Pour aller plus loin...

Des initiatives à destination des (futurs) papas ?

Derrière le mot parent, il est souvent question des mères. Ce sont généralement elles que l’on appelle quand l’enfant est malade à l’école ou à la crèche, elles qui se présentent aux consultations de l’ONE… Pourquoi les pères sont-ils moins présents ou moins visibles ? Et aussi : quelle place et quelle écoute leur accorde-t-on dans les différents services dédiés à la petite enfance ?

L’ONE et le Fonds Houtman se sont associés pour mener une recherche sur ce sujet et pour soutenir huit initiatives innovantes destinées aux papas et aux futurs papas. Il s’agit d’espaces de parole, d’échange, de rencontre aménagés dans un environnement propice à leur accueil et à celui de leurs enfants dans une perspective de prévention et de soutien à la parentalité.

Edito

Par Myriam Sommer, Membre du Comité de Gestion du Fonds Houtman représentant le Conseil scientifique de l’ONE, Membre du Comité d’Accompagnement des projets. 

Les recherches et les actions menées par l’ONE sur les pères – dont une partie est relatée dans ce numéro des Cahiers du Fonds Houtman – témoignent de la volonté de l’Office de mettre ce sujet au cœur de ses préoccupations. Comme il l’avait fait lors des premières actions et réflexions autour du soutien à la parentalité depuis le début des années 2000, le Fonds Houtman s’est montré partie prenante pour soutenir les projets ONE destinés aux papas (et futurs papas).

Les changements que connaissent les familles depuis les années 1970 (postmodernité) constituent de véritables mutations. Il suffit de songer par exemple aux transformations dans les relations entre la vie familiale et professionnelle des femmes, à l’individualisation des relations à l’intérieur de la famille, à la reconnaissance des bébés comme personnes ou encore à la pluralité des modèles conjugaux et parentaux (biparentalités, recompositions familiales, homoparentalités, familles adoptives, monoparentales…).

Les mutations de la famille sont souvent vues à travers la question des mères mais elles ont tout autant bouleversé la paternité. Ainsi, on est passé d’un modèle basé sur l’autorité paternelle et la transmission des normes sociales à un modèle de paternité et de maternité relationnel, individualisé, plus égalitaire dans ses principes. Mais on constate aujourd’hui combien ces changements sont restés inachevés et insuffisamment soutenus sur le plan social. Les femmes continuent à assumer, souvent, l’essentiel des responsabilités familiales, le secteur de la petite enfance reste très féminisé et les hommes qui souhaitent s’investir dans la vie familiale se trouvent encore confrontés à de nombreuses difficultés (culture de la performance, impératif de la réussite sociale, logique du profit…).  

Les comportements des jeunes générations sont porteurs d’espoirs mais aussi d’interrogations. Les pères sont de plus en plus nombreux à ne pas vouloir sacrifier leur vie privée à leur vie professionnelle, mais d’autres jeunes, des deux côtés, s’interrogent sur le fait de savoir s’ils feront des enfants dans le monde d’aujourd’hui. La question de l’investissement des pères dans la vie privée relationnelle, et du partage des responsabilités entre les hommes et les femmes au sein de la vie familiale et sociale, est centrale.

Les résultats de la recherche menée et des huit projets innovants destinés aux papas et aux futurs papas présentés ici sont révélateurs de potentialités, d’innovations possibles mais aussi d’exigences. Je me bornerai à citer les premières réflexions qui me viennent à l’esprit.

Quand on cherche les pères, on les trouve : on le voit dans les différents projets. Certes, dans les institutions destinées aux jeunes enfants (consultations, milieux d’accueil, écoles…), les pères sont souvent moins présents que les mères et, quand ils le sont, ils restent souvent en retrait. Mais ils sont peu sollicités et l’expérience montre qu’ils sont preneurs et qu’ils ont des choses à dire. Encore faut-il vouloir les écouter et se poser la question de nos stéréotypes et des freins en matière d’éducation et du manque de mixité professionnelle dans le secteur de la petite enfance. Comme si l’éducation des jeunes enfants devait rester l’apanage des seules femmes.

D’une manière générale ce n’est pas toujours facile d’être papa et certains rencontrent plus de difficultés que d’autres. La parentalité relationnelle, individualisée, est l’objet d’une inflation d’attentes et de responsabilisations individuelles. Cela peut constituer une source de difficultés pour tous les pères. Comment communiquer avec cet enfant qui est une personne mais qui doit aussi recevoir une éducation ? Les difficultés sont accentuées dans les familles précarisées, lorsque les pères manquent de reconnaissance sociale et de confiance en eux-mêmes, ou comme dans le cas des familles allochtones, lorsque l’on se sent isolé et en perte de repères. Dans la plupart des cas : « Ils veulent être de bons pères mais ne savent pas comment s’y prendre ».

La pluralité des situations et des parcours de vie incite à une diversité et une individualisation des actions, mais nous ne devons pas perdre de vue l’importance de la dimension collective des problèmes (les pères et d’une manière générale les parents ont des revendications sociales à défendre). On constate d’ailleurs dans les initiatives décrites que les investissements sont plus intenses dans les projets « qui renforcent les liens sociaux » et que la diversité des situations peut constituer un atout.

Enfin, et cela se retrouve dans les témoignages, tout le monde doit y gagner. Il ne s’agit pas de dresser un genre contre l’autre, ni de laisser aux seules femmes la responsabilité de l’éducation des enfants. Nier la place du père peut faire des ravages, particulièrement chez les enfants. Ce qui se joue dans cette question de la place des pères, c’est la question de la qualité de vie pour toutes et tous, la démocratisation de l’intime et celle de la société dans son ensemble[1]. Affaire à suivre donc.

[1] Voir à ce sujet : Christine Castelain-Meunier, La place des hommes et les métamorphoses de la famille. Paris, Éditions des presses universitaires de France, 2002.

.

I. Préambule : quand la théorie et la pratique se rencontrent

Par Christine Godesar, chercheuse à la Cellule Recherche et Évaluation, et Aurélie Dupont, gestionnaire de projet à la Cellule Soutien à la Parentalité (ONE)

Pourquoi les pères sont-ils peu (ou pas) présents dans les lieux que fréquentent leurs enfants ? Cette préoccupation n’est pas nouvelle. Il y a quelques années, le développement de séances d’information à destination des futurs papas à l’hôpital d’Ixelles ainsi que « l’Atelier du futur papa » en France lui ont donné un coup d’accélérateur. La visibilité de ces initiatives a en effet suscité le désir de la Cellule Soutien à la Parentalité de l’ONE de poursuivre plus activement ce travail sur la prise en compte des (futurs) pères à l’ONE. Néanmoins, dans le respect du soutien à la parentalité tel qu’il est prôné à l’ONE[1] – attaché à la prise en compte des contextes de vie et des besoins pluriels des familles –, l’équipe a souhaité créer un projet novateur. L’accent y est mis sur la nécessité de s’adapter à chaque (futur) papa et parent et sur l’importance de ne pas prôner une paternité standardisée, quelle qu’elle soit. Le (futur) papa est considéré, accueilli et accompagné comme un parent à part entière.

Dans cette continuité, une recherche[2] a mis en évidence des leviers et des freins à la mise en place de dispositifs à destination de (futurs) papas. Elle a relevé certains éléments-clés à suivre et ceux-ci ont notamment été utilisés dans le cadre du lancement d’un appel à projets ciblant des initiatives relatives à la paternité. Grâce à l’ONE et au Fonds Houtman, huit dispositifs ont été soutenus financièrement et accompagnés durant un peu plus d’un an.

Initialement, certains de ces éléments-clés étaient considérés comme des critères obligatoires pour introduire une candidature (prise en compte des contextes de vie ; considération du (futur) papa comme un parent à part entière ; présence, dans l’équipe, d’au moins un homme en contact direct avec les (futurs) papas ; cohérence au niveau de la participation financière éventuellement demandée au public concerné ; évaluation continue). Néanmoins, dans le respect de l’expertise des professionnels de terrain sur le vécu des familles et afin de permettre une approche plus adaptée aux réalités et aux différents publics concernés, ils ont été retravaillés par l’ONE en collaboration avec les équipes soutenues et ce, tout au long de l’accompagnement. La Cellule Soutien à la Parentalité et la chercheuse ont notamment entendu les difficultés et les questionnements que suscitait la présence dans les équipes d’un homme en contact direct avec les (futurs) papas. Ainsi, cette présence s’est-elle avérée tantôt indispensable, tantôt secondaire, mais toujours porteuse de réflexions et de cheminements au sein des équipes.

Les rencontres entre les soutenues, la Cellule Soutien à la Parentalité et la chercheuse ont permis un travail individuel et collectif sur les représentations et les postures. Ces moments ont également permis d’échanger sur les pratiques et les difficultés rencontrées, chacune bénéficiant des expériences et conseils des autres. Ces espaces de ressourcement, mais également de décompression nécessaires à la mise en place de dispositifs novateurs, ont permis une évaluation et une adaptation continue afin d’être toujours au plus proche des besoins des publics concernés.

Ainsi, avec la volonté de poursuivre la sensibilisation des professionnels en contact direct et indirect avec les familles, l’évènement « Et pour mon papa ? », organisé le 3 octobre 2023, propose de mettre en lumière ces réflexions et une série de messages-clés. Il représente une occasion, pour les professionnels intéressés, concernés par la thématique, de se rencontrer, d’échanger sur le sujet et d’en apprendre davantage à partir de l’expérience d’équipes déjà passées par là.

Ce numéro des Cahiers du Fonds Houtman donne un aperçu des réflexions et des pistes pour l’avenir dessinées par ces huit projets.

 

[1] Sur base du document Pour un accompagnement réfléchi des familles. Un référentiel de soutien à la parentalité, ONE, 2012.

[2] Ch. Godesar, Dispositifs à destination des (futurs) papas dans le champ de la périnatalité et de la petite enfance en Fédération Wallonie-Bruxelles, rapport de recherche, ONE 2020.

 

II. Les huit projets soutenus

1. Le café des papas

À Bruxelles, le pôle périnatal du CHU Saint-Pierre, le Lieu de Rencontre Enfants et Parents (LREP) Toile de Jeux dans le quartier des Marolles et la consultation pour enfants de l’ONE située non loin, Boulevard de Waterloo, se sont associés pour développer ce projet.

 

Le pôle périnatal organise régulièrement des séances collectives d’information pour les couples en vue de l’accouchement à l’hôpital Saint-Pierre. Différents thèmes y sont abordés, dont le retour à la maison. Lors de ces séances qui durent deux heures, un moment est réservé aux futurs papas : le « café des papas ». Ce café existe depuis quatre, cinq ans déjà et touche à chaque fois une dizaine de pères.

Le souhait était de développer des activités postnatales car, quand le bébé est né, de nouvelles questions se posent. « Il nous a aussi semblé pertinent d’impliquer d’autres partenaires pour toucher des pères et futurs pères du quartier des Marolles et leur proposer une offre de services proches, notamment le lieu de rencontre enfants et parents que les hommes fréquentent peu », explique Moïse Schepens, en charge du projet et partenaire enfants-parents (PEP’s)[1] à la consultation ONE. Les futurs pères du « café des papas prénatal » étaient aussi demandeurs d’une suite, de pouvoir se réunir pour discuter quelques mois après la naissance de leur enfant, de se retrouver, de partager un vécu et des questions communes. C’est ainsi que le « café des papas postnatal » a démarré, incluant les deux publics cibles.

Le projet se nourrit de plusieurs constats : une demande des futurs pères de disposer d’un espace de dialogue et d’échanges, une volonté des équipes d’être plus attentives à leur vécu, leurs émotions et désirs, une volonté de sensibiliser les papas du quartier vivant une situation de vulnérabilité psychosociale, une tentative de réduire les inégalités sociales de santé en valorisant l’engagement paternel et une volonté d’interroger les pratiques et les représentations autour de la paternité. « Toutefois, nuance Moïse Schepens, toucher les pères du quartier dans lequel nous travaillons reste une difficulté. Je parle de pères qui sont dans des situations de vulnérabilité, qui vivent des choses complexes, qui n’ont probablement pas le temps de s’arrêter, de participer avec d’autres hommes à des réunions le soir. » Parmi ses hypothèses, il pointe le frein que peut représenter le groupe : « prendre la parole, c’est s’exposer, dit-il, exprimer ses émotions, son vécu, ce n’est pas évident pour tout le monde ». Pour lui, il s’agit moins d’un frein culturel – à Saint-Pierre, la fréquentation est à l’image de la mixité bruxelloise – que d’une barrière sociale.

Outre les cafés des papas, plusieurs actions ont été mises en place : séance de massage bébé, séance de portage, co-organisation et participation à la semaine de la paternité, journée destinée aux futurs parents, ateliers réflexifs destinés aux professionnels de la périnatalité. L’idée est également de sensibiliser les mamans au rôle des papas.

[1] Les partenaires enfants-parents, également appelés PEP’s, travaillent en étroite collaboration avec le médecin ou le gynécologue de la consultation. Ils sont disponibles pour répondre à toutes les questions concrètes que peuvent se poser les (futurs) parents et peuvent aussi aider à réaliser certaines démarches. En cas de besoins particuliers, ils peuvent orienter vers les services appropriés grâce à leur bonne connaissance du réseau et des ressources locales.

Dans le cadre d’une journée destinée aux futurs parents organisée au CHU St-Pierre, ceux-ci ont eu l’occasion de s’essayer notamment au portage
Dans le cadre d’une journée destinée aux futurs parents organisée au CHU St-Pierre, ils ont eu l’occasion de découvrir différentes techniques de massages et de soulagement du dos

1.1 Le dispositif

Au café des papas, après un petit tour de présentations, le ton devient vite convivial. On se tutoie, on s’installe dans une position confortable. La plupart d’entre eux seront pères pour la première fois, d’autres, en famille recomposée, ont déjà des ainés… La naissance de bébé est pour bientôt. Moïse Schepens remonte un peu le temps et les interroge : « quand votre compagne vous a annoncé qu’elle était enceinte, qu’est-ce qui vous est passé par la tête ? » « Pas mal de choses émergent et souvent revient la question des responsabilités : maintenant il faut y aller ! Parfois, ils se projettent assez loin, dans les études de l’enfant… D’autres ont besoin de temps pour réaliser : les examens et les échographies successives, sentir bébé bouger les y aide. J’ai rencontré de futurs pères qui attendaient que l’enfant soit là, que la réalité s’impose. Il y a toutes sortes de profils. » Pour certains, la première échographie est un choc : « j’entends son cœur, je le vois ! », et cela devient une évidence. Moïse Schepens aborde aussi les réactions des proches : « comment a réagi votre entourage masculin ? » « Un des participants a dit qu’il avait été lâché par ses amis célibataires, dit-il. Mais en général les amis qui sont déjà pères sont plutôt complices, rassurants. » Des paroles sont formulées pour la première fois. D’abord parce que ces hommes ne vont pas forcément se revoir, à moins qu’ils poursuivent les séances en postnatal. Ce sont des mots qui font effet chez les autres. Quand l’un s’exprime, un autre réagit, renforçant ou déculpabilisant. « On partage, on n’est pas seul avec ses pensées », résume l’animateur, qui aborde également la réaction de leur père à eux. « La plupart du temps peu de choses sont dites, les réactions sont non verbales et l’émotionnel assez contenu. Peu racontent comment cela s’est passé avec leur père, celui-ci ne le racontant pas. Des participants n’ont d’ailleurs pas imaginé poser la question à leur géniteur. Bien sûr la représentation des pères à l’époque n’était pas tout à fait la même et certains n’étaient pas acceptés en salle d’accouchement. Maintenant ça change… » Une heure passe vite. « On est très modeste, on vient ouvrir les questions, on ne fait pas le tour des sujets, mais ils peuvent revenir. »

Ce qui fait le café des papas, ce sont les papas ! Ils le nourrissent de leur vécu, de leur humour, de leur impuissance parfois. Une petite interrogation praticopratique – du style : « est-ce que vous dormez bien ? » – débouche sur de grosses questions pas si anecdotiques d’organisation de couple et de support élargi : la famille, les amis sur qui on peut compter… « Certains n’ont pas de solution de réseau pour souffler de temps en temps. Un certain nombre d’entre eux disent que leur compagne a du mal à entendre que, quand ils rentrent du travail, ils sont fatigués et qu’il leur faut un temps alors qu’elles attendent d’eux qu’ils prennent tout de suite le relai. C’est un sujet de tension récurrent. Parfois la temporalité de la maman et celle du papa n’est pas la même. » Les promoteurs des cafés des papas sont satisfaits de les voir échanger et de la qualité de leurs échanges. « C’est tout bénéfice pour eux, note Moïse Schepens. Ce sont des portes qui continuent à s’ouvrir et cela ne peut que faire du bien à la relation qui se tisse dans leur famille. » Les mamans ne sont pas interdites de participation au groupe, mais la communication cible les papas. « Aucune à ce jour n’a demandé à venir, mais nous ne dirions pas non. Se pose aussi la question des coparents du même sexe, mais nous n’avons pas encore eu le cas. »

Moïse Schepens a une formation de sage-femme. Un profil favorable à ce genre d’activité ? Pour lui, que l’on soit homme ou femme, c’est la posture qui importe plutôt que le genre. « Ce qui est intéressant, c’est que ce soient des hommes entre eux. Moi, je n’amène pas de théorie, je suis un facilitateur de parole. Il s’agit d’ailleurs de coanimations avec une personne de Toile de Jeux, et le plus riche c’est quand la parole circule entre les participants. » Les séances prénatales se déroulent à l’hôpital. Pour les séances postnatales, le choix s’est porté sur les locaux de la consultation ONE, pour des questions d’intendance. Les rencontres prénatales ont lieu une fois par mois et les rencontres postnatales une fois tous les trois mois. « On s’est interrogé avec les papas sur le meilleur moment pour se réunir et le moins mauvais, c’est le soir après le travail ou après une formation. Souvent leur congé parental a déjà été pris en tout ou en partie, donc on se voit entre 18 h 30 et 20 heures. »

1.2 Changer les représentations

Il n’existe pratiquement aucune activité spécifique pour les pères. Comment rencontrer, sensibiliser un maximum de papas et de familles ? « Cela passe nécessairement par une réflexion sur nos pratiques professionnelles et sur nos représentations », avance Moïse Schepens, pour qui un contact positif avec un (futur) papa est souvent générateur d’autres rencontres par la suite. « Les participants au café prénatal se sont inscrits pour la plupart à un café postnatal », constate-t-il. Un succès dû à l’effet positif du groupe, les pères rencontrés individuellement uniquement en postnatal participant moins aux activités.

À la consultation ONE ou à domicile en tant que PEP’s, il rencontre régulièrement des papas, mais ce projet-ci stimule une attention supplémentaire. « Quand je contacte une famille pour la première fois une dizaine de jours après la naissance de l’enfant et que je propose une visite, c’est souvent la mère que j’ai au téléphone. Dans 99 % des cas, ce sont ses coordonnées qui sont dans le dossier. Pareil en crèche, quand bébé est malade, on appelle plutôt la maman… Notre regard est formaté. »

Pour communiquer sur ces actions auprès des familles, des papas et d’autres professionnels, les promoteurs du projet ont eu recours à des supports papier et des réunions intra-institutionnelles ont été organisées. Un des enjeux du projet était de questionner en profondeur les pratiques et représentations des professionnels au moyen d’ateliers réflexifs. Mais changer et améliorer les pratiques professionnelles prend du temps, surtout dans de grandes équipes pluridisciplinaires. « Au sein du CHU Saint-Pierre, un groupe de personnes très motivées s’est constitué. Leur implication et leur engagement permettent d’amener d’autres collègues à réfléchir à leurs pratiques. Il s’agit d’un travail de tous les jours, pas à pas. Par exemple, ils vont organiser des séances de préparation à la naissance donnant l’opportunité à tous les futurs pères de s’impliquer plus. » Le budget du Fonds Houtman et l’accompagnement de la Cellule Soutien à la Parentalité de l’ONE et de la chercheuse ont favorisé positivement le déroulement du projet, permettant notamment de faire l’acquisition de matériel pour le massage bébé et pour la journée des futurs parents. Le fait de collaborer avec d’autres institutions a permis de tisser des liens entre elles.

1.3 Demain

C’est un projet qui demande un peu de temps en soirée, de la motivation, de l’envie et, bien sûr, des compétences en animation, mais qui ne réclame pas de gros moyens d’infrastructure ou de communication. « Ici, ajoute Moïse Schepens, le projet est bien ancré dans la parentalité. On ne peut pas le parachuter ailleurs sans conscientisation. Il faut au préalable un temps d’arrêt, de réflexion et de pause avant d’imaginer une activité de ce type, qui d’ailleurs n’aurait pas de sens ni ne marcherait avec des gens qui n’y adhèreraient pas. » Et un prérequis : que les professionnels accordent une plus grande place aux pères… « Pour le moment, cela reste souvent une question parmi d’autres : s’il est présent, c’est bien. S’il n’est pas là, et bien… il n’est pas là. Aller le chercher ou lui demander de quoi il aurait besoin, ça ne se fait pas trop. Il y a clairement des besoins, mais qui ne sont pas exprimés par manque de service ou d’activité spécifique pour eux. »

Jusqu’à présent, il y a eu quatre groupes postnatals, qui vont chacun potentiellement se réunir à nouveau dans les mois qui viennent. L’idée est de maintenir une relative homogénéité dans le groupe : les questions que pose un nouveau-né ne sont pas les mêmes pour un enfant de 9 mois. « Ce projet a mis en évidence cette dimension et nous allons essayer de faire grandir ce café des papas par tranches d’âge. Mais c’est ambitieux parce qu’il faudra multiplier les groupes, certainement entre 0 et 1 an, car c’est plus spécifique, et en fusionner par la suite. »

La réflexion se poursuit également sur la manière de toucher les habitants du quartier. « Il y a une demande à partir du moment où on crée un espace. » Selon l’âge des enfants, les activités peuvent être différentes. Cela ne passe peut-être pas par la parole, mais par des jeux de société, par de la mécanique vélo, par d’autres activités qui se font rencontrer des pères avec leurs enfants. « En prénatal avec l’hôpital, la journée des futurs parents – tout un samedi avec des ateliers – a eu du succès et ce sera répété. Cela a aussi sensibilisé le personnel à l’attention à porter aux papas et cela doit continuer à être travaillé. On réfléchit à nos représentations de la paternité, à nos pratiques, à ce qui passe en salle d’accouchement, à la maternité ou en néonatalité… L’hôpital a un rythme très serré et des exigences particulières un peu différentes des nôtres et c’est compliqué pour tous les services de libérer du temps. La question reste présente néanmoins. »

1.4 Contact

Consultation pour enfant ONE, 110 Boulevard de Waterloo à 1000 Bruxelles.

Moïse Schepens – 0499 57 29 13 – moise.schepens@one.be

2. La Maison Source

Devenir parent, c’est parfois aller vers l’inconnu, rencontrer de nouveaux besoins, de nouvelles priorités. L’ASBL La Maison Source, avec ses antennes à Barvaux et à Bastogne, est une association qui a été conçue pour accueillir les parents et les accompagner dans les gestes du quotidien nécessaires pour le bien grandir des enfants. L’équipe conseille, guide et, le cas échéant, oriente vers d’autres services plus adaptés.

La Maison Source a mis au point un dispositif permettant aux familles de s’entourer afin de veiller au développement le plus harmonieux de leur enfant. Les pôles développés sont la stimulation et l’éveil de l’enfant, le renforcement des compétences parentales, le développement des réseaux d’aide et du réseau social, l’amélioration de la qualité de vie des familles via entre autres une aide matérielle relative aux besoins des enfants, la réflexion autour des projets personnels des parents, le renforcement de leur bien-être. « Notre objectif principal, c’est que l’enfant grandisse bien auprès de son parent ou de ses parents », précise Marie Spoden, coordinatrice de l’ASBL. Et pour cela, il s’agit de prendre autant soin de lui que du parent.

Jeunes parents et futurs parents isolés, vivant une précarité sociale, intellectuelle, financière, familles bénéficiant d’une aide sociale, travailleurs pauvres, familles monoparentales, parents relevant de l’enseignement spécialisé, sont majoritairement les familles accompagnées. Des familles en demande d’asile et des parents dont les enfants sont placés font aussi partie du public de même que, plus rarement, des parents mineurs d’âge. Ces parents ont souvent un parcours de vie difficile : eux-mêmes placés dans leur enfance, ayant vécu des violences, ayant eu des parents souffrant d’addictions ou d’une déficience intellectuelle. La relégation est fort présente et les difficultés liées à une santé mentale fragile sont des facteurs régulièrement rencontrés.

L’équipe leur propose de venir, idéalement une fois par semaine, passer du temps et vivre tous les gestes du quotidien ensemble dans une « maison didactique ». Une maison presque ordinaire avec sa cuisine, sa salle de bains, son salon et sa salle à manger, ses chambres, sa buanderie et son jardin… On y cuisine des repas équilibrés et des collations saines, on porte une attention aux soins du corps, on joue avec les enfants… « C’est un service préventif, ce sont eux qui décident de franchir la porte. » Le but est d’y passer des journées de vie « comme à la maison » avec l’accompagnement de professionnels et de professionnelles de la petite enfance pouvant rassurer, soulager, écouter. Cette maison se trouve à Barvaux. À Bastogne, la formule est la même, mais adaptée à un appartement. L’équipe priorise les 0-3 ans et fait en sorte que les familles viennent au plus tôt, même en cours de grossesse. « La Maison Source, poursuit la coordinatrice, c’est comme un panier rempli de fruits. Les parents viennent se servir. S’ils prennent beaucoup, c’est qu’ils ont besoin de beaucoup ; s’ils prennent peu, c’est que ça leur suffit. »

2.1 Le dispositif

De cette approche globale a bourgeonné un projet spécifique aux papas dans l’idée que, même si cet accompagnement ne vient en aide qu’à un petit nombre d’entre eux comparativement aux mères, cela en vaut la peine. L’idée est aussi qu’à terme ce projet fasse partie intégrante des actions de l’association. Sa particularité ? L’équipe propose aux pères des ateliers en présence d’un accueillant masculin.

Sur septante familles suivies, une dizaine de pères ont des contacts avec l’association et quatre sont directement concernés par ces ateliers. « Des suivis plus individuels ont pu être mis en place sur les deux antennes ainsi qu’une prospection afin de développer nos actions et de proposer ce service à un plus grand nombre de pères », ajoute la coordinatrice. L’association a également reçu une demande directe de quelques papas. « Il faut leur faire une place, dit-elle, et je pense que ce sont d’abord les professionnels qui doivent faire ce travail dans leur équipe. On se rend compte qu’on ne pensait pas systématiquement aux papas… Nous voulons évoluer, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. Les habitudes, ça s’incruste. »

L’équipe, qui travaille déjà avec un psychologue, a pu éprouver l’intérêt d’un échange entre les papas et un travailleur masculin. « Nous étions convaincus qu’il fallait engager un homme pour ces nouvelles activités, mais cela a été compliqué. » Le premier collègue embauché a entamé la prospection, remplacé par un autre qui a repris le flambeau. « Le premier problème, c’est de trouver quelqu’un pour prester un cinquième temps, reconnaît Marie Spoden. Je souhaitais qu’il puisse organiser son travail : faire une activité un soir de semaine, le samedi matin, tenir une permanence téléphonique à un autre moment, parce que cela répondait à la demande. Mais la législation exige une prestation de quatre heures d’affilée… et quand notre candidat trouve un meilleur poste, il nous quitte. L’idéal serait sans doute de travailler avec un indépendant. » En attendant, c’est le psychologue de l’équipe qui a repris la charge du projet.

Quand des papas franchissent le seuil de la Maison Source, l’équipe leur propose un moment de rencontre. Ils viennent avec leur récit de vie, ils expliquent ce qui est plus ou moins facile pour eux dans l’exercice de leur paternité. « Dans la pièce de séjour, nous sortons des jeux adaptés à l’âge des enfants et ils commencent à jouer. Le café coule, et les pères se retrouvent… C’est un dialogue non officiel et c’est cela qui est intéressant. On constate que les papas apprécient cet échange, ils disent que c’est plus facile de parler de soi et de son enfance avec un homme », décrit Marie Spoden.

2.2 Aider les pères, c’est aussi aider les mères

Le subside pour ce projet était conditionné à l’embauche d’un travailleur masculin. « C’est l’inverse de ce que l’on entend d’habitude, que ce sont les femmes qui doivent s’occuper de l’éducation des enfants, note la coordinatrice. J’aime ce projet parce qu’il est avant-gardiste, parce qu’il étonne. » Le public qui bénéficie des actions de la Maison Source est principalement féminin, des femmes qui par leur vécu, leur statut, vivent des inégalités sociales. Le non-recours à leurs droits est souvent lié à des difficultés financières et touche un grand nombre d’entre elles. Le manque de possibilités de déplacement en région rurale pour accéder aux services accentue ces inégalités et les isole. L’équipe de la Maison Source est convaincue de l’importance de proposer un accompagnement aux (futurs) pères vivant dans la pauvreté et souhaite consacrer le temps nécessaire à leur suivi, entre autres parce que cela bénéficie aussi aux mères. « Les mères ou les pères devant assumer seuls les besoins de la famille sont représentés à 40 %, dit Marie Spoden. Nous remarquons une inégalité liée au genre des parents : un père sera orienté vers la formation ou le travail et la mère vers nous, un service de soutien à la parentalité. On ne donne clairement pas autant d’importance à accompagner un père qu’une mère. Au point que certains hommes vivront des difficultés à prendre leur place de père et risqueront de se désengager, jusqu’à une déresponsabilisation totale. D’autres encore, en manque de repères positifs, reproduiront des modèles de parentalité inadéquats qui auront un impact néfaste sur le développement de leur enfant et sur leur relation. Cette inégalité de genre entraîne des conséquences pour les mères : en cas de séparation du couple parental, la charge de responsabilité leur est dans de nombreux cas entièrement déléguée, ce qui augmente leur niveau de précarité. »

2.3 Demain

« Notre projet initial pour les mères a pris cinq ans pour se mettre en place. Ce n’est pas en un an ou en deux que l’on va avoir des résultats avec les pères, reconnaît la coordonnatrice. Mais on avance ! » En effet, peu de pères ont été orientés vers la Maison Source par d’autres services. « Idéalement, il ne faudrait pas être dépendant d’un facteur temps. C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes reconnaissants que le subside soit prolongé d’un an. Nous savions avant de démarrer que ce serait un gros défi, mais nous ne nous attendions pas à avoir autant de mal à trouver un intervenant masculin. » Pour faire bouger les lignes au sein même de la Maison Source, l’équipe est engagée dans un processus de réflexion autour de l’accompagnement des pères. Un temps d’arrêt, une ouverture sur de nouveaux savoirs.

2.4 Contact

La Maison Source, 25 Rue du Ténimont à 6940 Durbuy et 10 Rue de la Gare à 6600 Bastogne.

Marie Spoden, coordinatrice-animatrice – 0475 359 666 – la-maison-source.beinfo@la-maison-source.be

« Dans le cadre des Ateliers Papas de la Maison Source, les papas sont partis faire une balade et une visite d'une ferme pédagogique avec Gilles ».

3. L’ASBL Namur Entraide Sida

Ce projet est porté par l’ASBL Namur Entraide Sida, qui développe une expertise en réduction des risques liés à l’usage de produits psychotropes et dans le domaine de la prévention du sida, des hépatites et autres infections sexuellement transmissibles. Trois services sont proposés : SALMA (soutien accompagnement liaison maternité assuétudes), l’Échange (espace d’accueil et comptoir d’échange de matériel d’injection) et SASHA (service d’aide et soin pour les personnes porteuses d’une hépatite).

Le premier objectif du service SALMA est d’offrir un suivi adapté et renforcé à des mamans consommatrices. Le problème de consommation est en général associé à d’autres comme la précarité, la violence, la mauvaise santé, l’exclusion. L’équipe s’adapte aux besoins physiques, psychologiques et sociaux pour apporter une approche globale. Le deuxième objectif est la communication et l’articulation du réseau de professionnels déjà présents autour des mamans ; la finalité étant de maximiser leurs chances de prendre soin d’elles-mêmes et de leurs enfants.

Le public qui fréquente l’Échange est quant à lui essentiellement masculin, et une majorité de ces personnes sont aussi des papas. Leur situation (précarité, consommation, exclusion, etc.) fait qu’ils n’ont plus ou peu de contacts avec leurs enfants : peur d’être stigmatisés, méconnaissance de leurs droits, manque de confiance, etc. Ces papas sont en demande pour parler de leur parentalité, de leur rôle de père, de l’éventuelle reprise de contact avec leurs enfants, d’un soutien à la parentalité. « Mais la question de la parentalité arrive tardivement dans les suivis, constate l’équipe. Ce n’est pas une priorité dans l’urgence de certaines prises en charge, où les questions de remise en ordre administrative, de logement, de santé sont traitées en premier lieu. » C’est par la suite que les hommes soulèvent le besoin de reconstruire une relation avec leurs enfants et (re)trouver leur place de père. « Il était donc important pour nous de reconnaître l’importance de la place des papas et de valoriser leur rôle. Nous avons en effet observé une réelle souffrance, rarement prise en compte dans leur mode de vie. »

Le contexte d’un projet leur étant dédié était donc propice et complémentaire à l’offre préexistante. Trois personnes contribuent à le mettre en œuvre, suivant plusieurs axes. Un axe individuel (l’accompagnement à proprement parler) : Virginie Heuwelyckx, sage-femme sur le projet Salma, qui s’occupe du volet médical, et Bastien Grégoire, travailleur social, qui s’occupe du volet social et administratif. Un axe réseau autour de la personne, ainsi qu’un axe communautaire assurés par Maud Defays, éducatrice spécialisée à Namur Entraide Sida, et développés depuis peu à la demande de mamans preneuses de se rencontrer et de faire des activités ensemble, avec ou sans leurs enfants. Leur philosophie : travailler sur la demande sans nécessairement mettre l’accent exclusivement sur la consommation.

3.1. Le dispositif

Le projet cible les consommateurs de substances psychoactives (cannabis, alcool, héroïne, cocaïne, médicaments…) et/ou sous traitement de substitution. Il est en lien avec la parentalité (enfants à naître et/ou projet de parentalité). Il s’agit, d’une part, d’un accompagnement individuel des papas dans les différentes démarches en lien avec leur situation personnelle et celle de leurs enfants via le réseau déjà mis en place ou via une orientation. Et, de l’autre, d’un soutien pour les (futurs) papas dans leur rôle de parent à travers un accompagnement dans les rencontres avec leur(s) enfant(s), dans un espace adapté, leur permettant de (re)trouver leur place de papa. « Ce sont des gars qui sont en rue, des consommateurs actifs, et c’est souvent un peu le dernier de tout leur panel de besoins… », dit Bastien Grégoire. « Ou alors ils ne s’en donnent pas le droit, ajoute Virginie Heuwelyckx. Ils ne se sentent pas papas au quotidien ou leur consommation ne les y autorise pas. »

L’équipe part de leurs souhaits. Et pour que les pères puissent les exprimer, ils mettent un espace et des professionnels à leur disposition. « La demande, pour certains, c’est de reprendre contact avec leurs enfants, des enfants qui sont en institution. Ils ont loupé quelques rendez-vous dans les services de rencontre et disent que c’est fichu, que leurs enfants ne voudront plus les voir… Pour nous, ce qui est important, c’est que le père soit actif. On peut téléphoner avec lui, on peut essayer de reprendre contact avec les services de la jeunesse ou les ASBL espaces-rencontres, de voir ensemble ce qu’on peut mettre en place », explique Bastien Grégoire. Il relate la situation d’un papa qui a besoin de soutien dans les déplacements pour voir sa fille une fois par mois. Il est parfois trop éméché, parfois il oublie le rendez-vous… D’où la nécessité aussi du lien avec les services. « Parentalité et consommation, c’est souvent compliqué. Et on colle facilement une étiquette aux gens. Pour ce papa, dit-il, nous avons rencontré l’espace rencontre et expliqué sa problématique, ce qui faisait que c’était compliqué pour lui. Pas nécessairement le fait qu’il consomme, mais qu’il vive en rue et que si ses priorités sont autres, cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’aime plus sa fille. Aujourd’hui, quand ce papa ne se présente pas à la visite, l’assistante sociale du service nous téléphone directement et on le relance. Nous ne prétendons pas que cela change tout, mais cela permet d’avancer. » Cependant, le fait que le service soit spécialisé en assuétudes peut constituer un frein. « Je me souviens d’un autre papa à qui nous avions dit que nous allions peut-être reprendre contact avec les services de l’aide à la jeunesse. Pour lui, les appeler au départ de L’Échange, ça voulait dire qu’il était encore consommateur. Qu’allait-on penser de lui ? Il avait tendance à baisser les bras… »

Les écouter, et avancer en fonction d’eux. Mais comment capter ce public ? Comment travailler la parentalité avec un public qui a par moments des besoins plus importants liés au contexte de consommation, à la vie en rue, à la santé mentale ? Comment maintenir le lien avec un public qui a des difficultés à « se poser », avec des hommes qui ont des difficultés à se confronter à leur histoire et qui, à cause de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, ne se donnent plus le droit d’accéder à cette place de papa ? La réponse à ces questions passe par un travail d’accroche et de lien avec les bénéficiaires, par des permanences d’accueil, des entretiens individuels et du travail de rue. Elle passe aussi par la promotion du projet auprès de partenaires de différents services, par la réflexion et la supervision d’équipe et par un affichage bien visible présentant le projet. « Nous avons pris le temps de parler du projet. De discuter des bénéficiaires et de leur suivi dans le cadre du projet papa avec les membres du service de l’Échange et l’équipe parentalité de l’ASBL. »  La présence inhabituelle des trois chargés de projet à la permanence du comptoir de l’Échange interpelle, ce qui permet souvent d’engager la conversation et de parler du projet consacré aux papas. « C’est aussi un public qui teste sans cesse le lien, fait remarquer Virginie Heuwelyckx. Ils nous mettent à l’épreuve constamment. Ils ont besoin d’un repère fiable sur lequel s’appuyer inconditionnellement. Il faut nourrir ce premier point et cela prend énormément de temps. » Une difficulté supplémentaire, c’est de se confronter à leur histoire. « Revoir leurs enfants leur ramène des émotions, c’est compliqué pour ces papas, c’est compliqué dans certains entretiens, confie Bastien Grégoire. Je me souviens d’un homme pour qui c’était douloureux d’en parler, et qui n’en a plus jamais rien dit par la suite. »

Compliqué en face à face, le sujet est aussi compliqué à aborder en groupe. « Nous avons réfléchi à la mise en place d’un axe communautaire, d’une sorte de groupe de parole entre papas, des rencontres “pères/paires” pour échanger sur leur rôle de papa, explique Maud Defays, mais l’accroche était encore trop fragile et nous n’avons pas réussi à aller jusque-là. Cela peut être riche, mais cela doit se travailler en amont. On a vite senti que ça n’allait pas marcher et ce n’était d’ailleurs pas une demande de leur part non plus. Nous avons donc focalisé notre attention sur les suivis individuels. »

3.2. Demain

« Notre philosophie est d’aller au rythme des usagers sans leur mettre de pression, ce qui est souvent contreproductif selon nous. » L’équipe a aussi besoin de temps pour mûrir le projet et l’adapter aux besoins des usagers. En attendant, la porte reste ouverte aux papas, comme aux collègues du Réseau Namur Sida chez qui le thème de la parentalité fait son chemin grâce à ce projet. Il a permis d’ouvrir le champ d’action de l’Échange et d’orienter l’attention des travailleurs sur la question de la parentalité. Désormais il n’y a pas qu’avec Maud, Virginie et Bastien qu’on en parle. Mais cela reste un travail de longue haleine. « Notre présence à l’accueil du comptoir favorise la discussion, c’est déjà une étape. Une prochaine fois, un père exprimera une demande… »

3.3. Contact

Namur Entraide Sida, 25 Rue des Brasseurs à 5000 Namur.

081 64 00 95 – info@asblnes.bewww.namurentraidesida.be

 

4. Le CRAF et la Cellule NATIS

Le CRAF (Centre régional de recherche et d’action sociales sur les problématiques familiales) est une association constituée par neuf CPAS de l’arrondissement de Huy et qui a notamment pour objet la mise en place d’actions de prévention et de remédiation visant la promotion de la bientraitance infantile et le développement des compétences parentales. Outre l’équipe SOS enfants complémentaire aux interventions de prise en charge des situations de maltraitance, le CRAF a mis en place la cellule NATIS, qui s’adresse principalement à un public de futurs parents demandeurs et fragilisés du fait de leurs ressources socio-économiques ou de facteurs de vulnérabilité liés notamment à leur parcours social et personnel.

C’est dans le cadre des actions et interventions de NATIS que s’inscrit ce dispositif à destination des (futurs) papas. « Nous avions conscience que les papas étaient parfois plus difficiles à accrocher et que tout se centralisait sur la maman, expliquent les membres de l’équipe. Les papas avaient finalement peu de place bien que nous essayions de leur en faire une. Il n’y avait rien de spécifique pour eux et les pères sont peu sollicités pour participer à la période prénatale et de l’accouchement. Les mères sont surreprésentées dans les brochures éditées par certains organismes, par les maternités. Notre expérience de terrain a mis en évidence la place fragile du père, souvent en retrait dans les suivis proposés. » Offrir aux pères un espace particulier qui leur permette d’investir leur paternité et répondre à leurs besoins et à leurs demandes d’avoir une place spécifique auprès de leur (futur) enfant est devenu un objectif qui participe pleinement aux missions de NATIS et qui complète l’accompagnement individuel déjà assuré aux (futurs) parents.

Les rênes du projet ont été confiées à un binôme : Arnaud Gérard, assistant social détaché par le CPAS de Huy et Delphine Rousset, sage-femme de NATIS. « Nous avons présenté notre projet dans différents CPAS, dans les différents bureaux de l’ONE de la région, dans les crèches… Nous avons touché tous les lieux où se croisent des papas ou des futurs papas dans l’arrondissement », explique Arnaud Gérard. Les deux collègues ont mis en place un espace d’échange, de partage d’expérience autour d’ateliers thématiques en co-construction avec les (futurs) pères. L’objectif était de travailler à partir des représentations qu’ils ont de leur rôle pour les soutenir dans l’investissement du lien d’attachement à créer avec leur enfant, pour les sensibiliser à l’importance et la spécificité de leur rôle, pour les outiller au mieux, pour renforcer leurs compétences parentales et pour collaborer ou les orienter en fonction des besoins et problématiques de la famille. Lors de la première prise de contact, Arnaud Gérard et Delphine Rousset proposent au papa un entretien préliminaire dans le but de faire connaissance, de préciser ses attentes et de réfléchir ensemble à d’éventuels freins à sa participation au groupe (mobilité, groupe ou entretien individuel…).

4.1. Le dispositif

Des difficultés rencontrées pour recruter les papas ont conduit à quelques ajustements de fréquence, de public et de communication. « On sortait de cette période un peu compliquée du covid », précise Delphine Rousset. Les séances prévues tous les quinze jours ont adopté un rythme mensuel, à une date fixée avec les participants. Le public ciblé pour les ateliers, qui était initialement celui de la cellule d’accompagnement périnatal – de (futurs) papas d’enfants de 0 à 6 ans fragilisés sur le plan psychosocial et possiblement recrutables grâce à la collaboration des partenaires sociaux de NATIS – a été élargi à tout papa intéressé et informé de l’existence du groupe, voire plus largement encore via la page Facebook « Papa et Moi-Huy ». Cette page dynamique partage également diverses informations autour de la paternité et de la parentalité et permet un contact rapide avec les professionnels de NATIS. « Facebook a aidé à sensibiliser un nombre appréciable de personnes à l’importance et à la spécificité du rôle des pères et a suscité de nombreuses interactions entre les abonnés. C’est un outil appréciable. »

Le premier atelier, introductif, a permis l’expression des représentations liées à la paternité des participants « Nous avons commencé par définir le rôle de papa, par la définition du mot papa », dit Arnaud Gérard. « On était attentif à ce qui les intéressait, ajoute Delphine Rousset, et les thèmes demandés avaient surtout trait à la communication avec le bébé et à une meilleure compréhension des compétences et des besoins du jeune enfant. » Ils portaient entre autres sur la manière de dialoguer avec lui, ses capacités, le déroulement de la grossesse et comment l’accompagner… « À la fin de la rencontre, nous décidions ensemble du sujet suivant, ce qui nous permettait de préparer la séance, de prévoir de la documentation, un support, une BD par exemple, en lien avec le thème », poursuit-elle. En parallèle, des documents étaient postés sur la page Facebook.

Les séances ont à chaque fois réuni trois participants. « Ce sont des personnes fragilisées sur le plan social, personnel, des allocataires sociaux, avec des problèmes parfois aigus de logement, de mobilité. Ils se caractérisent aussi par un certain isolement dans leur rôle parental, la maman étant absente, du moins temporairement, pour raison de santé ou de rupture de la relation conjugale. Il s’agissait de pères amenés à assumer un rôle parental particulièrement lourd, ce qui constitue sans doute un facteur de contexte soutenant leur motivation à participer », précise l’équipe. Peu de participants, mais des assidus. « Je pense que ça leur faisait du bien, ajoute Arnaud. Ils étaient contents de se voir régulièrement, de discuter de problèmes concrets ou d’apprendre des choses liées au rôle de parent en général. Certains nous ont dit que c’était comme une bulle d’oxygène, un endroit rien qu’à eux. » Parmi les raisons expliquant leur faible nombre, l’équipe identifie le fait que ces papas sont seuls en charge de leur enfant, qu’ils sont en grande précarité, sans voiture ni possibilité de transport en commun en soirée. « Une série de choses qui font que nous avons dû nous adapter, note Delphine Rousset. Nous avons notamment été les chercher chez eux et les reconduire. »

Lors des ateliers, le thème choisi par les papas permettait de lancer facilement le débat. La présence des enfants permettait également d’ouvrir la discussion et la mise en pratique de conseils échangés entre eux, les animateurs étant là pour assurer un cadre. Arnaud Gérard : « L’ambiance est très conviviale, avec un petit goûter et des boissons à disposition. Tout le monde est assis par terre. C’était intéressant aussi de voir des enfants d’âges différents évoluer entre eux et les pères faire des commentaires, s’échanger des informations, des conseils. Nous étions là, mais en retrait pour qu’ils puissent partager. »

Cependant, vu la petite taille du groupe, la démarche collective projetée au départ a souvent fait place à une démarche d’accompagnement plus individualisé, où la relation papa/professionnel restait essentielle et pouvait être activée entre deux séances, selon la demande du papa. « Cette individualisation de l’accompagnement et le fait que des participants étaient par ailleurs déjà suivis par la cellule périnatale NATIS ont généré un malaise chez les animateurs, malaise lié au sentiment de confusion possible entre les types d’accompagnement assurés. Une autre difficulté rencontrée était le profil particulièrement fragile des participants. » Delphine Rousset : « Je suis dans les deux équipes, celle de NATIS et du projet papas, et certains avaient du mal à faire la distinction entre le groupe et la prise en charge en individuel, en familial. Ils venaient vers moi à des moments propices pour eux pour parler de la situation qu’ils vivaient à la maison. »

Tout au long du projet, l’équipe a essayé de satisfaire au maximum leurs attentes. « Le lien, par exemple, avec les animateurs a été maintenu en dehors des séances par téléphone et via les réseaux sociaux. L’expérience a permis aux participants de bénéficier d’un soutien et d’une écoute en dehors des ateliers. » Le groupe de papas s’est néanmoins progressivement essoufflé, du fait notamment que certains d’entre eux sont débordés par des problématiques psychosociales (recherche de logement, problème de santé, gestion de conflits familiaux, etc.) dont l’urgence a inévitablement relégué au second plan le travail entamé autour de la paternité.

4.2. Demain

Des moyens limités, une durée trop courte pour bien se faire connaitre, une période post-covid peu propice et le caractère innovant de la thématique allant à l’encontre des pratiques encore dominantes dans la société ont laissé un petit goût de trop peu, mais l’expérience a agi sur les professionnels. La cellule périnatale porte désormais une attention particulière aux papas suivis dans le cadre de ses missions. Il en va de même pour le CPAS de Huy directement impliqué dans le projet et pour les partenaires sociaux, notamment les autres CPAS associés via leur participation au CRAF. Delphine le confirme : « avoir entendu ces pères discuter de leur paternité, de leurs difficultés, m’a fait davantage intégrer cette dimension dans les prises en charge et le suivi que j’assure à NATIS. »

4.3. Contact

NATIS, 10 Rue L’Apleit à 4500 Huy.  0470 85 05 87 – natis@lecraf.be
CRAF, 15 Rue des Vergiers à 4500 Huy.  085 25 02 28 – sosenfants.huy@lecraf.be

5. L’ASBL Monde solidaire

Monde solidaire, à Verviers, est une association qui a pour objet d’accompagner toute personne, toute famille en difficulté dans les démarches administratives qui peuvent améliorer sa situation, de l’aider à (re)trouver et à assumer son autonomie dans la société.

Son champ d’action couvre de nombreux domaines : logement, soins de santé, revenus (CPAS, mutuelles, chômage, travail), surendettement, questions juridiques, droit de séjour, recherche d’emploi ou de formation, cours de français, apprentissage informatique. Ses services offrent à la fois accueil et écoute, analyse de la situation, explication et planification des démarches administratives à entreprendre, accompagnement sur le terrain et suivi.

La finalité de l’ASBL est de favoriser l’intégration de ses bénéficiaires et de les amener à jouer un rôle actif dans la société en stimulant les relations entre les personnes de générations, de cultures et de milieux socio-économiques différents, en luttant contre l’exclusion et l’isolement et en veillant à la promotion de l’égalité entre les individus. Les valeurs qu’elle défend sont fortes : solidarité, confiance en soi, courage, égalité, transparence, neutralité, tolérance. Dans ce large panorama, le soutien à la parentalité occupe une belle place.

5.1. Le dispositif

Un petit sondage auprès des enfants fréquentant l’école de devoirs a mis en lumière la répartition des rôles entre pères et mères. « 80 % des enfants disent que c’est maman qui s’occupe des devoirs à la maison. Les papas ne sont pas très impliqués, relate Éric Nibizi, administrateur délégué de Monde solidaire. C’est elles qui se chargent de tout à la maison. Elles préparent les repas, elles s’occupent des enfants, elles les accompagnent à l’école… Les papas ne se sentent pas concernés… »

Forte de ce constat, l’équipe de Monde solidaire a souhaité offrir aux parents et particulièrement aux pères d’enfants jusqu’à six ans et aux futurs pères un espace de parole et de réassurance, dans une perspective de prévention des troubles de la relation (futurs) papas/enfants, en dehors de toute visée thérapeutique ou injonction éducative. L’ASBL, qui organisait déjà des ateliers pour les mamans, en a proposé pour les papas accompagnés de leurs enfants dans l’idée qu’ils puissent aussi contribuer à leur éducation. « Nous avons mis sur pied des animations pour qu’ils puissent se connaitre et travailler ensemble. Avec succès ! se réjouit Éric Nibizi. Les papas se sont impliqués de plus en plus. »

Il s’agit d’ateliers de rencontre, de groupes de parole et de suivis individuels. En parallèle et avec les associations locales, une sensibilisation autour des papas est à l’œuvre. C’est un projet pour les pères, mais ils ne sont pas isolés du contexte familial. « Nous travaillons aussi avec les familles, précise Éric Nibizi. Les activités réunissent parfois les deux parents et leurs enfants. »

Une dizaine à une vingtaine de pères y participent, mais avant qu’ils rejoignent cet atelier, un travail préparatoire s’impose et une démarche culturelle et sociale est à entreprendre. « Certains viennent de pays musulmans et pensent que ce sont les mamans qui doivent s’occuper des enfants, que ce n’est pas leur domaine, remarque Éric Nibizi. Si nous leur suggérons de faire la cuisine, ils ne comprennent pas… Mais cette sensibilisation porte ses fruits. »

Des ateliers de rencontre entre papas et enfants sont organisés en fonction du besoin observé : des activités de loisirs, culturelles (théâtre-forum, atelier de soutien scolaire, sorties, repas conviviaux, jeux à la ludothèque, chants à la halte-garderie…), mais également des groupes de parole, un café des parents, un ciné-débat, des ateliers de rencontre entre adultes autour d’un thème (la fonction parentale, la vie scolaire, l’équilibre alimentaire des enfants…) ou d’un projet (atelier théâtre, animation ludique, activité culturelle…). « On organise des jeux collectifs, du football au parc. On mange ensemble, on échange, on raconte son histoire en Belgique et dans le pays d’origine, explique Éric Nibizi. En lien avec l’activité, on leur demande comment ça se passe chez eux. Ils réfléchissent ensemble, ils voient comment ils peuvent aménager la répartition des rôles dans leur famille. » Les ateliers sont centrés sur la paternité, mais ils sont aussi élargis au contexte socio-économique et politique de migration des participants. Tous les pères ne parlent pas le français, beaucoup ne s’expriment pas facilement, mais ils essaient. Parfois un enfant endosse le rôle d’interprète. « On les incite à s’inscrire aux cours d’alpha. Aussi, au début, certains ne voulaient pas s’assoir à côté d’autres venant d’autres pays. Le projet leur a permis de se connaitre et de s’apprécier. Il y a une mixité dans le groupe et on essaie de casser les barrières culturelles, ethniques ou religieuses. »

5.2. Un outil de changement

Cela n’a pas été facile de faire connaitre le projet et de sensibiliser les papas à l’intérêt de s’y inscrire. Il a aussi fallu trouver le bon moment pour organiser les activités. En semaine, ils sont occupés : certains travaillent ou sont en formation. « Finalement, on a décalé au vendredi, au samedi et au dimanche pour les mobiliser plus facilement. Mais ça demande une grande souplesse de l’équipe », reconnait Éric Nibizi. La satisfaction est cependant au rendez-vous et les changements d’attitude sont apparents. Des papas ont commencé à conduire leurs enfants à l’école de devoirs. Ils font des activités ensemble, des jeux, des sorties… « C’est une victoire également de voir ces papas oser parler de ce qu’ils ont vécu dans leur pays d’origine, note Éric Nibizi. Il y a aussi des parents qui laissent les enfants à la maison, qui ne les inscrivent pas à l’école. Grâce à ce projet, on en discute avec eux. On découvre des situations qui ne sont pas idéales pour le développement de l’enfant, cela met en lumière des difficultés parentales auxquelles d’autres services de l’association peuvent répondre. »

Les familles disent qu’elles ont de moins en moins de temps pour « faire ensemble », même si elles en expriment l’envie. « Pour cela, il faut continuer à aller à leur rencontre, se mettre à leur écoute afin d’être au plus près de leurs attentes, en adaptant nos propositions et en les accompagnant afin qu’elles puissent prendre leur place au sein de notre ASBL », conclut Éric Nibizi.

5.3. Contact

Monde solidaire, 28 Rue Lucien Defays à 4800 Verviers.

0492 24 93 47 mondesolidaireasbl@gmail.com

https://solimonde.be

6. Le Babibar

L’ASBL Les Parents jardiniers a créé le Babibar en 2014 en Outremeuse, à Liège, un service d’accompagnement à la parentalité et de lutte contre la pauvreté infantile et l’exclusion sociale et financière des parents. Accueil, échanges d’expériences, acquisition de compétences, lutte contre les inégalités sociales et de santé, expertise du vécu, émancipation individuelle et collective : le Babibar est un tiers-lieu citoyen, solidaire et participatif ouvert à toutes les familles, principalement aux parents en charge au quotidien de leurs tout-petits et souffrant d’isolement, de manque de relais.

« À travers une dynamique de pair-aidance [1], nous travaillons tant au pouvoir d’agir des parents qu’à la visibilité de leurs questionnements, précise Valérie Beghain, coordinatrice du Babibar. Avec eux, nous coconstruisons une véritable “maison des familles” dans un triple contexte de paupérisation, de monoparentalité et de crises sanitaire et sociale grandissantes et oppressantes. » En cherchant et trouvant des réponses innovantes aux problèmes objectivés par les parents eux-mêmes, le Babibar développe un ensemble de services inclusifs voués à soutenir les parents dans l’exercice de leur parentalité choisie et dans l’accès à leurs droits fondamentaux de citoyens. Les activités proposées visent à briser l’isolement, à reconnaitre au parent son rôle de premier éducateur de son enfant, et par là à renforcer le sentiment de compétence parentale et à soutenir la famille dans sa diversité et sa globalité.

Le Babibar s’est étoffé au fil des ans et offre désormais un lieu de rencontre enfant-parent, des ateliers périnataux, une cantine solidaire, la babisphère, la ludosphère, un espace numérique, du matériel de puériculture en location, un accueil extrascolaire, un centre d’expression et de créativité, des loisirs en famille, des débats et projections, un service d’échange local, les services d’un écrivain public, un réseau de relais et intervenants externes, des journées de réflexion dédiées à la cause des parents. Dans l’objectif de favoriser la cohésion sociale, le Babibar s’adresse à toutes les familles et tout est pensé pour en faciliter l’accès aux plus fragiles d’entre elles (vulnérabilité sociale, financière, psychologique), avec une attention particulière en faveur des familles monoparentales.

Pourquoi un accompagnement spécifique des parents solos ? Parce qu’il est essentiel de travailler à prévenir l’effet cumulatif des caractéristiques de la monoparentalité : isolement, précarité financière, mal-logement, épuisement physique et psychique, non-recours aux droits, perte de confiance en son rôle de parent et d’éducateur, perte de son pouvoir d’agir en tant que citoyen… « Ce groupe nécessite une discrimination positive spécifique pour tirer bénéfice des services d’accompagnement proposés, constate Valérie Beghain. Le degré de vulnérabilité d’un parent socialement isolé avec un ou des enfants à charge, le plus souvent une maman, est globalement sous-estimé, non reconnu, non pris en compte dans les dispositifs d’aide sociale, et ne rencontre pas de réponse suffisamment sur mesure pour que les actions portent leurs fruits, qu’elles soient curatives ou préventives. »

Depuis quelque temps, le Babibar a entamé une réflexion sur l’inclusion des pères dans son tiers-lieu, un lieu intermédiaire entre la sphère privée et la sphère publique. « Nous souhaitons les accueillir et leur apporter le soutien dont ils ont égalitairement besoin. »

[1]« La pair-aidance consiste à ce que certains viennent en aide à leurs pairs à partir de leur ‘’savoir expérientiel’’ » in Catonné, J. & Arveiller, J. (2020). Pratiques en santé mentale, 66. https://doi.org/10.3917/psm.203.0002.

6.1 Le dispositif

« Nous nous demandons comment rendre le lieu moins genré et plus mixte, explique la coordinatrice, et quels sont les besoins des pères. Nous tirons aussi des enseignements des politiques des services voisins. »  Aux mots sororité et fraternité, elle préfère celui de solidarité entre parents. « Pour moi, l’idée même d’un dispositif dédié aux papas est problématique, résume-t-elle. Un tel dispositif ne peut exister que s’il ne met pas à mal tous les dispositifs pour les mères que l’on essaie de créer. »

Pas de dispositif donc, mais un processus de maturation sur la place du papa dans l’éducation, dans la coéducation parentale en respect des valeurs de l’association et en réponse au besoin du parent. L’identité visuelle du Babibar a été modifiée pour que les pères remarquent que le lieu n’est pas réservé qu’aux mères. « Pour leur permettre de penser que s’ils ont besoin du Babibar, ils peuvent venir à nous », dit la coordinatrice. En parallèle, la réouverture de la ludosphère, qui tourne autour du jeu intergénérationnel, va permettre à beaucoup plus d’entre eux – qui sont moins dans la papote – d’être présents. Et au fur et à mesure en effet, on remarque qu’un homme en attire un autre… « L’idée est aussi que nos partenaires et nos relais, comme les antennes du CPAS de Liège qui nous délèguent les services de soutien à la parentalité pour leurs bénéficiaires, intègrent le fait que le Babibar c’est pour les hommes et pour les femmes, et que le soutien à la parentalité, ce n’est pas seulement l’affaire des mères. Il faut travailler aux représentations, travailler aux freins. »

La place du père mérite en effet que l’on s’y attarde. « Mais notre conclusion est que, pour nous en tout cas, un dispositif spécifique n’est pas la voie. L’idée d’un dispositif particulier les met déjà en position de problème et je suis mal à l’aise avec tout ce qui peut de prime abord juger de l’implication ou de la non-implication d’un parent », ajoute-t-elle, insistant sur l’importance de partir du besoin du parent. « Celui-ci appartient à un homme ou à une femme et c’est dans l’ensemble des dispositifs du Babibar que l’on va trouver des réponses à ce besoin. » Des réponses solidaires.

6.2 Demain

L’équipe, qui compte désormais un accueillant et animateur, a convergé, non pas vers la mise en place d’un dispositif papa spécifique, mais vers une évolution interne et globale de la structure. La communication est au cœur des projets, notamment celui de publier une newsletter périodique, dynamique, porteuse de thématiques qui jettent des ponts dans la société : le postpartum, la grand-parentalité, etc. « Cela rendra visible et concrète l’ouverture à tous du Babibar », dit Valérie Beghain qui observe déjà que de plus en plus de pères le fréquentent. Le protocole d’accueil des familles a été revu, moins genré, et les instances – organe d’administration et assemblée générale – se sont ouverts à des hommes/pères. « Le paradigme change, observe-t-elle. C’est un ensemble qui s’autoalimente. » L’an prochain, le Babibar fêtera ses dix ans. Encore une belle occasion de faire parler de son travail et de partager ses questionnements..

6.3 Contact

Le Babibar, 30 Rue Surlet à 4020 Liège.

Valérie Beghain, coordinatrice – 0486 99 68 99 – lebabibar@gmail.comhttps://lebabibar.be

Fêtes et loisirs en famille sont encore, pour les papas, les premières portes d’entrée au Babibar.

7. Entre Parent’aise

Le Lieu de Rencontre Enfants et Parents Entre Parent’aise, à Saint-Gilles, développe trois grands axes de travail : l’accompagnement de l’enfant dans le développement de ses compétences motrices, affectives, langagières et sociales ; le soutien à la parentalité grâce à une posture d’écoute bienveillante et un travail de sensibilisation à partir des questions qu’amène l’arrivée d’un enfant dans une famille ; et l’enrichissement de la relation entre l’enfant et son parent grâce aux moments de rencontres et de jeux que le lieu favorise.

Deux accueillantes organisent des groupes de paroles, des séances d’éveil musical, des massages bébés… Le nombre de mamans qui fréquentent le lieu étant nettement supérieur au nombre de papas, elles ont souhaité mettre en place des activités qui favoriseraient la venue de ceux-ci en proposant des accueils qui leur sont exclusivement destinés. Quelques papas sont venus régulièrement et des échanges menés avec eux est née l’idée d’organiser des soirées masculines afin que les participants puissent parler de leur paternité. La motivation de l’équipe était de faciliter et de soutenir les changements identitaires en cours chez les pères d’aujourd’hui.

7.1. Le dispositif

Des « su-pères soirées » ont été organisées tous les mois. Elles sont animées par un psychologue. Le contenu des discussions est amené par les participants et parfois étayé du partage d’un livre, d’un podcast ou d’un film. Des soirées « futurs papas » ont aussi été mises en place chaque trimestre. Parmi les thèmes abordés : la grossesse, l’intimité du couple pendant la grossesse, et atelier pratique : porter un bébé.

Entre Parent’Aise offre encore des moments d’accueil jeux libres plusieurs fois par semaine. Enfants et parents ont l’occasion de se rencontrer et de jouer ensemble. Le lieu est accessible sans inscription et dispose d’espaces variés permettant à chacun de trouver les activités adaptées aux envies du jour (espace psychomoteur, espace canapés, espace pour prendre le gouter, espace de jeux de construction…). Pour favoriser la venue des papas lors de ces temps d’accueil, l’équipe a décidé de leur réserver le premier samedi matin de chaque mois. Des viennoiseries sont prévues, il s’agit des « papa brunchés ».

Enfin, une semaine de la paternité, à l’instar de ce qui se fait déjà au Québec, s’est déroulée autour de la date de la fête des pères, mettant l’accent sur les papas, leur place, les avancées sociales et les initiatives belges déjà existantes. Au programme : des activités favorisant l’échange, le jeu, la rencontre, la créativité entre papas et enfants. Le but était aussi de faire émerger la réflexion, le questionnement autour de la paternité et de ses « rôles » (pré)attribués. Cette action visait tous les papas ou papas en devenir qui ont envie d’écouter et de rencontrer d’autres papas, de raconter leur expérience, de partager leur vécu, leurs appréhensions qu’importent l’âge, la religion, la culture, la nationalité. Ce public a été élargi aux familles (mamans, grands-parents, tuteurs et tutrices, familles d’accueil) pour faire circuler le questionnement autour de la paternité à l’ensemble de la famille.

7.2. Des ajustements

Peu de pères étaient présents à l’ensemble de ces activités malgré l’énergie déployée pour les organiser.

L’équipe avance plusieurs raisons à cela, dont la question de leur intérêt : les papas trouvent-ils du sens dans les activités proposées ? Ont-ils besoin de se retrouver pour discuter entre hommes de leur paternité ? Ont-ils besoin d’activités qui leur sont destinées de manière exclusive ? Les mamans sont demandeuses que leurs compagnons participent aux activités de l’association. La plupart d’entre elles disent qu’elles y voient de l’intérêt, mais leur conjoint pas. Selon elles, les papas ne seraient pas à l’aise à l’idée de devoir partager leur vécu de père. En effet, certains papas ont dit ne pas avoir besoin de se retrouver entre hommes quand ils sont avec leurs enfants. L’équipe observe également que des discussions et des partages d’expériences se passent plutôt lors des temps informels que lors des activités « spéciales papas ». Toutefois, les quelques-uns qui participent aux activités, notamment aux « su-pères soirées », sont convaincus de l’intérêt de ces moments.

L’équipe a décidé de faire fi de la quantité et s’est consacrée sur la qualité et la permanence de ses projets. Celui-ci visant les pères est innovateur et encore sensible. Pour recruter des pères, le meilleur moyen est de continuer à en parler sans insister et entretenir les temps informels de discussion tout en bénéficiant de papas piliers et porteurs du projet qui contribuent à diffuser l’information.

C’est en effet un projet qui demande du temps pour porter ses fruits. Son futur sera sans doute ici moins dense et moins énergivore…

7.3. Contact

Entre Parent’aise, 5 Rue de la Victoire à 1060 Saint-Gilles.

02 721 55 84 – entreparentaise.stgilles@gmail.comwww.facebook.com/entreparentaise.stgilles

8. L’ASBL Form’anim

« Fruits d’Hommes » est un projet d’accompagnement parental des (futurs) pères dans sa temporalité concrète. Il est porté par l’ASBL Form’Anim, à Seraing, qui lutte depuis des années contre l’exclusion sous toutes ses formes, portant une attention particulière aux personnes exilées. Elle a mis en place différents services pour répondre aux réalités de terrain : cours de français et d’alphabétisation, ateliers d’éducation permanente, service d’aide au logement, halte-garderie, crèche… Sa philosophie et sa méthodologie d’action reposent sur la prise en compte globale et multidimensionnelle du public, sur la coconstruction des actions avec lui, sur l’accueil inconditionnel, l’interculturalité, le respect de chacun dans ses croyances, avis, potentiels et difficultés.

L’équipe a très tôt remarqué les besoins spécifiques qu’éprouvaient les familles allochtones dans l’exercice de leur parentalité. Là où la plupart des parents (même en famille monoparentale) ont au moins un relai familial ou amical qui les soutient, ce public est souvent seul en Belgique : pas d’amis, pas de famille, une culture et des habitudes éducationnelles très différentes de celles qu’il a connues dans son pays d’origine, une langue et une organisation sociétale complexes… Avec pour conséquences une perte de repères, beaucoup de questions et surtout beaucoup d’angoisse.

Le subside du Fonds Houtman a permis de renforcer l’accompagnement collectif et individuel des papas, qui était un point de questionnement et de réflexion dans le dispositif d’accompagnement à la parentalité. L’équipe a en effet pu observer que les pères étaient peu investis dans les lieux liés à la parentalité (école, crèche, consultations de l’ONE…) sauf lorsque leur niveau de français (généralement plus élevé que celui de la maman) les obligeait à prendre en main des démarches administratives. C’est notamment à l’occasion de telles démarches qu’elle a fait le constat que beaucoup d’entre eux souhaitaient être de « bons pères », mais qu’ils ne savaient comment s’y prendre…

8.1. Le dispositif

De nombreuses questions se sont posées et ont fait l’objet de thématiques abordées lors d’ateliers : « Être père pour moi c’est… », « L’autorité parentale : entre légalité, besoin de sécurité de l’enfant et culture », « Transmission familiale et interculturalité », « L’affectif et l’émotionnel dans la relation père-enfant », « Jouer avec mes enfants… Oui, mais à quoi ? Et pourquoi ? », « La santé, une priorité ! Oui, mais mentale ou physique en premier ? », « Demander de l’aide, s’ouvrir vers l’extérieur ».

De façon transversale, différents relais ont pu être trouvés, les missions d’autres structures expliquées, des visites et rencontres en individuel ou en groupe ont été réalisées. L’ouverture vers l’extérieur s’est construite peu à peu et a permis aux papas de mieux appréhender les difficultés de leurs enfants et dès lors de leur offrir les espaces nécessaires vers un mieux-être. Une relation de confiance avec d’autres structures a pu se nouer et être émulatrice de nouvelles pistes de solutions pour les papas, pour les familles.

L’équipe a remarqué que, pour ce public, le rôle de père est difficile à concevoir quand l’aspect matériel de leur vie familiale n’est pas assumé par leur force de travail. Il y a un travail à fournir de part et d’autre pour sortir de cette conception qui démarre à partir des aspects financiers. L’équipe a aussi vu que les papas s’investissaient davantage quand il s’agissait de projets qui renforcent les liens sociaux et qui leur permettent d’être entendus et compris dans la dimension interculturelle qui caractérise leur vécu. Il leur importait également qu’un résultat concret témoigne du travail effectué : une charte ou un outil à appliquer à la maison, une réalisation, un apprentissage validé…

Enfin, il a paru intéressant que ce soit une femme qui anime les ateliers, qui ne corresponde pas au rôle genré que les pères connaissent culturellement et qui soit capable de décentration. Cette configuration aide à dépasser les a priori, à revoir le rôle de la femme dans le couple/la parentalité/la société en lien avec leur posture masculine/de père. Cela aide à aborder certaines thématiques liées culturellement à la féminité et à pouvoir les explorer sans se mettre à mal, en apprenant à accueillir les changements (émotionnel, affectif, d’autorité, de respect, de compréhension de l’autre…).

Au cours des différentes rencontres, les participants ont évoqué leurs difficultés face à certaines démarches administratives liées à la parentalité : difficulté de comprendre le rôle de l’ONE, du PMS, démarches à mener en vue d’une prise en charge psychologique de la famille, compréhension et remplissage de documents tels que courriers de l’école, questionnaires pour la visite médicale, formulaires de bourse d’études, choix des options dans les études, choix d’une école, ou détresse face à certains rendez-vous plus délicats : tribunal, psychologue, logopède, inscription scolaire… Ces situations témoignent de l’importance d’un accompagnement individualisé afin de permettre aux parents d’assumer leur rôle tout en se sentant soutenus et valorisés dans leurs compétences parentales.

Ce projet a permis d’affiner le regard de l’équipe sur la parentalité des pères, de dresser une carte des difficultés et ressources liées à la parentalité des hommes, de cerner les besoins et attentes, de coconstruire des ressources, des outils, des projets favorisant une parentalité interculturelle positive et sécurisante.

8.2. Contact

Form’Anim, 45 Rue du Papillon à 4100 Seraing.

Sarah Steffens, coordinatrice du dispositif – 04 338 16 35 – info@formanim.bewww.formanim.be