Pauvretés, enfances, familles

Entre 2009 et 2017, 15 projets ont été soutenus par le Fonds Houtman sur ce thème. Vous trouverez ci-dessous les 4 cahiers du Fonds publiés sur ce thème et le détail des projets soutenus. Les outils issus des différents projets peuvent être consultés à la page « Ressources ».

Projet 1 : « L’extrascolaire sans barrière » - ASBL Badje

L’objectif du projet était d’amener les professionnels de l’enfance travaillant dans le secteur de l’accueil extrascolaire à s’ouvrir et à se rendre accessibles aux enfants en situation de grande précarité. Le projet consistait à sensibiliser et à former ces professionnels aux particularités du travail avec ce public spécifique.

BADJE a mis au point un dispositif gratuit d’accompagnement de ces professionnels. Des rencontres ont été organisées en collaboration avec le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté sur des thèmes et questionnements récurrents dans les milieux d’accueil. Une boîte à idées pour l’approche des publics précarisés et un répertoire des associations qui travaillent avec ces publics ont été diffusés. Ils ont également proposé des séances de sensibilisation des enfants sur le thème de l’exclusion et de la solidarité ainsi qu’un renfort d’équipe en mettant un animateur à disposition pour une activité, ce qui vise à rendre le milieu d’accueil plus accessible.

Ces outils peuvent aussi être très utiles pour permettre à un public déjà présent, mais qui décroche, de trouver sa place dans les activités proposées.

Projet 2 : « Les carabistouilles de Batifoline » - AMO Le Cercle

L’objectif du projet est l’établissement d’un espace de littérature pour les enfants de 5 à 8 ans principalement issus d’un milieu socialement défavorisé. Un thème concernant les préoccupations des enfants y est abordé par le biais du livre dans une relation de partage, de communication et de plaisir.

En classe ou le mercredi après-midi, les « Carabistouilles » permettaient aux enfants de participer à une activité culturelle, d’apprendre à collaborer, d’évoluer dans le respect de l’autre, de reconnaître leurs compétences respectives et d’apprendre les règles de vie en groupe. Ces séances avaient aussi pour but de leur faire tout simplement découvrir le livre (synonyme pour certains d’échec et d’exclusion) et de leur rendre accessibles des lieux culturels comme la bibliothèque ou le théâtre. Les séances abordaient différents thèmes en lien avec les préoccupations des enfants : l’estime de soi, les différences, les émotions, l’entraide et la solidarité ou encore la citoyenneté.

Un volet du projet était proposé aux écoles, permettant à un groupe-classe de découvrir une dynamique relationnelle qui développe la solidarité, la coopération et l’entraide. Hors du cadre scolaire, les animations redonnent au livre sa valeur ludique.  À la fin de chaque histoire, est instauré un échange, une petite discussion sur ce que les enfants ont retenu, sur ce qu’ils pensent, sur leur vécu en rapport avec le récit. La discussion permet aussi aux enfants de se découvrir autrement. Le groupe en ressort plus soudé et plus respectueux de ceux qui manifestent des difficultés.

Projet 3 : « Les ani-mots – écrire, dessiner et raconter pour agir sur les facteurs de paupérisation dans l’enfance» - Le 26 (ex-Le Foyer Familial)

L’objectif du projet était la création, dans le cadre d’animations de groupe avec les enfants hébergés au Foyer Familial (aujourd’hui « Le 26 »), d’histoires témoignant de leur vécu dans des situations liées à la précarité ; les raconter aux mamans dans le cadre d’une animation mères-enfants afin que les mamans puissent prendre conscience des émotions de leur(s) enfant(s) et entendre leurs besoins ; les éditer dans un recueil à vocation pédagogique à l’adresse des professionnels de l’accueil et de l’enfance.

La précarité de leur sécurité physique, parfois à cause de violences conjugales, précarité matérielle qui entraîne la perte du logement et des difficultés à assumer les besoins primaires, précarité psychologique se traduit entre autres par une faible estime de soi, des difficultés de contrôle des émotions, une pauvreté des ressources cognitives… Les enfants ne sont pas de simples spectateurs de cette tourmente, ils en sont aussi les victimes. L’équipe a constaté qu’elle manquait d’outils ludiques pour aborder ces situations avec eux. D’où l’idée d’en créer un. Ainsi est né l’ouvrage « Les Ani-mots – Histoires à lire et à partager », quatre histoires, suggérées par les animateurs et psychologues du Foyer Familial, mises en mots et illustrées par les enfants eux-mêmes et nourries par leur vécu. Le projet « Ani-mots » concerne aussi les mamans. Il a pour objectif de leur faire découvrir et entendre le point de vue de leur enfant à propos de leurs difficultés de vie et des rôles parentaux. Il s’agit d’un outil pour amorcer le dialogue avec leur enfant en dehors des cadres institutionnels.

Les récits, qui tournent autour des violences conjugales et intrafamiliales et de leurs conséquences, permettent d’aborder avec eux et d’une autre manière des vécus particulièrement lourds. Dans les premiers tomes, les personnages, des animaux de la forêt, de la basse-cour ou du monde marin parlaient de la gestion de la colère, de l’école…

Aujourd’hui, la collection compte une vingtaine de titres et, chaque année pendant les vacances, une nouvelle aventure s’écrit. « Les problématiques varient et nous épousons les évolutions de la société et ce qui pose problème aux enfants du groupe », explique Anne Gasia, éducatrice référente enfants et responsable du projet. L’équipe a mis en place un autre atelier, sous la forme d’une boîte à outils. Chaque enfant ne retourne pas chez lui dans les meilleures conditions qui soient, mais que peut-il mettre en place, lui, à son niveau ? L’objectif est de leur donner confiance en eux, de titiller leurs compétences et de les faire resurgir, de mettre en lumière leurs propres solutions dans l’idée d’un renforcement. Se cacher sous la table lorsqu’il y a des tensions, se blottir dans son lit, se plonger dans un livre, respirer profondément… Chaque enfant glisse dans sa boîte les cartes qui lui sont personnelles. « Nous travaillons sur leur potentiel à eux, car nous n’avons pas de pouvoir sur les parents. On rend l’enfant acteur et pas victime. Il peut mettre des choses en place, parfois minimes, selon son univers et à sa mesure d’enfant… »

Projet 4 : « Seconde PEAU » - APALEM / Etape

L’objecif du projet était l’élargissement et la structuration de l’offre de services en soutien à la parentalité à Liège au profit des populations vulnérables socialement et psychologiquement, visant à promouvoir le développement harmonieux du jeune enfant par une action sur les compétences relationnelles et psychomotrices de la dyade parent(s)-enfant.

L’équipe propose une démarche proactive autour de la naissance car, si l’arrivée d’un enfant dans une famille est le plus souvent un événement heureux, il est aussi déstabilisant. La grossesse en elle-même, le post-partum, le début de la vie en famille avec l’enfant sont autant de moments où les modifications rapides et profondes de la dynamique familiale peuvent révéler des fragilités et compromettre le développement harmonieux de l’enfant. Les interventions de Seconde Peau dans le cadre du projet soutenu par le Fonds Houtman avaient lieu sur deux tableaux, la pratique de terrain et la mise en réseau. Le premier aspect, l’accompagnement à domicile d’une vingtaine de familles, était assuré par une psychologue et une psychomotricienne. Elles agissent au niveau de l’enfant, des parents et de leurs interactions. Le second aspect consiste en l’organisation de réunions de mise en réseau formatives qui rassemblent les intervenants d’une situation particulière et qui retracent, en commun, la chronologie des événements devant un public de professionnels de la périnatalité et de la petite enfance. Seconde Peau souhaitait apporter un éclairage plus large sur les logiques d’intervention de chacun, sur les contraintes et les limites. « Autrement dit, voir comment les intervenants s’articulent entre eux et par rapport aux familles et aux bénéficiaires avec lesquels ils travaillent », résume B. Fohn. Les familles en contact avec de multiples intervenants et des professionnels de secteurs différents, qui ont chacun des mandats spécifiques, peuvent être désorientées et saturées par la multiplication des avis. Pour les promoteurs du projet, un cadre clair aide à la constitution d’une enveloppe structurante et bienveillante et permet aux familles de retrouver des repères.

Trois mises en réseau formatives ont été réalisées durant la période du projet soutenue par le Fonds Houtman ; de nombreuses autres ont été organisées depuis. Plus d’informations Présentation Seconde Peau.

Projet 5 : « Diversité d’accueils pour une diversité de Pauvretés » - CHACOF (Coordination des haltes d’accueil )

L’objectif du projet était d’enrichir les connaissances en ce qui concerne les pauvretés vécues par les enfants et leur famille et les pratiques professionnelles développées par les haltes d’accueil pour y répondre ; créer et développer ensemble, dans une dynamique participative, des pratiques novatrices, révélatrices et porteuses de « richesse(s) ».

L’accès à un accueil de qualité est un droit pour tout enfant mais ce secteur manque cruellement de places pour rencontrer l’ensemble des demandes. Conséquence immédiate : la priorité est donnée aux parents qui travaillent. Les familles marquées par la pauvreté économique, sociale, culturelle ou relationnelle sont de ce fait très rarement présentes au sein des milieux d’accueil subventionnés. Les haltes accueil, construites sur des projets plus souples et adaptés au quotidien des familles faisant face à de nombreuses difficultés et vivant dans la pauvreté, constituent une alternative aux crèches conventionnelles. C’est au départ de ces constats que la Coordination des haltes accueil de la Communauté française (la CHACOF, qui rassemble aujourd’hui près d’une quarantaine d’associations wallonnes et bruxelloises) a mené une enquête participative auprès de neuf haltes accueil, avec l’objectif de répondre à ces deux questions principales : quelles sont les demandes et quels sont les besoins des familles touchées par la pauvreté lorsqu’il est question de l’accueil de la petite enfance ; et quelles sont les pratiques développées par les haltes accueil pour y répondre ? Les résultats de cette étude ont vocation d’outil de travail pour les professionnels.

Les haltes accueil développent une approche globale de la famille et investissent pleinement les trois fonctions de l’accueil : les fonctions sociale, éducative et économique. Au travers d’une plus grande accessibilité financière, temporelle, sociale, culturelle et/ ou géographique, ces structures ont développé des actions et des pratiques spécifiques aux difficultés rencontrées par ces familles qui connaissent en effet un risque avéré de vivre dans la pauvreté. Les parents sont les premiers partenaires des équipes pour un accueil de qualité. Cette dynamique de coéducation se construit dans le cadre d’une relation de confiance favorisée par l’écoute, les échanges et les initiatives pour rencontrer les besoins des familles. Les haltes accueil vont au-devant des besoins des familles, dans une attitude de bienveillance et de considération de l’autre.

Projet 6 : « Les vécus et l’expérience des adolescents migrants ou issus de l’immigration, qui évoluent dans des environnements marqués par la précarisation. La parole est donnée aux jeunes » - ASBL Le Méridien

Le projet qui était proposé porte sur les effets que l’expérience de l’exil a sur le développement psychosocial des adolescents issus de l’immigration. Il s’agissait de créer un espace d’exploration collective et de transmission des expériences entre adolescents et adultes sur l’exil. Des interventions régulières dans les « écoles à risque », dans un perspective anthropologique et de santé mentale, pourraient améliorer ainsi les conditions d’insertion scolaire et sociale des jeunes issus de l’immigration.

À l’athénée Victor Horta, à Saint-Gilles, l’accompagnement des intervenants du Méridien, un service de santé mentale, a permis aux élèves de parler de leur vécu et de leur expérience d’adolescents migrants ou issus de l’immigration. L’exil a une incidence dans le développement psychique et intellectuel des enfants et adolescents. Or, comme l’expliquent Laurence Sorgeloos (logopède) et Isabel Ramallo (psychiatre), les responsables du projet au Méridien (SaintGilles), «l’exil n’est pas pris en compte dans le cadre scolaire. Les jeunes issus de l’immigration ont rarement la possibilité d’exprimer leur expérience et leur savoir à ce propos.» Des clivages peuvent apparaître. «Pour beaucoup, le passé, du fait de l’exil, peut être un obstacle ou être directement en opposition avec les valeurs de la société d’accueil.» Un espace de parole a été créé dans l’école. Il était réservé à la quatrième année, un moment charnière car c’est alors que les élèves quittent les classes passerelles pour rejoindre le cursus classique. «On constate énormément d’échecs à ce moment-là, dit la logopède. Ces élèves plongent littéralement dans un autre monde, moins maternant, et s’aperçoivent souvent que leur maîtrise de la langue française n’est pas suffisante.» Le lien entre la classe et l’espace de parole était assuré par la prof de français qui animait les séances, en présence de la logopède, de la psychiatre et d’un agent du centre PMS. «Les témoignages ont porté sur le départ du pays d’origine, sur l’arrivée en Belgique et le décalage entre la réalité et l’attente, sur la barrière linguistique, le contact avec l’école et les difficultés d’adaptation, sur la nostalgie…», signale Laurence Sorgeloos. Après la séance, les élèves écrivaient ce qui leur venaient en tête et peaufinaient leurs textes en classe où ils étaient lus et commentés avant d’alimenter un recueil diffusé dans l’école. Sur les jeunes, les effets sont manifestes. Ils ont gagné en assurance. Pour l’école, les retombées pédagogiques sont aussi tangibles. «On sollicite chez ces jeunes un autre savoir, différent du savoir scolaire, et qui d’habitude n’est pas pris en compte, complète Isabel Ramallo. Une fois que l’école valorise ce savoir, cela permet de débloquer des mécanismes qui empêchent de travailler ou d’apprendre.» L’équipe du Méridien a quant à elle engrangé des outils d’approche adaptés à ce public souvent difficile à atteindre par les canaux classiques de l’aide en santé mentale.

Projet 7 : « Prévention de la rupture scolaire chez l’enfant sans-abri » - Le Galion, Centre d'éducation familiale du CPAS de Péruwelz

Le Galion offre un espace de parole, d’écoute, de soutien et d’accompagnement psychosocial aux parents, enfants ou adolescents qui rencontrent des difficultés familiales ou sociales. Il collabore notamment avec les écoles dans le cadre de projets pédagogiques spécifiques.

La trajectoire scolaire des enfants sans abri est particulièrement fragilisée par une histoire familiale généralement marquée par une profonde instabilité, une précarité constante et des difficultés à s’investir dans des projets à moyen ou à long terme. « La rupture scolaire se construit pas à pascomme une ombre portée de la trajectoire déficitaire de l’ensemble du groupe familial, constate Marie-Anne Jottard, coordinatrice du projet au Galion. Résignée, la famille assiste à la reproduction de ce qu’elle a elle-même vécu tandis que l’école se contente souvent d’entériner la difficulté et de sanctionner la rupture. » Pourtant, quelle que soit la situation sociale dans laquelle elle se trouve, la famille reste un support mobilisable dès lors qu’il s’agit d’affirmer ou de confirmer l’éducabilité de chaque enfant. C’est cette mobilisation que le Galion a voulu toucher en focalisant, dès l’entrée d’une famille en centre d’accueil, l’attention de tous les services concernés autour de la scolarité des enfants.

Grâce à l’intervention du Fonds Houtman, et en collaboration avec une école de devoirs, un dispositif de soutien scolaire adapté a été créé pour les enfants durant leur séjour au Galion. Un suivi longitudinal de ces enfants a également été mis en place pour une période de deux ans afin d’évaluer la manière dont ils continuent à construire leur lien avec l’école au-delà de la période d’hébergement. « Ce suivi permet par ailleurs aux parents de garder un contact institutionnel avec nous, de garder un point de référence », explique Marie-Anne Jottard. Avec de telles actions pratiques, c’est leur rôle d’acteur pédagogique qu’entend rendre le Galion à ces parents en difficulté. « Nous voulons favoriser la reliance institutionnelle de ces familles en commençant par celle, fondamentale, qui relie l’enfant à l’école », ajoute-t-elle.

L’ensemble des familles qui fréquentent les centres d’accueil du CPAS de Péruwelz est visé par cette démarche, mais sa zone d’influence est plus large encore car la population hébergée provient de toute la Wallonie et peut, durant les deux années de suivi, être amenée à déménager. À Péruwelz, l’hébergement « enfant » représente plus de 30% des nuitées en centres d’accueil, soit une quarantaine d’enfants.

Projet 8 : « Ensemble vers l’inclusion : la coéducation, vecteur d’inclusion sociale – Repères pour un partenariat entre familles et professionnels des services à l’enfance, vers la co-construction d’un guide de pratiques partagées » - Le RIEPP

Le but de la recherche-action-formation « Accueil pour tous » était de renforcer la capacité des services d’éducation et d’accueil de jeunes enfants (EAJE) wallons et bruxellois à contribuer à la lutte contre la pauvreté et contre l’exclusion sociale, en les situant dans une perspective générale de cohésion sociale et de développement local, et en y favorisant la mixité sociale et culturelle.

Cette recherche était menée par le Réseau des Initiatives Enfants-Parents-Professionnels (RIEPP) qui rassemble, comme son nom l’indique, des professionnels, des parents et des initiatives diverses dans les matières liées à l’enfance, à Bruxelles et en Wallonie, en réseau avec des partenaires nationaux et européens. À travers cette recherche, ce vaste réseau entendait améliorer l’accessibilité des services d’éducation et d’accueil du jeune enfant aux familles en situation de précarité, favoriser l’accueil et le bien-être de chaque enfant et de chaque famille dans une optique de valorisation de la diversité, et renforcer la capacité des services d’éducation et d’accueil du jeune enfant à inscrire leurs actions dans une logique d’inclusion sociale et de complémentarité sur le plan local.

Le projet « Accueil pour tous » comportait deux volets intimement liés, mais subventionnés par des instances différentes.

  • L’accompagnement de milieux d’accueil 0-3 ans à Bruxelles : l’inclusion sociale commence à la crèche. Cinq milieux d’accueil se sont engagés volontairement dans une démarche de formalisation et de renforcement de leur projet social à destination de toutes les familles, notamment en matière d’accessibilité et de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Cette partie de la recherche était subventionnée par la Cocof.
  • Vers un réseau d’échanges et d’analyse de pratiques 0-6 ans dans la Fédération Wallonie-Bruxelles : partager et renforcer les pratiques et repères professionnels innovants. Il s’agissait dans ce second volet de partager et de renforcer les pratiques et les repères professionnels innovants de nombreux services d’éducation et d’accueil du jeune enfant : crèches, haltes-accueil, écoles maternelles, lieux d’accueil extrascolaire, maisons de quartier, ludothèques, etc. Ces services pionniers ont des acquis à partager entre eux et avec d’autres. Ces milieux d’accueil appliquent notamment des tarifs peu élevés (voire la gratuité), la priorité d’inscription pour ces familles, un accueil « à la carte » en fonction des besoins et de leur évolution dans le temps, etc. Ces pratiques sont fondées sur l’ouverture, la collaboration et le dialogue avec les familles, et sur un ajustement constant à leurs réalités. Les parents sont considérés comme les premiers éducateurs de leur enfant, ils sont reconnus comme des partenaires essentiels dans les faits et dans les actes. Ceci est particulièrement important pour les parents en situation de fragilité. Cette partie du projet a été subventionnée par le Fonds Houtman et par la Fondation Roi Baudouin.

Le projet « Accueil pour tous » tablait sur une dynamique de réseau autour de ces pratiques et de ces réflexions, ainsi que sur un décloisonnement entre les secteurs de l’accueil de la petite enfance (collectif et familial), de l’Accueil durant le Temps Libre (ATL) et de l’enseignement maternel qui composent le champ de l’EAJE en Wallonie et à Bruxelles.

Le résultat conjoint et transversal à ces deux volets de recherche s’est concrétisé en 2014 sous la forme d’un jeu exploitable en formation et en supervision d’équipe.

Projet 9 : « Projet CLES : une Coordination Locale pour une École Solidaire » - Conseil d’arrondissement de l’aide à la jeunesse (CAAJ) de Huy et l’AMO La Teignouse

La recherche-action du CAAJ de Huy, menée par l’AMO La Teignouse, proposait :

  • de soutenir les familles en dressant un inventaire des aides et en identifiant les difficultés que pose leur activation ;
  • de développer, dans la mesure du possible, des dispositifs institutionnels innovants pour réduire ces difficultés et renforcer l’automatisation des droits en la matière ;
  • de tendre vers une pérennisation et une diffusion des dispositifs les plus pertinents à l’échelle de l’arrondissement de Huy et de communiquer plus largement sur ces pratiques en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Cette question de la gratuité de l’école s’inscrit dans le contexte plus large de relations entre l’école et les familles. « Le partenariat entre l’école et les familles se réduit trop souvent à trois registres : les familles sont soit instrumentalisées comme simples prestataires (apportant aide ou soutien ponctuel pour une fête ou un déplacement), soit perçues comme objets (elles doivent simplement apprendre à être de bonnes familles), soit considérées comme préceptrices (elles doivent tenter d’améliorer les performances scolaires). La légitimité des parents pauvres, leur reconnaissance intégrale en tant que partenaires au sein de l’institution scolaire reste encore à conquérir… On sait pourtant combien cette piètre qualité de la relation parents/école influence négativement les trajectoires scolaires des enfants pauvres, pour lesquels l’école représente pourtant une des meilleures opportunités de se démarquer des déterminismes socio-économiques qui touchent leur famille parfois depuis plusieurs générations », écrit le Délégué général aux droits de l’enfant dans son rapport de 2009 relatif aux incidences et aux conséquences de la pauvreté sur les enfants, les jeunes et leurs familles.

Avant de mettre en place des pistes concrètes au sein des écoles pour agir sur les coûts, il faut vaincre l’a priori de chacun. Les représentations qu’a l’école des publics précarisés sont bien vivaces et témoignent d’un manque de connaissance du fonctionnement de ces familles et des réalités dans lesquelles elles se débattent. « À l’inverse, ajoute le sociologue Dimitri Deflandre, les demandes de participations financières de l’école sont perçues comme une agression supplémentaire renvoyant les familles à leur incapacité de faire face, l’objectif culturel ou pédagogique de l’activité pour laquelle une participation est demandée étant loin de leur préoccupation du moment. » Chacun attend de l’autre ce qu’il ne peut donner au mépris d’une alliance éducative autour de l’enfant.

Pour coller au plus près de la réalité des familles dans le besoin, le projet CLES a déterminé cinq pôles géographiques : Amay, Comblain-au-Pont, Hannut, Huy et Wanze. Chaque pôle collabore avec une école partenaire, tous réseaux confondus. Selon les pôles, différents acteurs se retrouvent autour de la table : l’école partenaire, le CPAS et ses services annexes s’il y en a, les associations, l’aide à la jeunesse. Certains pôles brassant plus large selon leur taille et la dynamique locale.

À Wanze, un petit fascicule a été distribué à tous les élèves : « Le Porte-Clés du Petit Futé ». Il reprend une série de thèmes sous forme de clés (« Je m’équipe pour l’école », « Je me rends à l’école », « Je mange à l’école », « Je réussis à l’école », « Je fais du sport à l’école », « Avec l’école, je pars en voyage », « Avec l’école, je participe ») qui renvoient au verso à tous les contacts utiles dans la commune dans ce domaine. Ce pôle explore également d’autres pistes, comme la collecte de matériel scolaire à la fin du mois de juin dans les différentes écoles de la commune.

À Hannut, c’est un principe analogue à celui de Wanze qui est mis en œuvre. « Un feuillet A4 a été distribué dans toutes les écoles de l’enseignement maternel, fondamental et secondaire grâce au CPAS qui a joué un rôle moteur. » Ce feuillet donne la liste de toutes les associations et services d’aide de la commune.

À Amay, l’action passe par un partenariat entre une école d’enseignement secondaire spécialisé et la buanderie sociale de la cité Rorive, non loin de là. « Ici, l’objectif s’est élargi, souligne Stéphanie Tomsen. Des synergies ont pu être trouvées entre l’école, qui dispose d’un potentiel d’élèves, et le CPAS, qui pourrait fournir un local pour mettre en place un magasin de seconde main. Celui-ci serait géré par les élèves des sections vente et couture. C’est un projet de sensibilisation et de récupération du matériel qui est très valorisant pour les élèves et très utile aussi pour les habitants de la cité. » Le projet démarrera à la rentrée prochaine.

À Comblain-au-Pont, c’est davantage de santé publique dont il est question. À la demande des directrices d’école, une cellule santé est en train de se créer. « La question des poux pose vraiment problème là-bas, note Stéphanie Tomsen. C’est un gros facteur d’exclusion ». La cellule santé serait un relais vers lequel le corps enseignant pourrait aiguiller les parents. L’idée de récolter du matériel scolaire a également germé. Cette question est travaillée avec le Conseil Communal des Enfants.

Projet 10 : « La culture, j’y prends pART » - ASBL Article 27 à Bruxelles

L’ASBL Article 27 favorise l’accès des publics les plus précarisés à la culture artistique sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les tickets Article 27 permettent un accès démocratique à l’offre culturelle pour les publics des associations sociales partenaires. Les bénéficiaires de ces associations restent libres de s’en saisir ou non. Libres ? « La seule existence des tickets ne suffit pas, explique Laurence Adam, directrice d’Article 27 Bruxelles. La méconnaissance, la peur, le manque d’habitude et le sentiment de ne pas être à sa place sont autant d’obstacles à la participation culturelle. » Raisons pour lesquelles Article 27 développe un important travail de médiation pour accompagner les publics et les travailleurs sociaux dans leurs démarches vers la participation culturelle. Se confronter à l’art par la pratique, se donner le droit d’exprimer un avis, un sentiment, prendre le temps de la réflexion critique sont autant d’aspects de la médiation culturelle qui permettent de déjouer ces embûches.

Article 27 met également en place des Plans d’accompagnement global à la culture (PAGCS) dans différents CPAS bruxellois qui apportent en outre un soutien financier à leur organisation. En plus des propositions habituelles faites par l’association, ces plans présentent la particularité d’offrir au public la possibilité de participer à des ateliers artistiques.

Le montant octroyé par le Fonds Houtman a permis de mettre en place deux PAGCS « Familles » qui se concrétisent par un projet à long terme en trois phases : « La culture, j’y prends pART ». Le projet a été mené d’octobre 2010 à juin 2012. « Nous avons ciblé les familles monoparentales vivant en situation de grande précarité et travaillé en partenariat avec trois maisons d’accueil et un centre de développement communautaire », explique Virginie Pierreux, médiatrice culturelle Article 27 Bruxelles et responsable du projet.

L’objectif principal de ces modules d’initiation était de favoriser l’accès au savoir et à la pratique artistique. La transformation des termes « arts contemporains » en « arts d’aujourd’hui » a pour but de rendre le projet plus familier aux associations et aux familles et de faciliter leur travail de mobilisation autour du projet.

Deux groupes d’enfants accompagnés de leurs parents ont participé à des visites guidées de lieux culturels, à des animations et à de mini-ateliers créatifs. Les modules s’étendaient sur quatre jours, chaque jour étant consacré à une discipline artistique différente : théâtre et danse, cinéma, musique et arts plastiques. Ils ont été mis sur pied en collaboration avec des institutions culturelles partenaires : l’ancien cinéma Arenberg et l’ASBL Indications, le Musée des Instrument de Musique, les Musée Royaux des Beaux-Arts, le Centre culturel Jacques Franck et les artistes Geneviève Reylandt et Caroline Cornelis. Chaque journée était divisée en deux temps : le premier consacré à la vision d’une œuvre permettant le partage de connaissances et facilitant ainsi la réflexion critique par rapport à la forme d’art abordée ; le deuxième réservé à l’atelier artistique en lien avec le contenu du matin.

Les modules se sont déroulés pendant les vacances de Carnaval et de Pâques 2011 en présence des travailleurs sociaux de chaque association partenaire.

Ces modules d’initiation constituaient un préalable à la mise en place de l’atelier artistique (phase 2). En effet, les participants ont pu s’essayer à différentes techniques artistiques et accéder à la parole d’artistes d’aujourd’hui s’exprimant sur leur travail. Ils ont ainsi bénéficié d’une introduction adaptée aux codes des différents langages artistiques.

L’objectif de la deuxième phase était de permettre aux familles qui ont suivi la phase 1 de découvrir des langages artistiques, de s’exprimer à travers ceux-ci et de réaliser une œuvre collective.

Les artistes-animateurs ont été choisis pour leurs compétences et leur expérience des publics fragilisés enfants et adultes. La présence du travailleur social de la maison d’accueil était requise aux ateliers, celui-ci étant garant de la cohésion du groupe et veillant à ce que chaque participant soit tenu au courant de l’agenda des séances. L’enjeu principal de la troisième phase est de permettre au public d’entreprendre et d’agir, de renforcer sa place d’acteur social et de citoyen actif.

Dix-huit familles ont participé au projet « La culture, j’y prends pART » soutenu par le Fonds. Plusieurs indicateurs permettent de dresser un bilan positif de cette expérience.

Les familles ont pu partager des expériences valorisantes pendant les deux premières phases du projet. La participation aux activités collectives permet la rencontre d’autres enfants, d’autres adultes, d’autres familles dans un climat où la bienveillance est le maître-mot, où les jugements sont exclus. Chaque participant est amené à découvrir, à oser exprimer. Tous les participants sont égaux face au projet. Ce climat favorise l’émergence de solidarités et permet d’inscrire les liens créés dans la durée. Le champ d’expériences valorisantes vécues par les personnes précarisées est extrêmement réduit. En cause : l’isolement, la perte d’estime de soi, un sentiment de sécurité ressenti exclusivement à l’intérieur de ses propres murs, une déconnexion progressive de son environnement social, une peur de plus en plus forte de se confronter à l’inconnu… Ce projet a offert aux familles une possible reconnexion douce et progressive à l’espace culturel, social et familial : se voir dans un cadre différent du quotidien, se découvrir des talents, se sentir attendu par un groupe, se surprendre à essayer de nouvelles choses, prendre des risques en étant accompagné…

Article 27 souhaitait mettre en place un projet qui réponde aux demandes des associations sociales et du public bénéficiaire, cette approche particulière du travail socio-artistique permettant notamment de lever le frein de la mobilisation des publics et des associations.  Il semblerait plus pertinent de ne collaborer qu’avec une seule association à la fois, surtout pour la mise en place d’un atelier artistique qui devrait pouvoir s’inscrire dans le quotidien pendant une période donnée, pour ne pas surcharger le travailleur social et devoir déployer tous ces efforts de mobilisation des familles.

Les modules d’initiation aux arts d’aujourd’hui ne semblent en revanche pas avoir posé de problème particulier en termes de mobilisation des familles et des équipes sociales. Pourquoi ne pas développer le même module avec un public renouvelé ? Ou créer un nouveau module abordant d’autres disciplines ou en approfondissant certaines ?

Projet 11 : « Permanence du soutien scolaire et activités pédagogiques pour les enfants des familles accueillies au Samusocial de Bruxelles » - ASBL Samusocial à Bruxelles

L’objectif de ce projet était d’offrir un soutien scolaire et des activités parascolaires afin de contribuer à maintenir les capacités d’apprentissage des enfants de ce centre d’hébergement d’urgence.

Le Samusocial est un dispositif d’urgence pour les personnes en perte de logement dans la Région de Bruxelles-Capitale. Il leur propose un hébergement et un suivi psychosocial en vue d’une orientation vers des services intermédiaires avant l’entrée éventuelle en logement privé. Le Samusocial accueille aussi chaque année près de 300 enfants différents, en moyenne 16 par jour. Face à l’urgence de leur situation, les parents ne considèrent souvent plus comme prioritaires leur éducation et leur accompagnement dans leur parcours scolaire…

Grâce au soutien du Fonds Houtman et en coordination avec l’asbl CEMôme (qui organise des activités parascolaires pour les enfants à Saint-Gilles), le Samusocial a lancé une permanence de soutien scolaire du lundi au vendredi de 16 à 19 heures pour les 6-18 ans. Remobilisation, aide aux devoirs, accompagnement… un éducateur se charge de ces différentes tâches ainsi que des démarches pour maintenir un lien étroit avec l’école des enfants hébergés ou, le cas échéant, pour leur en trouver une nouvelle.

En parallèle, le mercredi après-midi, des animations telles que des ateliers de peinture, de jeux de société et des sorties pédagogiques permettent à ces enfants qui vivent un quotidien difficile de prendre un peu de distance par rapport aux problèmes que rencontrent leurs parents. « L’objectif du projet est avant tout de veiller à pérenniser leur scolarité, explique Nela Manuka, coordinatrice du projet. Il convient ensuite de maintenir ces enfants, pénalisés par leur situation d’extrême précarité, en capacité d’apprentissage et d’éveil. Il s’agit par cet encadrement de préserver, entretenir et développer leur capacité à s’insérer dans la société. »

Projet 12 : « Séparation, divorce et coparentalité : les nouveaux rôles parentaux dans le contexte de familles d’origine maghrébine » - ASBL Lutte contre l’exclusion sociale et Service communal de médiation locale à Molenbeek

Le service de médiation locale de Molenbeek-Saint-Jean est régulièrement confronté à la problématique de la séparation au sein des familles immigrées et à la transformation des rôles parentaux. Le service accueille les crises et les conflits dans leurs dimensions psychiques, sociales, interculturelles, et juridiques. Dans ce contexte d’accompagnement des processus de séparation, la médiation peut être un espace-temps consacré à la difficile décomposition du lien conjugal et à la recomposition du lien parental.

Dans ce cadre et en étroite collaboration avec le service communal d’assistance aux victimes – son partenaire au quotidien – le service de médiation a entamé une recherche-action afin d’approfondir ce thème et de mieux comprendre les processus familiaux qui affectent des mères d’origine maghrébine habitant les quartiers composés d’une population essentiellement issue de l’immigration. « Nous visons trois objectifs, explique Anne Verlaeken, médiatrice locale. Il s’agit d’abord d’explorer les processus de transformation des rôles parentaux et des identités de genre à l’œuvre au sein de ces familles et ensuite d’analyser leurs effets directs et indirects sur les enfants. Enfin, la construction d’un savoir collectif constituera une ressource à la fois pour les familles et pour les intervenants. »

Le projet développe à la fois une dimension de proximité (une parole et une écoute transculturelle ont permis de collecter et de co-construire, sur le modèle narratif,  un savoir inédit né de la relation avec les mamans), une approche de groupe (des entretiens collectifs avec retour ont été menés autour des questions de genre, de la transformation des rôles parentaux) et l’approfondissement de l’approche pluridisciplinaire et transversale qui colore la pratique quotidienne des deux équipes d’acteurs de terrain, en appui sur le réseau local de professionnels.

La méthodologie utilisée est celle du récit de vie, qui implique la mise en œuvre de trois opérations : une énonciation du récit à partir d’un support (narration), une écoute de cette énonciation et un travail autour de cette énonciation.  Des entretiens individuels ont permis dans un premier temps de recueillir des récits desquels se sont dégagés plusieurs thèmes de travail. « Les mariages des femmes rencontrées se caractérisent la plupart du temps par leur endomixité. Bon nombre d’entre-elles sont conjointes migrantes, constate Anne Verlaeken. Elles ont majoritairement subi des violences conjugales et familiales. »

Les thèmes retenus sont dans un deuxième temps abordés et discutés au sein d’un groupe de parole, un des objectifs étant que les femmes ayant participé à ces groupes diffusent au sein de la communauté les valeurs et savoir-faire qu’elles se seront appropriées.

A titre d’exemple, les thèmes ci-dessous illustrent ce que l’analyse des récits de vie a permis de mettre au jour.

  • Monoparentalité au sein de la communauté maghrébine et conséquences sur les enfants. Après une rupture conjugale, les femmes migrantes issues de la communauté maghrébine se retrouvent souvent isolées pour répondre à l’ensemble des besoins de leurs enfants alors qu’elles sont simultanément en pleine reconstruction identitaire. Elles font l’objet de pressions familiales (de la belle-famille notamment) et sociales fortes. Elles doivent faire face à des difficultés innombrables : une mise à l’abri dans un premier temps et la question du continuum scolaire des enfants, la recherche des aides financières, alimentaires, la quête d’un domicile familial, la fragilité émotionnelle des enfants, la reprise de contact entre les enfants et leur père… Leur estime étant au plus bas, il leur arrive de surinvestir les enfants et de les pousser à exceller, notamment sur le plan scolaire, réparant symboliquement la honte dont elles sont l’objet. Il leur arrive aussi d’effectuer un transfert d’autorité sur un aîné. Certains jeunes se parentalisant, des troubles peuvent apparaître tels que la dépression, le décrochage scolaire, des faits de délinquance.
  • Séparation, tradition et modernité. « La tension entre tradition et modernité est l’une des causes essentielles du conflit conjugal qui a provoqué la séparation », constate la médiatrice. À l’origine de la cellule familiale qui se crée en migration, il y a bien souvent un mariage subi. Un certain nombre de mamans rencontrées ont laissé au pays tous leurs liens socio-affectifs et n’ont pas été autorisées, durant la vie commune, à en créer d’autres. Elles avaient pourtant l’espoir d’une vie conjugale plus égalitaire. L’isolement dans lequel elles sont plongées renforce leur précarité et les empêche de retrouver une image d’elles moins abîmée. Le groupe de parole se révélera bénéfique à ce sujet.
  • Tensions entre le modèle de la coparentalité (complémentarité et interchangeabilité des rôles parentaux) et le modèle traditionnel (places inégales et différenciées dans le couple) de la famille. La séparation est vécue comme un échec par rapport au projet initial et la femme en porte généralement la responsabilité comme gardienne du foyer. Les mamans expriment néanmoins leur frustration à devoir assumer un double rôle et leur désir insatisfait de voir les pères prendre leur part de responsabilités dans l’éducation des enfants. Mais elles ont paradoxalement du mal à envisager le principe de la communication collaborante avec les pères.
  • Séparation et situation socio-économique. Sur le plan socio-économique, les conséquences d’une séparation en milieu précaire sont telles que les mamans retardent la décision de séparation. La recherche d’un nouveau logement décent pour leurs enfants représente la quadrature du cercle : c’est lui qui ouvre le champ des possibles. Cela amène les intervenants des services d’aide à renforcer le réseau afin de leur permettre, de l’école des devoirs à l’épicerie sociale, de développer leurs chaînons de solidarité, y compris celui qui se crée au sein du groupe de parole.
  • Séparation et transmission. La crise de la transmission entre les générations, présente aussi dans les communautés immigrées où elle est exacerbée par la tension entre tradition et modernité, peut être aggravée par un vécu de séparation. Beaucoup de mamans surinvestissent leurs enfants : elles projettent sur eux tous leurs rêves d’autonomie et de mobilité sociale. Elles les élèvent généralement seules.  Elles leur tiennent souvent des discours ambivalents sur les valeurs : « Respecte ton père qui nous a fait tant de mal ! »

Un groupe de cinq à sept mamans a été constitué. Au fil des séances de deux heures toutes les trois semaines, ces différents thèmes ont été approfondis. Les séances ont fait l’objet de prises de notes dans l’idée de construire un savoir collectif et de le transmettre.

Ces mères ont exprimé le souhait de poursuivre les rencontres tant a été décisif pour elles le travail collectif commencé. « Se dire, parler de soi aux autres fait sens dans leur existence, est source d’ouverture et de changement, remarque la médiatrice. Restituer ce travail en dehors de la sphère du groupe, en témoigner est d’égale importance. » 

Projet 13 : « Parents malgré tout » - SASPE Reine Astrid à La Hulpe

Le Service d’Accueil Spécialisé de la Petite Enfance (SASPE) Reine Astrid, à La Hulpe, accueille en internat des enfants de 0 à 6 ans dont les parents connaissent de graves difficultés qui les empêchent d’en assurer la garde effective. Le séjour constitue un accueil momentané permettant la recherche d’une solution stable et adaptée en fonction des besoins de l’enfant et de l’évolution de la situation familiale ou juridique. Les raisons du placement peuvent être variées : maltraitance, abus sexuel, abandon… « À leur arrivée, la plupart des enfants présentent des troubles du développement, des difficultés relationnelles et une santé précaire », constate Jean-Marie Caby, le directeur du SASPE. Son service se donne pour objectif de leur offrir la possibilité d’une évolution harmonieuse à travers des soins spécialisés tant sur le plan éducatif et psychoaffectif que médical. Le SASPE se présente également comme un outil à la disposition de parents gravement déficients, fortement carencés, pour les aider à devenir les plus compétents possible en mobilisant leurs capacités pour répondre aux besoins de leur enfant. C’est dans ce contexte de travail que le SASPE a mis au point un projet d’accompagnement original, un dispositif thérapeutique favorisant des liens parent/enfant de qualité et un développement de l’enfant harmonieux en utilisant la rétroaction vidéo.

  • Renforcer les compétences parentales

Issue des théories de l’attachement, la rétroaction vidéo est un outil de renforcement des compétences parentales. Elle consiste à filmer les interactions entre le parent et son enfant pour ensuite les visionner avec un intervenant qui valorise les comportements parentaux positifs et leur impact sur l’enfant. Ce projet se situe au carrefour de deux champs d’expertise : celui de l’accueil de l’enfant en SASPE et celui du soutien à la parentalité de familles en grandes difficultés. Il a pour objectifs :

  • La création d’un espace et d’un outil de travail thérapeutique avec les parents des enfants hébergés afin de les aider à devenir des parents « suffisamment bons » (notamment en soignant leur « enfant interne » et en travaillant les souffrances qu’ils ont connu dans le passé). La conduite et l’évaluation de co-thérapies parent/enfant à partir des visites accompagnées ou médiatisées à l’espace-familles du SASPE. Ces visites s’inscrivent dans une perspective de « suppléance parentale » et de « soutien à la parentalité ».

Les parents dont l’enfant séjourne en institution présentent souvent un profil très précaire (pauvreté, isolement social, faible niveau d’éducation…). La mise en place d’un outil adapté permettrait de contrecarrer le cercle vicieux dans lequel ils sont enfermés. Il s’agit d’un outil de lutte contre la pauvreté intellectuelle et narrative, mais également d’un outil de lutte contre la pauvreté socio-économique et professionnelle. « Les rétroactions vidéo pourraient déclencher un engagement vertueux qui touche la dimension sociale, par la constatation d’une mobilisation et d’un engagement dans plusieurs domaines de vie des parents », escompte le directeur. L’amélioration de la qualité relationnelle entre les parents et leur enfant aurait par ailleurs comme effet de favoriser le bon développement affectif et social de celui-ci, ce qui lui permettrait potentiellement de ne pas plonger à son tour dans la pauvreté et la précarité.

Six familles ont bénéficié de l’accompagnement par rétroaction vidéo. Ce nombre est représentatif des limites liées à la taille de l’équipe et des moyens à disposition. L’accompagnement par rétroaction vidéo a par ailleurs été ralenti suite à des imprévus et/ou à l’irrégularité de plusieurs parents absents pour des motifs divers. Les intervenants ont dû faire preuve de flexibilité par rapport au protocole idéal, qu’ils ont adapté de manière continuelle en fonction de ces contraintes. Ces écarts ont allongé le temps, empêchant les intervenants d’entamer de nouveaux accompagnements avec d’autres familles.

La recherche-action « Parents malgré tout » est aujourd’hui clôturée. Ses résultats ont mis en évidence l’importance d’une prise en charge conjointe parent/enfant au sein de l’espace-familles. Les résultats de cette étude montrent que l’intervention par rétroaction vidéo est un puissant outil thérapeutique.

Le visionnement des interactions lors des visites a permis de relever les difficultés parentales ainsi que leurs potentialités. Elle permet à l’adulte de se « réparer » et à l’enfant de ne plus se donner cette fonction « thérapeutique » et de ne plus en souffrir. Cet outil fournit aussi une approche diagnostique ou pronostique permettant d’évaluer si des progrès du parent sont possibles et suffisamment consistants pour instaurer un « soutien à la parentalité » dans la perspective que l’enfant retourne vivre chez lui.

Enfin, cette recherche aura eu un effet secondaire bénéfique pour l’équipe dans la prise en charge de toutes les familles du SASPE Reine Astrid, même celles ne participant pas au projet, avec une augmentation de la qualité des observations et de la qualité du travail de la relation. « Parents malgré tout » a donc permis une meilleure prise en charge, plus adaptée et efficiente, de parents très précarisés à plusieurs niveaux.

Projet 14 : « Violences conjugales et parentalité » - ASBL Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion à Liège

1ere partie

Le Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE), à Liège, et le Service d’aide sociale aux justiciables de Verviers (SASJ) se sont associés pour mener une recherche-action portant sur les violences conjugales et la parentalité.

Le SASJ a pour mission d’apporter une aide psychosociale aux auteurs et aux victimes d’infraction pénale. Son équipe rencontre de plus en plus de demandes de femmes victimes de violence conjugale et d’hommes contraints à être suivis dans le cadre d’une mesure alternative à la détention suite à des faits de violence conjugale. Depuis 2008, le SASJ a également développé une aide spécifique aux enfants victimes directes ou indirectes de ces actes. « Les enfants ont amené la question de la parentalité, explique Caroline De Vos, psychologue. Un peu comme s’ils disaient ‘Aidez-moi, mais surtout aidez mon père et ma mère à être mes parents’. En écoutant ces enfants nous faire part de leurs difficultés, des difficultés qu’ils n’osent pas ou ne peuvent pas exprimer à leurs parents par peur de réactiver le conflit, la nécessité d’aller au-delà du couple pour entrer dans les liens affectifs et relationnels entre les parents et leurs enfants s’est imposée. »

De son côté, le CVFE mène depuis des années des interventions spécialisées auprès des femmes victimes de violences et auprès de leurs enfants, parallèlement à un accompagnement des auteurs. Ces deux institutions ont chacune pu observer que la violence conjugale affectait la relation parentale.

Comment remettre la parentalité au cœur des considérations de ces hommes et de ces femmes blessés, pour le bien-être de leurs enfants, mais aussi pour enclencher un mécanisme de résilience ? Comment les aider à se repositionner comme acteurs de leur vie et leur permettre une projection dans le futur en tant que parent ?

Les deux services ont établi un protocole d’intervention à destination des familles. « L’objectif est de renforcer les compétences parentales des parents en développant leurs capacités d’empathie envers leur enfant, et d’appuyer la question de la différenciation des membres de la famille », explique Aïcha Aït Ahmad, responsable de l’accueil des enfants au CVFE. L’utilisation d’outils systémiques et symboliques est privilégiée. Ceux-ci permettent une mise à distance qui aide tant l’adulte que l’enfant à s’exprimer au-delà des mots. Ce protocole se développe en plusieurs séances avec les parents et/ou les enfants.

Dans un premier temps, les intervenants rencontrent les parents, seuls ou en couple, sans les enfants. C’est un temps d’affiliation, un espace qui permet au parent de se replacer dans une histoire (« Je suis la fille, la femme, la mère de… ou je suis fils, le mari, le père de… »), de se rappeler les débuts du couple, le moment où la violence est arrivée, etc. Cette première séance met aussi en avant les perceptions parentales à propos de l’enfant. Un carnet de bord est remis aux parents, il les accompagnera tout au long des séances.

Un deuxième temps (une ou deux séances) est consacré à la famille autour d’un jeu de l’oie revisité. Parents et enfants se mettent d’accord pour choisir quelques événements importants pour la famille. Chacun voit que l’autre peut les vivre de manière complètement différente.

Dans un troisième temps (une ou deux séances), les intervenants rencontrent les parents et les enfants séparément. L’objectif de ce temps avec le parent est de l’amener à se pencher sur son lien avec son enfant, sur la représentation qu’il s’en fait et de développer de l’empathie envers l’enfant et ses besoins. Trois outils sont privilégiés : les figurines, le carnet et la lettre. Le parent choisit une figurine pour symboliser son enfant, lui-même et son conjoint. Ces images posées l’aident à prendre de la distance. Le parent est invité à développer dans son carnet les petites choses qu’il aimerait améliorer et ce qu’il peut mettre en place au quotidien. Un entraînement à observer son enfant, notamment au niveau de l’expression des émotions, et une prise de notes lui sont proposés. Pour renforcer l’empathie chez le parent, les intervenants lui proposent aussi de rédiger une lettre en se mettant à la place de son enfant qui écrit à un copain pour lui expliquer ce qu’il vit en famille. En parallèle, les séances avec les enfants visent à leur apprendre à exprimer leur vécu et leurs besoins, à représenter ce qu’ils vivent et donc à prendre de la distance par rapport à ce vécu. Elles servent aussi à sensibiliser leurs parents et, par là, à renforcer les compétences parentales. Avec l’aide de l’intervenant, les enfants écrivent une lettre destinée à être lue à leurs parents : « De quoi j’ai besoin pour me sentir bien avec papa, avec maman… Ce qui me fait mal, ce qui me fait du bien… Si j’avais une baguette magique… ». Les différentes expériences émotionnelles de la fratrie sont relevées.

La dernière séance voit se réunir à nouveau parent et enfant. L’aspect symbolique est mis à l’avant-plan : le parent lit la lettre écrite par l’enfant, l’enfant entend ce que son parent a imaginé qu’il pouvait vivre. L’idée est que chacun ait la possibilité de « donner » à l’autre, tout en respectant la place dans laquelle il se situe dans son système familial. Ensemble, ils posent la dernière carte du jeu de l’oie et ancrent ainsi de manière symbolique une perspective d’avenir plus positive.

Une vingtaine de familles et une dizaine de fratries ont pris part au projet.

2e partie

L’équipe du CVFE a reçu un budget complémentaire en 2015 pour la poursuite de son travail « Parentalité et violence conjugale dans un contexte de précarité ». Le travail, qui avait permis dans un premier temps la création de 2 protocoles de prises en charge des familles concernées (un axé sur les mères, l’autre familial), s’est concentré ensuite sur l’évaluation de ces protocoles, avec l’Unité de Psychologie clinique de la délinquance de l’ULg. Il s’est clôture en juin 2016.

Projet 15 : « Précarité et placement en IPPJ : des paroles et expériences de vie des jeunes aux représentations sociales des éducateurs » - AMO Samarcande à Bruxelles

1ere partie

Par le biais de son projet « Carnets de route », le service d’aide en milieu ouvert (AMO) Samarcande a recueilli la parole d’environ 200 jeunes placés dans les IPPJ (institutions publiques de protection de la jeunesse) de Saint-Servais, de Braine-le-Château et de Wauthier-Braine. Grâce au soutien du Fonds Houtman, et en collaboration avec le Centre de recherches criminologiques de l’ULB, ces récits ont pu être analysés et mis en parallèle avec des témoignages d’intervenants en IPPJ. Le but de cette démarche était de travailler sur les représentations des intervenants et, in fine, d’améliorer la compréhension de ces jeunes par les acteurs de terrain.

L’ASBL Samarcande  utilisait comme outil principal de son action sociale préventive l’expression par le média radio. Elle recueille la parole de jeunes placés en IPPJ et la diffuse lors d’émissions de radio, Samarc’ondes3.

L’ULB a déjà eu l’occasion d’analyser des extraits sonores anonymisés de ces émissions, avec comme guide cette question : « Quand on est jeune et en IPPJ, on n’est peut-être pas que délinquant ».

2e partie

Le travail de l’AMO Samarcande, avec l’ULB, « De la parole des jeunes placés en IPPJ aux questionnements des professionnels », s’est clôturé le 31 mai 2015. Il a permis la création d’une pièce de théâtre-action (« No Repère ») à destination des professionnels du secteur. Cette pièce est désormais accompagnée  d’un livret didactique, basé sur les débats intervenus lors des représentations de la pièce. Plus d’informations sur ce projet sur https://norepere.wordpress.com/.

Plus d’informations dans le Cahier du Fonds n°14, le Cahier du Fonds n°15, le Cahier du Fonds n°16 et Cahier du Fonds n°17  sur le thème de la Pauvreté.