croiser en restant dans le respect.
  • Bulles intrapersonnelles (introspection et intuition)

    • Jardin japonais, espace zen dans l’atrium : plantations et ambiance sereine.
    • Mini-bulle moi tout seul ! : un petit tabouret pour avoir sa place rien qu’à soi pour un moment, pour être à côté sans être vraiment avec…
    • Bulle de repos : se poser, regarder les nuages, rêver… et ne rien faire.
    • Bulle zoulou : la boîte à cris permet de hurler un bon coup sans déranger les autres.
    • Bulle jeux de table pour jouer seul : défis, puzzles, casse-tête, etc.
    • Bulle « Y’a qu’à… » : espace sans consignes et sans matériel où on est libre d’inventer tout et n’importe quoi dans le respect de l’autre sans se mettre en danger.
    • Bulle nouveautés et activités éphémères : agir en fonction des besoins, proposer de nouvelles choses en tenant compte des souhaits des enfants et des opportunités à saisir.

    4.      Du rêve à la réalité

    Ce projet a fait appel à tous les acteurs scolaires et du monde associatif gravitant autour de l’école. Les bulles favorisent la citoyenneté, l’épanouissement, le partage et l’empathie chez les enfants qui les fréquentent. «En stimulant, on doit moins réguler, constate Caroline Chais. Proposer des récréations mieux organisées et actives ouvre la voie à des cours plus calmes, marquées par une meilleure entente entre les enfants. » La mise en place de ces bulles a déjà permis de désamorcer le stress et l’agressivité chez certains élèves. Ils peuvent y exercer des responsabilités et renforcer leur confiance en eux. Ils font aussi face à moins de frustrations, car leurs besoins essentiels sont rencontrés. Il y a moins d’agressivité latente et donc moins de risque de conflits entre eux.

    Le rêve de l’école du Bois-de-Lessines est contagieux. «Chaque mois des gens m’appellent pour demander comment le projet fonctionne et comment mettre sur pied quelque chose de similaire, dit Caroline Chais. Ça fait chaud au cœur.»

    5.      Contact

    École communale bilingue de Bois-de-Lessines : Place de Bois-de-Lessines 5 à 7866 Bois-de-Lessines ; tél. : 068 33 50 83 ; courriel : alainbource@gmail.com (directeur).

9. « Place aux mots » par l’ASBL Latitude Jeunes du Centre, Charleroi et Soignies

Avec l’École Fondamentale annexée à l’Athénée Royal de La Louvière.

L’ASBL Latitude Jeunes du Centre, Charleroi et Soignies (Réseau Solidaris) propose un carnet d’animations sur l’environnement, l’écologie, le bien-vivre ensemble, l’hygiène… «Sur tout ce qui touche à la santé et au bien-être en général, résume Sabrina Poulin, chargée de projets. Nous intervenons dans les classes et en extrascolaire.» En septembre 2016, la direction de l’Athénée royal de La Louvière et le service PSE ont contacté l’association pour mettre en place des animations sensibilisant les enfants à la prévention de la violence dans les cours de récréation. Les incivilités ne cessaient d’augmenter, les éducateurs et les enseignants rencontraient depuis quelque temps des difficultés à gérer l’ambiance de la cour. Ils se sentaient dépassés. «Le contexte était compliqué. L’école est répartie sur deux implantions, la cour de récréation est exiguë et son revêtement en mauvais état. Nous avons présenté un module de sensibilisation à chaque classe et, grâce au soutien du Fonds Houtman, nous avons pu l’étoffer et le proposer à toute l’école», explique-t-elle.

Deux types de violence étaient observés. Une violence visible : de l’agressivité sous toutes ses formes (détérioration du matériel ou atteinte aux personnes), et une violence invisible, plus difficile à détecter : exclusion, rejet et menaces (racket et harcèlement). «Nous avons eu des discussions avec les enfants sur les difficultés qu’ils rencontraient. Beaucoup soulignaient leur difficulté à trouver leur place dans la cour, trop petite et trop investie par le football, ils évoquaient les toilettes qui sentaient mauvais… Ils ont également défini les comportements qui ne favorisaient pas la paix entre eux. Nous leur avons aussi demandé de créer leur cour idéale.»

1.      Description du projet

Outre l’aménagement de la cour de récréation des deux implantations (maternelle et primaire), le projet se divise en trois volets : « la couleur des émotions » (en maternelle), « Place aux mots » (dès la troisième primaire) et des animations sur la gestion positive des conflits (dès la quatrième primaire).

Les cours de récré

Aménager la cour est un moyen pour développer des valeurs et mieux contrôler les comportements bagarreurs. Réorganiser son fonctionnement en y instaurant des règles précises pour les enfants et toutes les personnes (enseignants, parents, éducateurs et personnel d’entretien…) qui gravitent autour d’eux favorise un climat de bien-être. «Les remarques des enfants nous ont ouvert les yeux sur un espace de vie très important pour eux, dit Sabrina Poulin. Les recherches de l’UMons nous ont accompagnés pour investir la cour de récréation de l’école, qui n’était pas auparavant au centre de nos préoccupations.»

La cour des grands a été partagée en différentes zones selon les activités :

  • Espace bleu : « Ici, tu peux courir avec un ballon ».
  • Espace orange : « Ici, tu peux courir sans ballon ».
  • Espace vert : « Ici, tu ne peux pas courir ». On peut y jouer, marcher, s’asseoir sur des bancs…
  • Espace rouge : « Ici, tu peux te calmer et t’exprimer en cas de conflit ». Il permet de s’asseoir sur un banc pour une médiation.

«Au début, on s’est dit que ça ne marcherait jamais! confie Sabrina Poulin. Les enfants ont complètement explosé le matériel, puis ils ont appris à le respecter pour pouvoir le réutiliser le lendemain. Petit à petit, ils ont aussi respecté les espaces parce qu’ils y ont vu de l’intérêt pour eux-mêmes comme pour les autres.» Pour la cour des petits en revanche, peu de possibilités d’aménagement. «Les enfants de maternelle n’y trouvent pas toujours leur place, constate Sabrina Poulin. C’est un endroit qui peut vite être insécurisant pour eux.» Elle a donc été exploitée différemment pour que les enfants se l’approprient également. Un arbre a été décoré avec les enfants de deuxième et de troisième maternelle. Le but était de tous les réunir afin de discuter des conflits observés pendant le temps de la récréation. «Nous avons décidé d’utiliser un arbre à bisous pour pouvoir s’excuser ou consoler un ami.»

La couleur des émotions

Cathy Ventura, animatrice, a suivi une classe de maternelle durant toute une année et a organisé des ateliers autour de l’expression des émotions : créativité, expression corporelle, découverte de livres… Grâce à des histoires, de la musique, des jeux de coopération, des ateliers créatifs, des photolangages, des mimes et des mises en situation, les enfants ont réussi à mieux identifier, accepter, nommer et différencier leurs émotions et celles des autres. «L’enfant a besoin de dire les choses. Parfois, il le fait de façon un peu inadaptée. Il va peut-être frapper, crier, insulter, avoir des comportements agressifs ou en tout cas difficilement gérables», explique-t-elle. En parlant quand c’est son tour, en écoutant et en prenant en considération ce que les autres disent, il va apprendre à se faire écouter en retour. «Plus vite on jette les bases de l’écoute et du respect, plus vite ces valeurs seront ancrées», ajoute-t-elle.

Elle rapporte quelques exemples :

  • Deux poupées ont été utilisées, l’une triste et l’autre en colère pour donner plus de réalité à l’alternance des émotions. «Je leur racontais pourquoi Léa était triste ou en colère, cela a permis aux enfants de raconter leur propre expérience.»
  • Un dé qui en dit beaucoup : des pictogrammes représentent les différentes émotions. L’enfant qui le reçoit doit mimer l’émotion qui apparaît sur la face supérieure puis le relance. «Ce jeu leur a permis de s’exprimer devant le groupe et de retenir les différentes mimiques des émotions.»
  • La boîte magique : «J’ai placé un miroir au fond d’une boîte en carton et j’ai demandé aux enfants de réfléchir durant quelques minutes à une personne qui était très spéciale pour eux, à la maison ou à l’école. Puis je leur ai dit que j’avais apporté une boîte magique qui allait leur permettre de découvrir une autre personne très spéciale, mais qu’ils ne devaient rien en dire… Quand tous les enfants ont vu ce qu’elle contenait, ils ont exprimé pourquoi chacun d’entre eux était une personne très spéciale.»
  • Chansons. «Après les avoirs écoutées, les enfants ont expliqué ce qu’ils ressentaient. Avec Promenons-nous dans les bois, l’un d’eux a joué le rôle du loup et les autres devaient faire attention de ne pas se faire attraper! Je leur ai demandé d’expliquer leur ressenti : “j’ai peur quand j’entends cette musique”, “je me mets à trembler de partout” et “j’ai envie de me cacher”…»
  • C’est moi… Je suis… «Les enfants ont choisi un smiley suivant leur humeur du jour puis ils se sont dessinés à travers l’émotion choisie et ont expliqué leur choix au groupe.»
  • La colère. Avec le livre Grosse colère, les enfants ont appris à identifier cette émotion, pris conscience des conséquences destructrices de son expression et appris à la maîtriser par la mise à distance. «Il y a eu beaucoup d’échanges, surtout concernant les comportements en famille. Nous avons discuté des crises le matin en arrivant à l’école ou de la colère dans la cour de récréation quand un ami ou une amie ne veut pas partager des jouets.»
  • Le cercle de la parole. C’est un rituel. «Au début de chaque séance, les enfants plaçaient leur prénom sur leur émotion du jour, sur un calendrier. Il pouvait changer de place en cours de journée, l’important étant de prendre un moment pour discuter de ce qu’il s’était passé. En fin de séance, je leur demandais de citer une chose qu’ils avaient aimée pendant le module, une chose apprise et comment ils se sentaient. Les premières fois, ils avaient du mal à écouter les autres. Pour donner la parole à chacun, j’ai utilisé une petite balle comme outil de communication.»

Place aux mots

Cette activité se déroule pendant le temps de midi. Les enfants sont invités une fois par mois dans cet espace réservé à la parole et à la résolution de conflit. C’est un espace formel de médiation qui fait appel à l’intelligence émotionnelle et collective des élèves. Il aide les enfants à retrouver la maîtrise des relations sociales et de leurs émotions, à apprendre à gérer les conflits sans violence.

Des affiches sont apposées dans l’école pour en rappeler le jour et une boîte aux lettres passe dans chaque classe la veille de la rencontre. Les enfants y glissent une explication simple de leur conflit ainsi que leur nom et leur classe. «La particularité de ce système est de donner un espace de parole à chaque enfant sans jugement. Les enfants ont compris que c’était un endroit où ils pouvaient parler librement, que ça restait entre nous, sauf s’ils demandaient ou nous autorisaient à en parler à leur institutrice, car une médiation entre un enseignant et un enfant était aussi envisageable», dit Sabrina Poulin. Certains enfants demandent à venir accompagnés d’un ami, d’une amie ou de l’enfant avec qui ils vivent une difficulté, condition indispensable pour penser à une résolution de conflit. «Nous avons eu beaucoup de demandes, poursuit-elle. Les messages portaient sur la résolution de conflits, sur des demandes de solution, il s’agissait parfois aussi de simples demandes de discussion. Ils venaient parfois avec des broutilles, mais avec un cheminement vers la résolution du problème.» Comment ne pas envenimer un conflit ? Comment le régler sans se refermer sur soi ? Comment en arriver à bout tout en étant en paix avec soi-même et avec les autres ? Pour ces moments, l’ASBL Latitude Jeunes s’est inspirée des travaux de l’Université de Paix.

2.      Points forts, points faibles

C’est l’école qui, au départ de ses difficultés à gérer les tensions, a fait appel à Latitude Jeunes. Et c’est Latitude Jeunes qui lui a proposé de travailler sur l’aménagement des cours de récréation. Une position parfois inconfortable pour les deux chargées de projets. «Nous venions en quelque sorte avec le savoir, dit Sabrina Poulin, que nous leur transmettions lors des conseils.» Autre écueil : les cours de récré elles-mêmes offraient peu de possibilités. «Il a fallu s’adapter, poursuit-elle, trouver des moyens d’y vivre en paix, trouver des solutions pour que tout le monde puisse y passer de bons moments et s’y créer un petit espace pour soi.»

Elles retournent régulièrement dans cette école à l’occasion d’autres projets. «Les enseignants ont pris ce qu’on avait proposé, mais les animations en tant que telles n’ont pas continué, constate Sabrina Poulin. Cependant la boîte aux mots fonctionne toujours et la cour de récré est exploitée. Elle est bien comprise par les enfants. J’en ai vu jouer à la toupie, c’est nouveau. C’est autre chose que jouer au foot ou ne rien faire. L’aménagement leur a ouvert des portes et les a stimulés, leur a fait découvrir d’autres possibilités d’activités et appris à canaliser leurs difficultés relationnelles.»

3.      Contact

ASBL Latitude Jeunes du Centre, Charleroi et Soignies : Rue Ferrer 114 à 7170 La Hestre ; tél. : 071 507 817 ; courriel : latitudejeunes.317@solidaris.be (Sabrina Poulin et Cathy Ventura, chargées de projets).

Documents à télécharger

En construction

Rapport final de l’UMons

Rapport final de l’AMO Le Déclic

Rapport final de l’ASBL Autour de l’école

Rapport final du CAL de Liège

Rapport final de l’IMP René Thône